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Déréférencement en matière de données pénales : le déréférencement est le principe, l’information du public est l’exception





Le 24 Mai 2023, par Frédéric Rose-Dulcina

Par une décision du 20 avril 2023 (CE, 20 avril 2023, n°463487, mention aux tables du recueil Lebon), le Conseil d’État a précisé dans quelle mesure il convient de faire droit à une demande de déréférencement d’un article de presse sur internet divulguant des données personnelles relatives à des procédures pénales. Une nouvelle contribution est ainsi apportée par le juge administratif au problème complexe du droit au déréférencement.


M. A a été condamné par un tribunal correctionnel français à 3 ans de prison dont 18 mois avec sursis, 2 ans de mise à l’épreuve et une interdiction de gérer une entreprise pendant 15 ans, pour des faits d’escroquerie, de banqueroute, de faux et usage de faux, d’abus de confiance et d’exécution de travail dissimulé. Un journal a relaté cette affaire judiciaire : le déroulement du procès, le jugement rendu et l’article sont en ligne sur le site internet du journal.

En appel, par un arrêt du 14 mars 2018, une cour d’appel a réduit la peine de M. A : 2 ans de prison avec sursis, 2 ans de mise à l’épreuve et 10 ans d’interdiction de gérer. Il n’y a pas d’article en ligne sur ce procès d’appel et sur l’arrêt de la cour. Autrement dit, sur internet, ce sont seulement le procès et la condamnation de première instance qui sont en ligne.

M. A a saisi la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) qui devait ainsi se prononcer sur une demande de déréférencement des résultats concernant la condamnation pénale de ce citoyen. Par une décision du 4 mars 2022, la CNIL a prononcé la clôture de cette réclamation et n’a donc pas fait droit à la demande de M. A. Ce dernier a donc saisi le Conseil d’État aux fins d’annulation de la décision susvisée de la CNIL. Bien lui en a pris puisque les Juges du Palais-Royal lui ont donné raison dans leur arrêt du 20 avril 2023.

Le Conseil d’État avait déjà eu l’occasion par le passé de fixer le cadre d’examen des demandes de déréférencement des pages web comportant des données relatives à des procédures pénales dans plusieurs décisions en date du 6 décembre 2019 (CE, 6 décembre 2019, n°401258, 429154, 405464).

Après un rappel des bases juridiques posées par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE, 24 septembre 2019, C-136/17), le Conseil d’État a considéré dans ces arrêts de décembre 2019 que :

- lorsque des liens mènent vers des pages web contenant des données à caractère personnel relatives à des procédures pénales, l’ingérence dans les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel de la personne concernée est susceptible d’être particulièrement grave en raison de la sensibilité de ces données ;
- il appartient en principe à la CNIL, saisie d’une demande tendant à ce qu’elle mette l’exploitant d’un moteur de recherche en demeure de procéder au déréférencement de liens renvoyant vers des pages web publiées par des tiers et contenant de telles données de faire droit à cette demande ;
- il n’en va autrement que s’il apparaît, compte tenu du droit à la liberté d’information, que l’accès à une telle information à partir d’une recherche portant sur le nom de la personne concernée est strictement nécessaire à l’information du public.

Dans l’affaire ici commentée, la CNIL ne s’est pas placée dans ce cadre particulier relatif aux procédures pénales, mais plutôt dans le cadre général du droit au déréférencement. Elle n’a pas tenu compte de l’ensemble des critères à mettre en œuvre susvisés, d’où la censure du Conseil d’État.

En effet, pour apprécier s’il peut être légalement fait échec au droit au déréférencement au motif que l’accès à des données à caractère personnel relatives à une procédure pénale à partir d’une recherche portant sur le nom de la personne concernée est strictement nécessaire à l’information du public, il incombe à la CNIL de tenir notamment compte, d’une part, de la nature des données en cause, de leur contenu, de leur caractère plus ou moins objectif, de leur exactitude, de leur source, des conditions et de la date de leur mise en ligne et des répercussions que leur référencement est susceptible d’avoir pour la personne concernée et, d’autre part, de la notoriété de cette personne, de son rôle dans la vie publique et de sa fonction dans la société. Il lui incombe également de prendre en compte la possibilité d’accéder aux mêmes informations à partir d’une recherche portant sur des mots-clés ne mentionnant pas le nom de la personne concernée.

Or, selon le Conseil d’État, il ressort des pièces versées au dossier que, d’une part, l’article de presse litigieux, qui se rapporte à des faits antérieurs à 2014, se borne à relater de façon factuelle le procès et la condamnation dont M. A. et la gérante de droit de la société au sein de laquelle il intervenait ont fait l’objet, sans comporter d’analyses ou de commentaires de nature à nourrir un débat d’intérêt public sur les enjeux liés à cette procédure. D’autre part, le requérant, âgé de 68 ans, dont la société, en cause dans l’affaire pénale relatée par l’article, a été liquidée en 2013 et qui ne peut légalement plus avoir la qualité de dirigeant d’entreprise jusqu’à ce que la peine d’interdiction de gérer à laquelle il a été condamné soit entièrement purgée, ne jouit pas d’une notoriété particulière, le dossier ne faisant à cet égard ressortir ni que l’affaire dans laquelle il a été condamné aurait fait l’objet d’autres commentaires publics, ni que la décision d’appel aurait elle-même donné lieu à un article de presse référencé par le même moteur de recherche à partir de son nom.

Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que l’article de presse litigieux ne serait pas accessible en ligne à partir d’autres informations que le nom de M. A. Enfin, l’article de presse dont le déréférencement est demandé ne peut être regardé comme reflétant la situation judiciaire actuelle de l’intéressé dès lors que, par un arrêt du 14 mars 2018, une cour d’appel a réduit la peine infligée au requérant par le tribunal correctionnel à deux ans d’emprisonnement assorti d’un sursis avec mise à l’épreuve de deux ans et à une interdiction de gérer de dix ans et a confirmé la peine complémentaire de première instance de publication de la décision en la limitant toutefois au dispositif de son arrêt et à une seule publication.

Pour la Haute juridiction administrative, dans ces conditions, et eu égard aux répercussions que le référencement de cet article est susceptible d’avoir sur la situation personnelle de M. A, l’accès à ce contenu en ligne à partir du nom de ce dernier ne peut plus être regardé comme strictement nécessaire à l’information du public, justifiant de maintenir le lien litigieux par exception au principe selon lequel la personne concernée a le droit au déréférencement des contenus la concernant.

La décision de la Commission nationale de l’informatique et des libertés du 4 mars 2022 refusant de mettre en demeure la société Google de déréférencer de son moteur de recherche, à partir du prénom et du nom de M. A..., l’article de presse le concernant a donc été annulée. Comme le permet la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 et les dispositions de l’article L.911-1 du Code de justice administrative, il a également été enjoint à la CNIL de demander à la société Google de procéder au déréférencement demandé.

Le Conseil d’État rappelle ainsi qu’en matière de données pénales, le déréférencement est le principe, et l’information du public l’exception. Cette récente décision de justice mérite d’être saluée, car elle consacre une nouvelle fois d’une certaine manière le droit à l’oubli pénal.

Frédéric ROSE-DULCINA
Spécialiste en droit public et en RSE
DEA Droit public des affaires
DESS Droit de la construction et de l’urbanisme
LEX SQUARED AVOCATS



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