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Guillaume Connan: "Le client est la grande victime du conflit entre les taxis et les VTC"





Le 28 Avril 2016, par La Rédaction

Alors que les débats entre taxis et VTC font encore rage, l’État a récemment lancé Le.taxi, une application de géolocalisation destinée aux chauffeurs de taxi. Une fausse route dénoncée par Guillaume Connan, PDG de Chabé, un vétéciste haut de gamme et presque centenaire. Entretien.


Le contexte est toujours crispé entre taxis et VTC. Quels sont aujourd’hui les points de blocage ?

Ils sont encore très nombreux. Les taxis sont inquiets du développement rapide des VTC, de la baisse de leurs revenus et de la chute du prix de leur licence. Ces inquiétudes sont légitimes. Ils souhaiteraient que l’Etat intervienne pour leur laisser suffisamment de temps pour s’adapter et devenir compétitifs par rapport aux VTC. Ces derniers sont inquiets de ces pressions et déçus des changements de règles qu’on leur impose en conséquence. Ces inquiétudes et déceptions sont légitimes de part et d’autre ; elles se cristallisent sur certains points (la réglementation des conducteurs dits Loti, les conditions concrètes d’exercice des VTC, le montant des forfaits aéroports des taxis etc.) mais ce n’est pas l’essentiel. Le fond du sujet reste l’accompagnement d’une profession face à des mutations irréversibles et la réglementation raisonnée d’une autre en plein développement. Sachant que la solution est sans doute de dire que les deux font, peu ou prou, la même chose et qu’il faut leur donner un peu de temps pour converger.
 

Selon vous l’Etat serait clairement partial et en faveur des taxis. Quels éléments concrets vous permettent de faire ce constat?

L’Etat a du mal à trancher dans ce conflit. D’abord car les intervenants sont multiples : n’oublions pas que, sur ce sujet, interviennent notamment les Transports, l’Intérieur et Bercy. Sans compter les collectivités locales (Mairies, Départements et Régions). Et l’intervention des députés, sénateurs, Conseil d’Etat, etc., le tout sous le regard de l’Europe ! Cela fait beaucoup de monde sur un sujet compliqué et les positions contradictoires prises sur ce sujet par le régulateur en sont le reflet. Ceci étant dit, je constate que, récemment, les forces de soutien aux taxis ont marqué plus de points que les autres. La réouverture des voies réservées sur l’A1 en est une illustration, tout comme le principe d’une indemnisation des taxis au titre de la dépréciation de la valeur de leur licence. Sans parler des nombreuses restrictions qui continuent de peser sur les VTC comme l’obligation du retour à la base.

L’Etat a lancé Le.taxi, une application de géolocalisation destinée aux chauffeurs de taxi. Comment réagissez-vous à cette initiative ?

Je pense que c’est une mauvaise réponse à une bonne question. La question est comment aider les taxis à devenir plus compétitifs? Y répondre en faisant développer, sur deniers publics, une application qui n’aura jamais la visibilité (ni la taille critique) nécessaire pour rivaliser avec les acteurs en place, c’est une erreur, coûteuse de surcroît.

N’est-ce pas au fond un moyen d’équilibrer les « armes » entre une profession traditionnelle et des concurrents 2.0 ?

Bien sûr, c’est là l’intention. Mais avoir une application de géolocalisation est un petit élément de ce rééquilibrage. La visibilité de la marque qui y est associée est très importante. La capacité à répondre aux demandes partout, tout le temps, en est une autre. Et, au-delà de cela, il y a surtout la qualité de l’expérience du client qui elle repose sur le confort du véhicule, la compétence et la motivation du chauffeur et les services associés. Il y a une promesse globale à délivrer, tous les jours, qu’une application para-publique locale et tardive n’arrivera pas à satisfaire.

En creux vous posez une question majeure : est-ce à l’Etat de jouer ce rôle d’arbitre ?

Effectivement, est-ce à l’Etat d’aider une profession à se moderniser ? Si oui, doit-il le faire par la loi ou en investissant directement les deniers publics ? Surtout, doit-il le faire au détriment d’une autre ? A mon sens, l’Etat devrait se consacrer à donner une vision à cette filière, créer un cadre juridique clair et pérenne applicable aux VTC et aux taxis, et inciter le marché à créer de la valeur en tirant tout le monde vers le haut.

Force est de constater que cette application peine à séduire les chauffeurs de taxi. Comment l’expliquez-vous?

Pour les raisons que je vous ai données. L’application n’est qu’une petite partie de l’équation permettant aux taxis d’être compétitifs. Donc ils cherchent d’autres solutions pour résoudre leurs problèmes.

Au final, le client ne serait-il pas la première « victime » de ce conflit ?

Absolument. Le client est le grand absent des débats et la grande victime du conflit opposant taxis et VTC. Il est heureux de voir émerger de nouveaux acteurs, en particulier parmi les VTC, mais parfois effrayé des conditions d’exercice de certains. Il est déçu de l’attitude conservatrice de certains taxis mais heureux de voir que la qualité de service qu’ils proposent s’améliore. Je pense que le client a besoin de repères, d’avoir accès à une offre lisible et consistante et qu’il est prêt à considérer différents niveaux de services, donc de prix, en fonction de la qualité de service qui lui est proposée. Dans ce conflit, tout le monde est un peu perdu, le client aussi.

La loi Thévenoud n’a-t-elle pas apporté de solutions satisfaisantes?

