Journal de l'économie

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Pour un décryptage de l’écosystème digital chinois





Le 20 Décembre 2019, par Agnes Boschet

Dans le contexte de digitalisation du monde et d’affrontement des puissances américaines et chinoises pour le leadership, il nous est apparu nécessaire de fournir un décryptage de l’écosystème digital chinois.


Des clés de lecture destinées aux dirigeants d’entreprises, aux porteurs de projets et à tous ceux qui veulent s’inspirer ou bien se préparer à la conquête de futurs marchés, aux partenariats, aux coopérations, ou aux alliances.  

À l’heure où de profondes transformations se produisent à la tête des grandes institutions internationales de régulation et d’harmonisation des marchés, on ne peut ignorer l’incontournable propulseur des flux mondiaux de données qu’est l’Empire du Milieu.

Fin 2019, au-delà du plan BRI (One Belt, one Road), il nous importe de distinguer le Plan Routes de la Soie Digitales chinois (Digital Belt & Road, DBAR) comme étant le vecteur d’un colossal changement de référentiel géostratégique à l’échelle internationale. Comment la Chine a su créer les conditions de la transformation du maillage digital du monde ?
 
Oublié le Plan façon Marshall ; il s’agit bien d’une stratégie globale de création de valeur immatérielle portée par la Chine du XXIe siècle et ses champions (BATXH). Il s’agit de la création d’un réseau d’infrastructures digitales solide dédié au développement du commerce, du transport de biens et de services. Et c’est sans compter sur l’utilisation du Big data entre les membres du réseau, pour mieux analyser et anticiper grâce aux outils de modélisation et d’imagerie. 

Les objectifs principaux du « Digital Belt & Road » concernent le développement du cloud entre les pays et entreprises membres pour accélérer la communication et la recherche, l’adoption de standards et de méthodologies scientifiques communes, l’identification des besoins, les opportunités de recherche et partenariat, la coopération entre les membres de la BRI et les institutions internationales. Le projet de maillage digital engagé exporte le soft Power chinois pour une nouvelle gouvernance planétaire avec à la clé, la réorganisation des institutions mondiales. 

Ainsi, ce sont quatre responsables politiques et hauts fonctionnaires chinois qui se trouvent désormais et respectivement à la tête des institutions suivantes : Qu Dongyu à la FAO, Food & Agricultural Organisation, Houlin Zhao à l’UIT Union internationale des télécommunications, Fang Liu à l’OACI Organisation de l’aviation civile internationale, Li Yong à l’ONUDI qui a pour but de promouvoir le développement industriel des pays « en développement ». Le monde pivote et les questions de souveraineté vont vite se poser et appeler la prise de décisions en matière de normalisation, certification, cybersécurité, propriété intellectuelle, etc.

Les entreprises chinoises du numérique ont très tôt affichées leur stratégie de déploiement global, leur organisation et leur capacité d’innovation. Elles portent la stratégie d’influence en dehors des murs. 
Le chef de file Alibaba Group affiche une capitalisation boursière de 450 milliards de dollars. En 2014, Alibaba Group fait le « buz » dans l’écosystème GAFAM/BATX, en signant la plus grosse introduction en bourse pour 125 milliards de dollars à Wall Street. Il confirme sa position de leader avec une levée de 11 milliards de dollars pour son entrée à la bourse de Hong Kong en novembre 2019. En 2015 Alibaba Group implantait son premier Data center en Californie et concluait en 2018, un partenariat international avec le Groupe Bolloré pour le développement du cloud computing, via sa filiale Aliyun. Avec ce partenariat, outre l’Europe, les autoroutes digitales d’Afrique et du Moyen-Orient vont vite se développer. Pour 2022, la perspective de croissance annuelle du marché mondial du cloud est de 50 % (source Intel 2018). 

Tencent a quant à lui détrôné Microsoft sur le marché mondial des jeux vidéo et s’est imposé comme un formidable technicien de l’image (10 % du capital d’Universal Music Group en août 2019 avec option d’achat pour 10 % supplémentaires). Et c’est sans compter avec sa capacité à jouer au maximum la carte de la diversification. En témoigne l’exemple de mutation de son réseau social WeChat, pour en faire un « couteau suisse » à la portée de tous les Chinois : e-commerce, e-payement, etc.

Ces deux groupes leaders ont à leur tête des spécialistes de la stratégie de la donnée (Jack Ma et Pony Ma Huateng) et managent de concert et en partenariat avec l’APL (Armée pour la Libération du Peuple), le Plan IA (Intelligence Artificielle) 2030 du pays.

Sur leur marché intérieur, les champions nationaux de la « plateformisation » ont su développer des partenariats stratégiques, gagner la confiance de millions d’e-utilisateurs, imposer de nouveaux modèles économiques et acquérir une envergure capable de faire de la Chine le leader du e-commerce. La plateforme est le lieu de l’expérience en directe et constitue en cela un outil puissant au service du modèle culturel chinois.
Pendant ce temps, l’Europe se contente d’utiliser les outils développés par des entreprises américaines, s’exposant à des risques de dépendance commerciale et de sécurité.

En reliant les continents asiatiques, européens via le Moyen-Orient et l’Afrique, l’Empire du Milieu contrôle que son plan géoéconomique aille à son terme. Notamment, la Chine apparaît dans de très nombreux consortiums transpacifiques reliant l’Europe à l’Asie via les câbles sous-marins. Et dans le cadre du conflit économique avec les États-Unis, Huawei a dû se résoudre à céder 51 % de ses parts de son activité Huawei Marine Networks.

La Chine est à l’origine de la mise en œuvre d’un plan de marketing stratégique ambitieux et s’est naturellement dotée d’une cyberforce d’espionnage pour accélérer la prise de contrôle des pays impliqués dans cette initiative. D’après les chercheurs de l’entreprise de cybersécurité FireEye, le groupe de hackers APT40 a signé les attaques d’organisations situées en Asie du Sud-Est (Cambodge, Hong-kong, Philippines, Malaisie), au Moyen-Orient (Arabie Saoudite) et en Europe (Suisse, Allemagne, Belgique, Royaume-Uni, Norvège). Et c’est sans oublier de préciser que la marine américaine (US Navy) et les équipementiers qui sillonnent les zones figurent parmi les cibles prioritaires.

La Chine a ouvert la voie pour une nouvelle centralité dont l’histoire s’écrit chaque jour. Les rapprochements avec la Russie se multiplient et la détournent de l’Europe. La géostratégie connectée 2025 se fera-t-elle sans l’Europe ? L’OMC ne se tire-t-elle pas une balle dans le pied quand elle condamne l’Europe pour ses subventions à Airbus tout en condamnant dans le même temps les États Unis pour leur soutien à Boeing ? À qui profite le crime ?

Agnès Boschet,
Co-auteur de « Chine digitale, dragon hacker de puissance », avec Jessica Chimenti, Thomas Duval, Nicolas Mera Leal 
VA Éditions, 11-2019





1.Posté par FREDERIC PICHON le 21/12/2019 17:45 | Alerter
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Merci Agnes pour cette synthèse précise des enjeux de la stratégie digitale globale de la Chine. Nos médias français ne s'intéressent définitivement pas assez à l''évolution de l'empire du milieu et son impact sur l'Europe qui n'arrive pas à se construire par manque de vision commune.

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