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COVID-19 : Les mesures restrictives de liberté juridiquement validées, mais socialement inacceptées ?





Le 9 Novembre 2020, par Frédéric Rose-Dulcina

Récemment, les juridictions administratives sont une nouvelle fois venues au secours du pouvoir exécutif en validant à la fois le couvre-feu, le reconfinement, mais aussi la fermeture des commerces « non essentiels ». Toutefois, force est de constater que le second épisode de reconfinement semble plus difficile à faire accepter par les Français.
C’est un carton plein d’un point de vue juridique pour le pouvoir exécutif s’agissant des dernières mesures restrictives de liberté prises dans le cadre de l’actuelle crise sanitaire que connaît la France (et bien d’autres pays).


Image Pixabay
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En effet, par l’article 51 du décret n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, le Premier ministre a prescrit aux préfets de seize départements d’instaurer un couvre-feu entre 21 h et 6 h dans des zones qu’il leur incombe de définir. Une association et plusieurs requérants individuels ont demandé au juge du référé-liberté du Conseil d’État de suspendre cette mesure ou d’en limiter la portée en restreignant sa plage horaire et en prévoyant de nouveaux motifs de dérogation. Par une ordonnance du 23 octobre 2020, leur action en justice a été rejetée (CE, 23 octobre 2020, n° 445430).

Selon le juge des référés du Conseil d’État, en période d’état d’urgence sanitaire, il appartient aux différentes autorités administratives de prendre, en vue de sauvegarder la santé de la population, toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter les effets de l’épidémie. À cet effet, elles peuvent notamment adopter une mesure générale faisant interdiction aux personnes de sortir de leur domicile durant certaines heures. Mais une telle mesure qui, par nature, porte atteinte à la liberté personnelle doit être nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif poursuivi. Le juge des référés a relevé d’abord que la circulation du virus sur le territoire métropolitain s’est amplifiée ces dernières semaines, et que la crise sanitaire s’est aggravée nettement, en particulier dans les neuf métropoles des départements concernés. Il a constaté qu’en l’état actuel des connaissances scientifiques, les contaminations surviennent, pour une grande part, dans les lieux privés. Il a également précisé qu’une mesure de couvre-feu semble avoir montré son efficacité pour limiter la propagation du virus lors de sa mise en œuvre en Guyane en mars dernier.

Il a été constaté par ailleurs que la mesure était assortie de nombreuses dérogations correspondant à des déplacements indispensables, qu’elle est limitée dans le temps à la période d’état d’urgence sanitaire, et qu’elle revêtait un caractère moins restrictif qu’un confinement. Enfin, le juge a souligné la difficulté de moduler les horaires d’interdiction selon les zones géographiques concernées, le risque que ferait courir une extension des motifs de dérogation, et l’obligation pour le Premier ministre et pour les préfets de mettre fin sans délai aux mesures dès qu’elles ne seront plus strictement nécessaires.

Le juge des référés du Palais-Royal en a donc déduit que la disposition prescrivant aux préfets d’instaurer un couvre-feu ne portait pas une atteinte manifestement illégale aux libertés fondamentales.
Qu’en est-il du retour du confinement ?

De la même manière, par une décision du 29 octobre 2020, le Conseil d’État statuant en référé a considéré qu’il n’y a pas de doute sérieux sur la légalité du décret restaurant l’état d’urgence sanitaire sur l’ensemble du territoire et non dans les zones soumises à couvre-feu (CE, 29 octobre 2020, n° 445367).

En l’espèce, plusieurs requérants lui avaient demandé de suspendre l’exécution du décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 déclarant l’état d’urgence sanitaire, notamment pour les territoires non visés par le couvre-feu nocturne.

Sur la demande de suspension du décret déclarant l’état d’urgence sanitaire, le Conseil d’État a considéré que dans le contexte caractérisé par une persistance de la gravité de la situation sanitaire depuis plusieurs mois, de l’aggravation dans de nombreux départements, comme des caractéristiques d’une situation épidémique et des conséquences directes et indirectes de celles-ci dans les structures de soins et pour ceux qui doivent y être accueillis , le moyen tiré de ce que la déclaration d’état d’urgence ne serait nécessaire et donc légale que pour une partie seulement du territoire national n’est pas de nature à créer un doute sérieux sur la légalité du décret litigieux.

En ce qui concerne la colère de certains élus locaux quant à la fermeture des commerces de proximité « non essentiels », il semblerait une nouvelle fois que la balance penche en faveur de l’exécutif.

À titre d’exemple, par une ordonnance du 3 novembre 2020 et sans surprises, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a jugé que les pouvoirs de police du maire dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire ne lui permettent pas de rouvrir par arrêté les commerces administrativement fermés par décret, et ce même si la mise en œuvre de cette fermeture entraîne une concurrence déloyale (TA, ordonnance, 3 novembre 2020, n° 2066788).

Dans cette affaire, par arrêté du 31 octobre 2020, le Maire de Colmar avait autorisé l’ensemble des commerces non alimentaires de vente au détail de la commune à rouvrir à compter du 4 novembre 2020. Mais, le préfet du Haut-Rhin en sa qualité de représentant de l’État a demandé au juge des référés d’ordonner la suspension de cet arrêté.

Reprenant la jurisprudence du Conseil d’État « Commune de Sceaux » (CE, 17 avril 2020, n° 440057, mentionné dans les tables du recueil Lebon), le juge des référés rappelle que « la police spéciale instituée par le législateur fait obstacle, pendant la période où elle trouve à s’appliquer, à ce que le maire prenne au titre de son pouvoir de police générale des mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire, à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’État. Il s’ensuit qu’elle fait également obstacle à ce que le maire prenne des mesures de nature à rendre moins rigoureuses celles que les autorités compétentes de l’État, dans le cadre de leurs pouvoirs de police spéciale, ont édictées en vue de mettre fin à cette catastrophe sanitaire ».

Une décision similaire a été rendue par le tribunal administratif de Rouen le même jour s’agissant d’un arrêté du Maire d’Évreux. De nouvelles décisions de justice allant dans le même sens devraient également être prises dans les prochains jours contre d’autres arrêtés municipaux. En cas de saisine du Conseil d’État, il y a fort à parier que ces ordonnances suspendant l’exécution des arrêtés de certains élus locaux seront confirmées, et ce compte tenu de la jurisprudence précitée de la haute juridiction administrative.

Si, pour l’exécutif, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes d’un point de vue juridique, il convient de constater que le second confinement moins radical, moins général que le premier semble moins accepté socialement. Ce reconfinement a été calibré par le gouvernement pour qu’il préserve l’activité économique là où c’est possible avec le maintien d’un minimum de lien social notamment dans les établissements scolaires et les Ehpad.

Ce reconfinement se veut donc plus subtil, moins brutal et pourtant il est plus largement contesté par certains élus, commerçant, mais aussi certaines franges de la population de sorte qu’il est déjà permis de s’interroger sur ses effets.
La consigne d’Emmanuel Macron de « vivre avec le virus » ne semble en réalité pas entendue ou peut-être trop de sorte que chacun d’entre nous semble vouloir le vivre à sa façon…
 
FREDERIC ROSE-DULCINA
LEX SQUARED AVOCATS
 


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