Elle a apporté quelques éléments de réponse. Notamment en affirmant que taxis et VTC faisaient tous deux du transport de personnes. Cela peut paraître anodin mais c’est fondamental. Mais elle a aussi essayé d’ériger des barrières artificielles entre ces derniers ; souvenez-vous des 15 minutes d’attente nécessaires entre deux courses, finalement remplacées par une obligation de retour à la base des VTCs. Ou encore l’interdiction, inapplicable, de la géolocalisation aux VTC en la réservant aux taxis. Voire la formation obligatoire de 250 heures (7 semaines !) pour avoir sa carte de VTC, remplacée depuis par un examen écrit comparable à celui des taxis. Bref, pleins de petites choses, néanmoins très pénalisantes pour les VTC, qui, au lieu de rassembler, ont divisé.

Que pensez-vous de la proposition du think tank Terra Nova qui propose de faire racheter les licences des taxis par une structure privée agissant sous le contrôle de l’État, et couvrir le montant de la dépense grâce aux cotisations de l’ensemble des acteurs de la profession ?

Je vois l’intérêt de ne pas creuser la dette publique en demandant au privé de s’y substituer. Mais, le privé demandera un rendement, donc que la taxe nouvelle supportée par le secteur couvre le coût de rachat des licences, avec une marge. Cette dernière sera d’autant plus importante que le privé se méfiera d’un revirement possible de l’Etat. Dès lors, si le placement est rentable et certain, pourquoi l’Etat ne le ferait-il pas lui-même ?
 
Au-delà de cela, il y a un problème de fond : comme toute taxe, elle sera in fine supportée par le consommateur. Pourquoi ce dernier, encore grand oublié de cette idée, paierait-il pour indemniser les taxis et pour leur modernisation?
 
Il me semble légitime de protéger certains taxis qui sont aujourd’hui dans une situation très difficile. Mais cela doit se faire au cas par cas. Et cela ne peut se faire que s’il y a une solidarité entre taxis, VTCs et le public. Pour créer cette solidarité, il faut commencer par proposer une vision et des mesures de rassemblement et non de division. Les réparations de guerre n’ont jamais marché.

Quels éléments permettraient aujourd’hui une concertation entre les parties prenantes?

Il faut d’abord une gouvernance claire. La médiation de M. Grandguillaume et la feuille de route de M. Vidalies vont, à ce titre, dans le bon sens. On semble maintenant avoir des interlocuteurs capables de prendre des décisions pour l’ensemble de la filière sans que des initiatives isolées d’autres ne troublent le jeu.
 
Ensuite, il faut aller plus loin et dire la vérité aux différentes parties. Taxis et VTC vont, à terme, converger. Car, du point de vue du client final, ils font peu ou prou la même chose. Il ne sert à rien d’ériger des barrières artificielles entre eux, il faut faire converger les réglementations applicables à chacun, ce qui comprend leurs droits et leurs obligations, et expliciter ce point d’horizon qui est inévitable. L’important est de le faire progressivement pour laisser à chacun le temps de s’adapter.
 
Enfin, il faut essayer de tirer l’ensemble du marché vers le haut en matière de sécurité, de formation et de services. Cela conduira à une amélioration de la qualité que certains clients sont prêts à valoriser. La perspective d’un label Grande Remise est, à ce titre, une très bonne initiative. C’est plus que symbolique : c’est une alternative crédible à la déflation mortifère qui fait peur à l’ensemble des intervenants, taxis en particulier.
 
C’est en faisant adhérer à une vision commune que l’on créera de la solidarité entre les parties et que l’on pourra faire supporter à tous le soutien qu’il convient d’apporter, au cas par cas, aux taxis.

Vous appelez à la mise en œuvre d’un cadre juridique clair. Quelles seraient les mesures à mettre en place selon vous ?

Faire converger les conditions d’accès à la profession pour VTC et taxis tout en maintenant des exigences élevées. Imposer un cadre juridique pour l’exercice qui impose à tous des coûts (charges notamment) et des temps de travail (pour des questions de sécurité) identiques entre VTC et taxis et au sein de chacun d’entre eux. Libérer les VTC des contraintes irrationnelles qui pèsent sur eux (interdiction d’emprunter les couloirs de bus et voies réservés, suppression de l’obligation de retour à la base, etc.). Dès lors, proposer un accompagnement aux taxis en situation difficile par le biais du rachat de leur licence, rachat financé par la mise en place d’une contribution supportée par l’ensemble du secteur et ajustée au réel en fonction des demandes de rachat reçues.
 
Mais, encore une fois, commencer par dire vers où le marché va, inexorablement, expliquer comment le régulateur va accompagner cette transformation et offrir des perspectives, par un travail sur la qualité de service, à tous, en particulier les passagers et les chauffeurs.
 

Guillaume Connan est directeur général de Chabé, le leader français des voitures avec chauffeur.
Représentant de la 4ème génération à la tête de cette entreprise familiale, il l’a rejoint en 2014 après en avoir été administrateur pendant près de 10 ans. Auparavant, Guillaume Connan a accumulé près de 15 ans d’expérience dans la gestion de fonds d’investissement, ayant principalement accompagné le développement d’entreprises de croissance européennes dans le domaine des technologies de l’information et de la santé, cotées ou non, depuis leur création jusqu’à leur cession. Il a commencé sa carrière en tant qu’analyste financier chez JP Morgan, après avoir créé pendant ses études à HEC, deux start-up innovantes dans le domaine des services et de l’Internet.

 





1.Posté par Savary le 07/05/2016 16:57 | Alerter
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