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Comment le consommateur bouscule le marché des loisirs





Le 7 Octobre 2013, par Sophie Laurent

Aujourd’hui, comment les Français occupent-ils leur temps libre? C’est une question que se posent, à l’évidence, les professionnels des loisirs de toutes sortes, à l’affût de la moindre évolution des modes de vie qui sont autant de nouvelles parcelles de marché pour qui sait les saisir… et de risques, pour qui ignore les nouveaux comportements.


Les facteurs évolutifs du rapport des Français au temps libre

Depuis ces dernières décennies, les innovations technologiques ont permis de réduire considérablement le temps passé aux tâches domestiques. En même temps, les moyens de transport se sont développés, créant une mobilité libre et proposant un choix de plus en plus large. Surtout, la spécificité française tient au passage aux 35 heures qui a opéré un bouleversement progressif des valeurs vers une société des loisirs. De surcroît, la part de la population inactive qui reste en bonne forme augmente et les seniors représentent maintenant les premiers consommateurs du marché du bien-être. Depuis quelques années, l’Observatoire des Loisirs PMU-TNS Sofres qui analyse les relations des Français avec leur temps libre observe une évolution des mentalités. En effet, comme le fait remarquer Odile Peixoto, directrice du Pôle Etudes de Téléperformance de l’observatoire, « la RTT semble ouvrir grand la porte à cette fameuse société des loisirs tant annoncée, hédoniste et individualiste... Les actifs qui bénéficient de la RTT et qui ont goûté à ce temps individuel de ressourcement sont plus nombreux que les autres à souhaiter encore plus de temps pour s’occuper de soi. Le besoin est en train d’être crée. En même temps, on assiste à une sacralisation du corps.»

Le sport : loisir favori des Français

Selon un dernier sondage réalisé en février 2013 par TNS Sofres, le sport reste le loisir favori des Français pour 24% d’entre eux. Et quand le marché du bien-être flirte avec celui du sport, le concept est porteur. Effectivement, le marché du bien-être pèse aujourd'hui en France plus lourd que l’industrie de la mode et du luxe avec 37,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires contre 35 milliards. Comme l’explique Eric Kohn, directeur du groupe Hebe, le numéro un des centres de fitness en France, il a toutefois fallu imaginer des concepts en cohérence avec l’évolution des modes de vie : « Pour répondre aux besoins des ménages, nous avons créé notre concept de club fitness low-cost, Fitness Park et Lady Moving, notre concept 100% femmes répond aux attentes de la femme active en lui offrant la possibilité de prendre soin d’elle en 30 minutes ». Sous la double contrainte du temps, et de l’argent, le consommateur français papillonne donc davantage qu’il ne savoure. Mais ces deux attitudes sont-elles antagonistes pour autant ? Assurément pas, à en croire la dynamique qui se profile sur le marché du tourisme.
cc/Flickr/Express Monorail
cc/Flickr/Express Monorail

Sublimer l’instant : en quête du « shoot » de bien-être

Le marché du tourisme aussi évolue : les Français préfèrent partir moins longtemps, mais plus fréquemment – voire frénétiquement ! -, et diversifier les expériences comme pour mieux ponctuer leur vie et multiplier les « tranches de souvenirs ». Mais si les séjours courts ont le vent en poupe, ils n’en doivent pas moins être perçus comme exceptionnels ou inédits, à en croire l’analyse de James Blouzard. Le fondateur de Wonderbox, leader Français du coffret-cadeau, y décèle en effet une exigence accrue des consommateurs vis-à-vis des professionnels du tourisme dont le rôle dépasse désormais la simple intermédiation : « Pour un prix connu d’avance, ils savent qu’ils peuvent faire des découvertes, sans mauvaise surprise, chez des prestataires testés et approuvés par nos soins ainsi que d’autres clients. Cela nous place en situation de prescripteurs. » Le patron de Wonderbox avait déjà observé cette tendance, lorsqu’il opérait à la tête de la filiale française de Last Minute : « On observe une augmentation et une fragmentation des temps de loisirs en Europe. La France, avec le système des RTT, n’est pas exclue de ce phénomène. Le facteur crise accentue un peu plus encore cette tendance et conduit les gens à rechercher le meilleur rapport qualité/prix, même si cela suppose de partir du jour au lendemain ». D’où l’idée de positionner la stratégie de Wonderbox au carrefour du tourisme, de la détente, du bien-être, et de la découverte. Ainsi, « les revendeurs ont compris que le coffret-cadeau leur permettait d’offrir à leurs clients des prestations dont la qualité est cautionnée par d’autres professionnels », résume James Blouzard qui tient à gérer son entreprise en « bon père de famille ».

