Journal de l'économie

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Bienvenue au 21e siècle ! (2)





Le 14 Juin 2022, par Olivier de Maison Rouge

De l’Europe millénaire à la technostructure sous influence


Bienvenue au 21e siècle ! (2)
L’UE est une machine antipolitique,
dont certains rêvent qu’elle devienne un acteur politique
et attendent même qu’elle se constitue, un jour, en puissance
Quand sa raison d’être est de fuir toute idée de puissance.
Régis Debray [1]
 
Cette contribution s’inscrit dans une réflexion sur la place de l’Europe dans un monde actuel en bascule. La première partie évoque la guerre hybride à l’œuvre dans les nouveaux rapports de puissance :  Journal De l'Economie
 
Nous abordons ici la question des institutions européennes à l’épreuve de l’histoire.
 
L’Europe de Jean Monnet

Pour comprendre les rouages de l’Union européenne – à distinguer de l’Europe-civilisation qui a toujours existé – il convient de se pencher sur la personne de son principal agent d’influence : Jean Monnet. Il figure parmi les pères de l’Europe-institution, aux côtés de l’alsacien Robert Schuman, un autre français.
 
« Le Marchand de Cognac » comme l’appellera avec dédain le Général De Gaulle – car il était originaire de la Charente et héritiers d’une famille de producteurs de cette eau-de-vie – Jean Monnet put ainsi nouer très tôt des relations d’affaires avec les États-Unis où il se rendra pendant la Seconde Guerre mondiale. Outre-Atlantique, il se constitue un réseau d’affaires et d’hommes politiques, qui seront son nouveau fonds de commerce, à l’instar de John Foster Dulles, qui fut directeur de la CIA, avec qui il a eu une singulière proximité [2]. Il n’en demeure pas moins que dès 1943, Jean Monnet fut un émissaire des États-Unis à Alger, en 1943, œuvrant à installer le général Giraud, américanophile, contre le Général De Gaulle. Jean Monnet agissait sur instructions de l’administration Roosevelt [3].
 
Préfigurant les « technocrates » qui allaient tant faire frémir les eurosceptiques, Jean Monnet fut tout d’abord Commissaire au Plan au sortir de la guerre, en première ligne pour la diffusion du plan Marshall, avant de prendre la tête de plusieurs organisations destinées à faire éclore l’idée européenne. C’est ce qu’il nomme lui-même « la méthode des petits pas », cherchant à convaincre les uns après les autres les hommes politiques français de se jeter dans l’aventure européenne.
 
C’est avec cet acharnement et les relais dont il dispose, qu’il parvient à faire adopter dans un premier temps la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier (CECA – 1950), héritage du plan Schuman, qui précèdera le Traité de Rome, fondant la Communauté européenne (1957). Agent de liaison pro-américain (qu’il faut replacer dans un contexte de guerre froide), Jean Monnet anime un groupe de techniciens, grands administrateurs et hauts fonctionnaires sur lesquels il usera de toute son influence. Ils seront tout autant ses ambassadeurs au sein des pouvoirs publics et privés, à l’instar des pratiques américaines dont il s’inspire directement.
 
D’ailleurs, pour revenir à l’Europe de Jean Monnet, selon l’historien Pierre Melandri :
 
« La genèse du plan Schuman est aujourd’hui suffisamment connue pour que l’on puisse parler de ses “origines américaines” sans risquer de provoquer un faux débat. (…) Dans la plupart des récits, une allusion est toujours faite à la diplomatie des États-Unis. Mais elle rappelle presque toujours combien les amis américains de Monnet furent étonnés par l’audace de son projet. C’est là quelque peu négliger l’influence de leur pays dans la genèse de ce dernier. » [4]
 
Il faut encore puiser dans les Mémoires de Jean Monnet pour saisir toute la substance de son action européenne :
 
« La communauté [européenne] elle-même n’est qu’une étape vers les formes d’organisation mondiale de demain. (…) Carcan institutionnel et administratif commun et unique. Ce sera alors l’établissement d’une Europe fédérale affranchie du poids des siècles et des contraintes de la géographie, sans plus de référence aux réalités nationales. »
 
 
Une Europe millénaire et multiple
 
Rappelons que l’Europe fut constituée, dans les premiers temps du Moyen Âge, par le grand empire des Francs, centré sur les pays du Rhin et du Rhône (espace qui prendra ensuite le nom de Lotharingie suite au partage de l’héritage politique de Charlemagne) s’étendant des Pyrénées à l’Elbe, des îles frisonnes à la Lombardie et de la Toscane aux marches de la Bretagne, restée celte, jusqu’au territoire de l’actuelle Autriche.
À peu de choses près, cette entité correspondait à l’espace des six premiers pays signataires du Traité de Rome en 1957.
 
