Comment l'histoire des clivages politiques, que vous analysez dans votre ouvrage, nous aide-t-elle à comprendre les dynamiques politiques contemporaines ?
Nous montrons dans ce livre que le clivage politique obéit aux mêmes règles en tout temps et en tous lieux, que c’est une constante des sociétés politiques. Retracer l’histoire du clivage politique à l’aide de nombreux exemples, éloignés dans le temps (l’Athènes et la Rome Antique) et l’espace (la Turquie, le Japon) permet de préciser et de valider le modèle que nous présentons, et donc d’en faire un outil fiable d’analyse de la situation politique contemporaine, et cela à diverses échelles : en France, mais aussi en Europe, en Occident… Nous constatons que nos sociétés sont dans une phase de recomposition du clivage politique telles qu’il en existe régulièrement, et nous pouvons en déduire les évolutions qui viennent.
Vous parlez de la montée des populismes et de la polarisation politique. Quels facteurs, selon vous, ont contribué à cette montée en puissance des populismes en France ?
C’est précisément un mouvement de fond, visible dans tout l’Occident, et qui tient à l’épuisement du clivage capitalisme/socialisme à la fin du XXe siècle. Nous sommes depuis entrés dans ce que nous appelons une phase d’anticlivage élitisme/populisme, où les élites ne sont plus séparées par un clivage idéologique et donc ont tendance à adopter des idées communes et à ne plus écouter les souhaits de l’électorat populaire, de droite comme de gauche. Cela conduit à quelques décennies de fausse alternance politique qui exaspère cet électorat populaire, mais aussi l’électorat de classe moyenne qui ne trouve plus du côté des élites de représentants de ses intérêts. Le populisme, ce sont les classes moyennes qui se joignent à l’électorat populaire, contre les élites qui les ont abandonnées.
Pensez-vous que la polarisation actuelle en France pourrait mener à une transformation durable du paysage politique, ou s'agit-il d'un phénomène temporaire ?
Cela va mener certainement à la mise en place d’un nouveau clivage, dont on devine déjà les contours. Au XIXe siècle, le clivage était entre les partisans de la monarchie et ceux de la république ; au XXe siècle, entre les partisans de l’ordre capitaliste et ceux du socialisme ; au XXIe siècle, il sera entre ceux qui pensent qu’il faut conserver l’universalisme républicain et ceux qui veulent faire de l’appartenance raciale ou ethnique la pierre de touche de la justice sociale.