Journal de l'économie

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La souveraineté juridique





Le 30 Novembre 2022, par Olivier de Maison Rouge

Désormais à la mode après avoir longtemps été un gros mot, la souveraineté est une notion essentiellement tirée des sciences politiques que d’aucuns déclinent désormais dans tous les domaines : économique, alimentaire, juridique, numérique, etc.


La souveraineté juridique
Nous avons vu précédemment www.journaldeleconomie.fr/Qu-est-ce-que-la-souverainete_a11765.html  que la souveraineté rimait avec indépendance selon les institutions françaises, en raison de son rattachement historique aux sciences politiques.
 
Nous proposons ici d’étudier l’approche sous l’angle de la souveraineté juridique, actuellement largement mise à mal en raison de la mise en panne du droit international, au profit du lawfare et de l’extraterritorialité et l’expansionnisme systémique d’autres droits.
 
Les préceptes de la souveraineté juridique
 
Suite aux travaux de Jean-Jacques Rousseau et de la traduction des idéaux de l’Abbé Seyiès, la France a opté pour la souveraineté parlementaire (ou dite « représentative »), aux termes de la Constitution du 4 octobre 1958.
 
S’agissant plus précisément de la souveraineté juridique – objet de notre propos – dès 1959, dans le Répertoire Dalloz il était énoncé :
 
« Supposons une nation jouissant de toute son autonomie, de toute son indépendance, de sa souveraineté complète. Elle a le devoir de ne pas empiéter sur la souveraineté des autres peuples, et le droit de repousser toute entreprise sur sa propre souveraineté.
Chaque nation est tenue de respecter les lois et actes intérieurs des autres, et aucune n’est autorisée à imposer aux autres ses volontés. De là vient que les décisions judiciaires rendues dans un pays ne sont pas de droit exécutoires dans un autre. »
 
En quelques lignes, tous les principes de souveraineté, d’autonomie et d’indépendance juridiques se trouvent réunis de manière extrêmement limpide et non contestable.
 
Et cette approche prévaudra tout au long du vingtième siècle et même largement au-delà, dans un monde alors multipolaire même si l’expression peut sembler a priori anachronique.
 
Le concert des nations né des traités de Vienne (1815) permettait encore et pour plus d’un siècle ce respect des indépendances juridiques nationales, sans interventionnisme extérieur ni impérialisme juridique.
 
En ce sens, Metternich s’exprimait :
 
« Le droit dans la puissance est une chimère et la puissance dans le droit est un abus. La souveraineté se trouve là où les deux conditions sont réunies. »
 
C’est pourquoi, les systèmes juridiques romano-germaniques (ou droit continental) n’ont souffert aucune immixtion ni ingérence jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale (1945).
 
La rupture de 1989 : l’abandon de la souveraineté juridique ?
 
Il donc est acquis que la souveraineté institutionnelle s’exerce par ses représentants (députés et sénateurs pour le pouvoir législatif), expression de la somme des individus composant la Nation (selon un « fait majoritaire »), et sur le territoire national, sans autre forme « d’extraterritorialité » c’est-à-dire sans ingérence ni dépossession.
 
La règle se retrouve sous l’Article 3 de la Constitution du 4 octobre 1958 :
 
« La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum.
Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice. »
 
 
Ironie de l’histoire peut-être, mais la rupture juridique avec cette idée de souveraineté nationale poindra lors du bicentenaire de la Révolution française, avec l’arrêt dit « Nicolo ».
 
En effet, en vertu de l’article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 :
 
« Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie. »
 
Par conséquent, avant cette décision Nicolo, le Conseil d’État considérait ne pas avoir la possibilité d’écarter une loi postérieure à un traité international et contraire à celui-ci : le Conseil d’État faisait prévaloir la loi sur le traité dans la hiérarchie des normes juridiques. Il ne s’estimait pas habilité à écarter l’application d’une loi, même contraire à un traité, au nom de plusieurs considérations, du seul ressort du Conseil constitutionnel.
 
Précisément, c’est de cette juridiction qu’un premier revirement devait poindre à l’occasion de l’examen de la loi du 15  janvier  1975  relative à l’interruption volontaire de grossesse considérant qu’« une loi contraire à un traité ne serait pas, pour autant, contraire à la Constitution », au motif que la supériorité établie par l’article 55 n’a qu’un caractère contingent puisqu’elle est subordonnée à une condition d’application réciproque du traité par les parties.
 
Dès lors, le juge constitutionnel se refusant à contrôler lui-même l’application de l’article 55 de la Constitution, les autres juridictions pouvaient apprécier « souverainement ».
 
Dans la foulée, la Cour de cassation faisait donc primer le traité sur la loi nationale dans son arrêt de chambre mixte du 24  mai  1975  Société des cafés Jacques Vabre.
 
Avec l’arrêt Nicolo ce fut la reconnaissance et l’introduction sans réserve, par la justice administrative dans le droit français du droit communautaire et de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
 
Une contestation de la souveraineté juridique européenne ?
 
Depuis lors, dans la hiérarchie des normes juridiques, la loi française, expression de la souveraineté nationale, a une valeur inférieure aux traités et accords internationaux.
 
Ce revirement avait déjà été précédé de l’Acte Unique Européen (AUE), en 1986, instituant ou confirmant des institutions supranationales. Puis la souveraineté nationale fut largement effacée, après le référendum du 29 mai 2005 ayant conduit à refus du traité établissant une constitution pour l’Europe, contourné par le vote du Parlement et de ses représentants.
 
Il fut assez piquant de voir en 2022 un candidat putatif en la personne de Michel Barnier, aspirant aux plus hautes fonctions de l’État, qui a fait une grande partie de sa carrière à Bruxelles à qui il doit tant, redécouvrir le principe de souveraineté juridique et de vouloir s’affranchir sur des questions régaliennes des décisions de la CEDH [1] et de la CJUE [2].
 
Et l’Allemagne elle-même n’a-t-elle montré la voie avec une décision de Justice[[3] par laquelle elle a rappelé la primauté du droit constitutionnel allemand sur les traités européens ? Depuis lors, la Pologne a suivi ce même raisonnement.
 
Rappelons encore à ce stade du développement, malgré les entorses répétées à la souveraineté juridique des pays membres par les institutions et juridictions européennes que l’article 4 § 2 du Traité sur l’Union européenne affirme :
 
« La sécurité nationale reste de seule compétence de chaque État membre ».
 
Par conséquent, nous y reviendrons, la sécurité nationale reste et demeure un privilège (au sens « priva lex ») souverain et régalien de chaque État ; sans doute est-ce le dernier apanage national de souveraineté juridique.

Olivier de MAISON ROUGE
Avocat, Docteur en droit
Dernier ouvrage paru : « Gagner la guerre économique. Plaidoyer pour une souveraineté économique et une indépendance stratégique » VA Editions, 2022

 
[1] Cour Européenne des Droits de l’Homme
[2] Cour de Justice de l’Union européenne
[3] Arrêt de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe de mai 2020, qui avait contesté la validité d’un rachat de titres de dettes d’État de la Banque centrale européenne (BCE)


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