Le 2 décembre dernier, dans une tribune publiée dans le quotidien Le Monde, le professeur d’économie Pierre-Yves Gomez s’est interrogé : « Actionnariat familial : quel avenir ? ». Soulignant que le couple famille-entreprise avait été, dès les prémisses du capitalisme, étroitement associé à la mise sur pied de la société industrielle, le chercheur soulignait justement que ce « capitalisme d’héritage » avait progressivement reculé au tournant du XXe siècle.
C’est le début d’un long déclin des « sociétés en commandite », qui permettaient l’accumulation du capital par transfert générationnel et sa conservation dans la même famille, plus ou moins élargie. La société anonyme s’était alors imposée, assurant une plus grande sécurité financière pour ces dynasties et permettant aux actionnaires et aux dirigeants de ne pas être responsables sur leurs biens propres. Une rétrospective historique intéressante, mais qui n’explique pas pourquoi ce modèle d’entreprise peine tant à s’imposer dans la durée en France, notamment en comparaison avec nos voisins allemands ou italiens. Obstacles fiscaux pour transmettre son entreprise ? Difficultés pour trouver un dirigeant au sein de la famille ou bien une personne externe au cercle familial ?
Outre-Rhin, le modèle de l’actionnariat familial demeure prépondérant dans le tissu de PME qui font le succès économique de l’Allemagne : selon le ministère de l’Économie allemand, 99 % des entreprises allemandes sont des PME et elles génèrent à elles seules 39 % du chiffre d’affaires global des entreprises du pays tout en employant 14 millions de salariés, soit 61 % de la population active. Et parmi ces PME, 95 % d’entre elles sont des sociétés familiales.
Une réussite aux facteurs désormais bien connus : une spécialisation efficace (1 307 PME allemandes sont les leaders mondiaux de leur activité, contre à peine 75 en France), des relations entre syndicats et directions plus souples qu’en France, des dispositifs d’apprentissage et d’alternance bien rodés, un système bancaire au service des PME, une très forte intégration régionale des PME entre elles sur un même territoire… Mais aussi un système de transmission plus simple : l’héritier et principal actionnaire est souvent un enfant du dirigeant, qui reprend le flambeau de l’entreprise après avoir fait carrière ailleurs, dans une autre compagnie. Les autres descendants sont pour leur part désintéressés par des dispositifs contractuels de mise en société collective et de fondation avec ou sans droit de vote au conseil d’administration, afin de préserver l’unité de direction et de ne pas diluer l’actionnariat.
Cette véritable « culture de la transmission » présente dans toutes les strates de l’économie en Allemagne peine à se développer de ce côté-ci du Rhin principalement pour des raisons fiscales. En effet, le taux d’imposition marginal applicable aux transmissions en ligne directe peut s’élever en France jusqu’à 45 %, contre au maximum 30 % en Allemagne… Et à peine 4 % en Italie !
Une fiscalité italienne qui explique d’ailleurs en partie la réussite de ce modèle chez nos voisins transalpins : selon Gian Maria Gros-Pietro, Président du Conseil d’Administration de la banque Intesa Sanpaolo, « plus de 60 % des entreprises cotées sont familiales et plus de 50 % de celles-ci ont un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros. L’analyse d’un échantillon de moyennes entreprises italiennes montre que dans 70,5 % d’entre elles, le conseil d’administration est composé pour plus des trois quarts de membres familiaux ».
Certes, la fiscalité française pour les transmissions a été allégée en 2003 avec la création du Pacte Dutreil. Ce dernier permet en effet aux héritiers bénéficiaires d’obtenir une exonération de 75 % des droits de mutation dus à l’occasion de la transmission, mais ses nombreuses conditions d’application s’avèrent difficiles à respecter.
Lever ces difficultés techniques et juridiques n’est pas seulement un appui apporté à ces entreprises, c’est aussi et surtout un atout économique considérable, que la France ne peut pas se permettre d’ignorer. Car si l’Allemagne est sortie quasiment sans encombre de la crise financière de 2008, elle le doit en grande partie à ce tissu d’entreprises à actionnariat familial, le fameux « Mittelstand » : un tissu d’entreprises familiales et indépendantes avec un attachement fort à leur territoire qui traversent les décennies et les générations.
Celles-ci représentent un modèle bien extrêmement résilient face aux soubresauts de l’économie mondiale, d’abord grâce au lien personnel et étroit entre le propriétaire et son entreprise, qui développe généralement un intérêt prononcé pour celle-ci et son développement dans la durée. Un lien affectif pour une entreprise qui a été transmise par l’héritage et qui devra être transmise dans le futur : l’engagement est forcément plus prononcé que pour le management salarié d’une société par actions, humainement plus anonyme. Un actionnariat familial qui a aussi le mérite de raccourcir les processus décisionnels et de faciliter ainsi le mode de gouvernance. Enfin et surtout, cette stabilité et ces perspectives de développement dans la durée facilitent aussi considérablement l’accès au crédit auprès des organismes bancaires.
Autant d’éléments qui renforcent la pérennité de ces entreprises et qui leur permettent d’être un élément essentiel pour affronter une crise économique et pour se relancer après celle-ci.
