Journal de l'économie

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L'épreuve du pouvoir, ou le déchirement du mythe présidentiel





Le 3 Avril 2017, par

Éditorial de La Revue des Affaires, N°7 (Avril 2017)


La monarchie française n’a jamais été confrontée aux enjeux électoraux, si bien que de nombreux auteurs datent spontanément l'avènement du « marketing politique » aux années post-révolutionnaires. C’est en effet à cette période qu’un simulacre de démocratie naissante exige des gouvernants qu’ils s’évertuent à légitimer – et c’est bien là, pour eux, la nouveauté – la moindre décision entérinée au nom du peuple. Ainsi que le suggère D. Reynié, dans son livre Le Triomphe de l’opinion publique, cette dernière serait l’émulation « d’une étrange confrontation historique opposant la puissance du monde social au pouvoir de le gouverner ».

La propagande moderne en est alors à ses balbutiements, et il fallait au moins ce changement de paradigme a un fin stratège comme Charles-Maurice de Talleyrand pour le laisser exprimer toute la dimension de son talent politique. On lui attribue notamment les premières actions de communication politique au sens contemporain du terme, et un cynisme clairvoyant à nul autre pareil.

Lui qui voyait en la politique une façon « d’agiter le peuple avant de s’en servir » inspira-t-il Gustave Le Bon, l’un des fondateurs de la psychologie sociale à la fin du XIXe siècle ? Selon l’auteur du célèbre ouvrage Psychologie des foules, « qui connaît l’art d’impressionner l’imagination des foules connaît aussi l’art de les gouverner ». Voilà une assertion que n’aurait probablement pas renié le « diable boîteux » Talleyrand, de presque un siècle son aîné.

Dans leur sillage, des théoriciens tenteront de circonscrire, dans la première partie du XXième siècle, ce que « opinion publique » veut dire. En 1908, l’Anglais Wilfred Trotter popularisera la notion de « comportement de masse » dans son ouvrage Herd instinct and its bearing on the psychology of civilized man. En 1928, c’est au neveu de Freud, Edward Bernays, que l’on doit le sulfureux Propaganda, qui scelle la première pierre des relations publiques. Cinq ans plus tard, la première agence de communication politique – Campaign Inc. - est créée par Clem Whitaker et Leone Baxter en Californie.

On croit alors tout savoir de l’opinion publique et de son rapport aux gouvernants, et il faudra attendre qu’à rebours de la pensée dominante, Bourdieu décoche une première flèche en plein cœur des sondeurs : « L’opinion publique n’existe pas », clame-t-il en 1973 au travers d’un article paru dans Les Temps Modernes. Cette invective académique du Tsar des sociologues remet légitimement en question la qualité organique de l’opinion : « Il y a d'une part des opinions constituées, mobilisées, des groupes de pression mobilisés autour d'un système d'intérêts explicitement formulés ; et d'autre part, des dispositions qui, par définition, ne sont pas opinion si l'on entend par là quelque chose qui peut se formuler en discours avec une certaine prétention à la cohérence. »

Quelle approche adopter, dès lors, pour étudier et comprendre cet agglomérat de réels perçus, qui reflète une vision très partielle (et parfois partiale) de notre protéiforme réalité sociale ? Les Spin Doctors pensent avoir trouvé la réponse, puisque c’est désormais au big data¸ pour certains d’entre eux, qu’ils ont vendu leur âme.

Au confluent de ces courants, se trouve une finalité immuable : la théâtralisation de la politique. Celle-ci nous enseigne que la communication politique n’est pas une science, mais bel et bien un art du spectacle. Le tribun moderne vend de l’émotion, faute de pouvoir donner des gages à l’épreuve du réalisme politique.

Dans ce maelström médiatico-artistique, les jeux du cirque politique sont un spectacle qui se contemple de haut. Car si le recul est nécessaire, c’est que nous choisissons ainsi nos Présidents ; pourvu qu’ils nous fassent (un peu) vibrer, le temps d’une éphémère représentation qui nous engage jusqu’à ce qu’ils ne soient plus a nos yeux que d’honorables gladiateurs à la retraite.

D’ici là, « l’opinion publique » aura encore vibré sensiblement, hué copieusement quelques fois, et se sera finalement lassée d’une pièce trop longue pour être contemplée jusqu’à sa fin. Et d’ici là, de nouveaux algorithmes auront été mis au point par de sourcilleux ingénieurs, pour tenter de corriger l’archétype du candidat idéal.

Mais c’est d’abord ça, le marketing politique : savoir saisir l’air du temps, qui ne se mesure toujours pas. Et caresser l’idée que dans les derniers soubresauts de la bataille électorale, au prix d’un engagement à la Pyrrhus, le candidat aura conquis les cœurs. La raison des spectateurs attendra l’accalmie médiatique.

Et d’ici là l’opinion publique, quant à elle, n’existera toujours pas.



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