En périphérie de cette souche homogène coexistent quatre autres formations géopolitiques, dont chacune puise ses ressources dans d’autres sphères d’influence :
 
  1. L’espace danubien qui s’étend jusqu’à la steppe ukrainienne, et qui regroupe l’Autriche, la Hongrie, la Tchéquie, la Slovaquie, les nouveaux états issus de l’ex-Yougoslavie ainsi que la Roumanie et la Bulgarie. Situés aux marches de l’Europe orientale, ils sont successivement passés, à l’exception de l’Autriche, de l’influence soviétique à l’attraction américaine teintée de répulsion anti-russe ;
 
  1. L’espace baltique est également doté de sa propre identité, blotti aux avant-postes des territoires Slaves. Cet espace rassemble ainsi la Finlande, la Norvège, la Suède, le Danemark, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie et la Pologne ;
 
  1. L’espace méditerranéen se déploie sur les trois péninsules sudistes de l’Europe : l’Ibérique, l’Italienne et la mer Égée. Ces deux dernières ont été les grands empires qui ont guidé l’Europe sous l’Antiquité ;
 
  1. enfin, l’espace atlantique, formé du Portugal et de la Grande-Bretagne, plus fermé à l’idée européenne, et qui sont ancrés vers d’autres horizons (USA, Brésil).
 
Ainsi schématisée, l’Europe est un assemblage composite de plusieurs cercles concentriques concourant à l’identification d’une civilisation homogène dont cet alliage constitue une mémoire indivise.
 
Une Union européenne impuissante
 
Désormais, l’Union européenne est effectivement devenue une superstructure administrative, assiégée par des lobbyistes, pour beaucoup anglo-saxons, dont les institutions révèlent une tentation fédérale que lui refusent les peuples et la plupart de ses dirigeants, ce qui n’est pas sans créer des tensions qui paralysent son action.
 
Loin d’être un ensemble uniforme, cohérent et organisé, l’Europe est traversée par des courants où chaque puissance régionale tente de jouer ses propres intérêts au détriment des autres composantes.
 
Pire encore, la Commission de Jacques Delors, et l’Acte Unique Européen, ont favorisé l’adoption du modèle libéral-financier à l’échelle du continent, alignant davantage l’Occident sur les standards économiques anglo-saxons, accéléré par la chute du Mur de Berlin et l’adhésion des pays de l’Est. En définitive, l’Europe – que l’on investit trop souvent à tort de souveraineté – aura annihilé toute velléité de stratégie économique et plus généralement a abdiqué sa puissance géopolitique.
 
Sa doctrine dominante, contraire aux enjeux internationaux, est dictée par le principe de la consommation au meilleur prix, ayant eu pour conséquence l’accroissement des importations extérieures (on parle d’introduction dans le marché intérieur), la lutte contre les aides publiques et les subventions favorisant les fleurons et les services publics, le démantèlement de grands mécanos industriels (SNCF, EDF).
 
Cette politique de régulation de la concurrence par le bas s’est traduite par un affaiblissement économique de l’Europe. Le moins-disant prévaut désormais dans le cadre de la politique économique et sociale européenne.
 
 
 
Par Olivier de MAISON ROUGE
Avocat – Docteur en droit
Dernier ouvrage publié : « Gagner la guerre économique. Plaidoyer pour une souveraineté économique & une indépendance stratégique » VA Editions, mars 2022
 
 
[1] In Civilisation. Comment nous sommes devenus américains, Gallimard, 2017
[2] REVEILLARD Christophe, « L’Europe de Jean Monnet », in La Nouvelle Revue d’Histoire,
[3] BRANCA Eric, L’ami américain. Washington contre de Gaulle 1940-1969, Perrin, 2017 
[4] MELANDRI Pierre, Les États-Unis face à l’unification de l’Europe. 1945-1954, Publications de la Sorbonne/Pedone, 1980


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