En référence à cet article, l’interview de Jérémie Jeausserand et David Lambert, cabinet Jeausserand Audouard
C’est le début d’un long déclin des « sociétés en commandite », qui permettaient l’accumulation du capital par transfert générationnel et sa conservation dans la même famille, plus ou moins élargie. La société anonyme s’était alors imposée, assurant une plus grande sécurité financière pour ces dynasties et permettant aux actionnaires et aux dirigeants de ne pas être responsables sur leurs biens propres. Une rétrospective historique intéressante, mais qui n’explique pas pourquoi ce modèle d’entreprise peine tant à s’imposer dans la durée en France, notamment en comparaison avec nos voisins allemands ou italiens. Obstacles fiscaux pour transmettre son entreprise ? Difficultés pour trouver un dirigeant au sein de la famille ou bien une personne externe au cercle familial ?
La douloureuse comparaison allemande
Outre-Rhin, le modèle de l’actionnariat familial demeure prépondérant dans le tissu de PME qui font le succès économique de l’Allemagne : selon le ministère de l’Économie allemand, 99 % des entreprises allemandes sont des PME et elles génèrent à elles seules 39 % du chiffre d’affaires global des entreprises du pays tout en employant 14 millions de salariés, soit 61 % de la population active. Et parmi ces PME, 95 % d’entre elles sont des sociétés familiales.
Une réussite aux facteurs désormais bien connus : une spécialisation efficace (1 307 PME allemandes sont les leaders mondiaux de leur activité, contre à peine 75 en France), des relations entre syndicats et directions plus souples qu’en France, des dispositifs d’apprentissage et d’alternance bien rodés, un système bancaire au service des PME, une très forte intégration régionale des PME entre elles sur un même territoire… Mais aussi un système de transmission plus simple : l’héritier et principal actionnaire est souvent un enfant du dirigeant, qui reprend le flambeau de l’entreprise après avoir fait carrière ailleurs, dans une autre compagnie. Les autres descendants sont pour leur part désintéressés par des dispositifs contractuels de mise en société collective et de fondation avec ou sans droit de vote au conseil d’administration, afin de préserver l’unité de direction et de ne pas diluer l’actionnariat.
Difficultés françaises
Cette véritable « culture de la transmission » présente dans toutes les strates de l’économie en Allemagne peine à se développer de ce côté-ci du Rhin principalement pour des raisons fiscales. En effet, le taux d’imposition marginal applicable aux transmissions en ligne directe peut s’élever en France jusqu’à 45 %, contre au maximum 30 % en Allemagne… Et à peine 4 % en Italie !
Une fiscalité italienne qui explique d’ailleurs en partie la réussite de ce modèle chez nos voisins transalpins : selon Gian Maria Gros-Pietro, Président du Conseil d’Administration de la banque Intesa Sanpaolo, « plus de 60 % des entreprises cotées sont familiales et plus de 50 % de celles-ci ont un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros. L’analyse d’un échantillon de moyennes entreprises italiennes montre que dans 70,5 % d’entre elles, le conseil d’administration est composé pour plus des trois quarts de membres familiaux ».
Certes, la fiscalité française pour les transmissions a été allégée en 2003 avec la création du Pacte Dutreil. Ce dernier permet en effet aux héritiers bénéficiaires d’obtenir une exonération de 75 % des droits de mutation dus à l’occasion de la transmission, mais ses nombreuses conditions d’application s’avèrent difficiles à respecter.
Un modèle anti-crise
Lever ces difficultés techniques et juridiques n’est pas seulement un appui apporté à ces entreprises, c’est aussi et surtout un atout économique considérable, que la France ne peut pas se permettre d’ignorer. Car si l’Allemagne est sortie quasiment sans encombre de la crise financière de 2008, elle le doit en grande partie à ce tissu d’entreprises à actionnariat familial, le fameux « Mittelstand » : un tissu d’entreprises familiales et indépendantes avec un attachement fort à leur territoire qui traversent les décennies et les générations.
Celles-ci représentent un modèle bien extrêmement résilient face aux soubresauts de l’économie mondiale, d’abord grâce au lien personnel et étroit entre le propriétaire et son entreprise, qui développe généralement un intérêt prononcé pour celle-ci et son développement dans la durée. Un lien affectif pour une entreprise qui a été transmise par l’héritage et qui devra être transmise dans le futur : l’engagement est forcément plus prononcé que pour le management salarié d’une société par actions, humainement plus anonyme. Un actionnariat familial qui a aussi le mérite de raccourcir les processus décisionnels et de faciliter ainsi le mode de gouvernance. Enfin et surtout, cette stabilité et ces perspectives de développement dans la durée facilitent aussi considérablement l’accès au crédit auprès des organismes bancaires.
Autant d’éléments qui renforcent la pérennité de ces entreprises et qui leur permettent d’être un élément essentiel pour affronter une crise économique et pour se relancer après celle-ci.
En référence à cet article, l’interview de Jérémie Jeausserand et David Lambert, cabinet Jeausserand Audouard