Usines à rêve

S’il est bien un enjeu stratégique que Disneyland Paris partage avec Wonderbox, c’est celui de parvenir à extirper le consommateur de son quotidien en provoquant chez lui un sentiment d’évasion. Chez Disneyland Paris, tout doit évoquer la magie, le rêve. Chaque collaborateur du parc d’attraction doit incarner une certaine idée de l’insouciance et du bonheur. Dans les coulisses de la multinationale, quelques managers s’affairent quotidiennement à rappeler aux 14000 salariés pourquoi ils sont payés avant tout : sourire. Pour Philippe Renauld, le responsable du recrutement des danseurs, le choix des collaborateurs revêt des allures de casting pour Broadway : « Les visiteurs doivent être envahis par un véritable festival d’émotions », confesse-t-il. D’ailleurs, chez Disneyland, on n’est pas salarié, mais « cast member ». Au niveau corporate, même exigence : « les «imagineers» (créatifs) du marketing, qui définissent les grands thèmes de communication des cinq prochaines années, se font taper sur les doigts par le siège californien si leurs campagnes privilégient l’efficacité au détriment du rêve », relate le magazine Capital. Le rêve, sur le marché des loisirs, serait donc en passe de détrôner le tangible. Mais fidéliser un rêveur est compliqué, même le rêve doit se renouveler pour satisfaire aux envies du public.

« A la dernière minute » : le virus de l’instantanéité low cost

Si le culte de l’instantané est né avec le café lyophilisé, il s’est désormais répandu dans des pans entiers de nos habitudes de consommation. A commencer par les loisirs au sens large, depuis l’envie de partir en week-end au dernier moment, jusqu’à la gloutonnerie de produits culturels : plus question d’attendre la sortie d’un album ou de faire la queue au cinéma pour profiter d’une avant-première. L’avant-première, désormais, se « consomme » depuis chez soi grâce à la démocratisation de la VOD, ou… à cause du piratage. C’est selon l’éthique de chacun. Car « en facilitant l'accès aux films, à la musique, à l'information, Internet a fortement contribué à banaliser ces biens, et, par voie de conséquence, à dévaloriser l'offre traditionnelle », explique Gérard Mermet, sociologue. De fait, la dimension « prix » est devenue presque abstraite, tant l’accès au gratuit est aujourd’hui facilité. Par extension, l’apparition de la presse gratuite et des pure players de l’info sur Internet ont chamboulé le journalisme traditionnel, jusqu’à repousser son modèle économique dans ses derniers retranchements. Bonne nouvelle pour les nouveaux entrants : le magazine du XXIème siècle reste encore à inventer ! Aucun pan du marché des loisirs, entendu au sens large – depuis le bien-être jusqu’à l’industrie culturelle en passant le tourisme – n’a donc échappé à cette inversion de paradigme. Et à l’évidence, la nouvelle génération de dirigeants s’y était préparée. D’autres, campés sur une stratégie marketing inerte car héritée des Trente Glorieuses, en ont déjà fait les frais. Le consommateur, sur ce marché, n’aura jamais autant dicté sa loi.




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