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La gauche et la défense, une relation complexe





Le 23 Décembre 2022, par La Rédaction

Quel rapport la gauche entretient-elle avec les questions de défense ? À l’occasion de la parution de son ouvrage “Pouvoir politique et autorité militaire” chez VA Éditions, Antoine Maire revient sur la manière dont ce courant politique a pensé les questions de défense. La réforme de la “nouvelle gouvernance” du ministère de la Défense en 2012 offre un exemple éclairant de cette relation complexe.


La gauche entretient-elle historiquement une relation complexe avec les questions de défense ?

Effectivement, ce courant politique est historiquement marqué par une méfiance importante à l’égard de la chose militaire. Celle-ci a pendant longtemps été considérée comme un instrument utilisé par la noblesse ou par la bourgeoisie contre les classes populaires. Au-delà de cette méfiance, la gauche a également longtemps défendu le pacifisme et l’internationalisme qui se traduisaient souvent par des positions antimilitaristes marquées.

Comment la gauche est-elle parvenue à redéfinir son rapport aux questions de défense ?

 Les réflexions développées par Jean Jaurès autour de “l’armée nouvelle” à la fin du XIXe siècle ont changé la donne. Elles ont conduit la gauche à rompre avec un antimilitarisme strict pour porter le débat sur le mode d’organisation des armées. Ce dernier soulignait notamment l’importance de rompre avec la “vieille armée”, une armée professionnelle dont les pratiques étaient contradictoires avec la République. Il plaidait pour une “armée nouvelle”, basée sur la conscription. Cela devait permettre à l’armée d’être enchâssée dans la communauté nationale et dans la République. Cette caractéristique devait selon lui permettre de garantir que les armées ne jouent qu’un rôle purement défensif.

Comment la gauche a-t-elle pensé les questions de défense pendant la Ve République ?

La contribution intellectuelle de Jaurès n’a pas mis fin à la défiance qui prévalait entre la gauche et les armées. Cette défiance a été réactivée à l’occasion de la guerre d’Algérie, notamment au moment du retour du général de Gaulle au pouvoir en 1958 ou plus encore du putsch des généraux en 1961. Ces événements ont amené la gauche à considérer les armées comme une menace potentielle pour les institutions républicaines. Ces craintes ont également été alimentées par les travaux dénonçant le complexe militaro-industriel aux États-Unis. Dès lors, la gauche a accordé une attention constante au contrôle politique des armées.
La perspective de la conquête du pouvoir dans les années 1970 l’a néanmoins conduit, en particulier le Parti socialiste, à revoir ses orientations programmatiques pour le secteur de la défense. Malgré de nombreux compromis, la gauche s’est progressivement convertie à la nécessité des alliances et à l’utilité de la dissuasion nucléaire. Ces différents éléments ont amené la défense à devenir un objet apolitique, avec une convergence de la gauche et de la droite sur cette thématique. À titre d’exemple, la suspension de la conscription et le passage à une armée de métier n’ont pas provoqué de débat politique majeur. Les questions de défense étaient dès lors perçues comme un passage obligé pour crédibiliser la stature présidentielle des candidats, mais ce thème ne suscitait pas de controverses majeures.

En quoi la campagne présidentielle de 2012 se distingue-t-elle des autres sur ce sujet ?

 À partir du milieu des années 2000, l’organisation de la gouvernance du ministère de la Défense a évolué. Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, la publication d’un décret controversé en 2009 a conduit à faire du chef d’état-major des armées l’acteur majeur de la gouvernance du secteur de la défense, au détriment du ministre qui ne jouait alors qu’un rôle de faire-valoir. Cette évolution a suscité une controverse inédite. Lors de la campagne présidentielle, François Hollande a inscrit dans son programme présidentiel, à l’initiative de Jean-Yves le Drian et de son équipe, la nécessité de la réaffirmation du politique sur le ministère de la Défense. Il s’agissait notamment de réduire les pouvoirs du chef d’état-major et de repositionner le ministre au cœur de la gouvernance du secteur de la défense. Cette ambition politique s’est plus tard traduite par la réforme dite de la “nouvelle gouvernance” du ministère de la Défense qui a permis de parachever cette nouvelle organisation sous l’impulsion de Jean-Yves le Drian.
 

Comment la réforme dite de la nouvelle gouvernance du ministère de la Défense illustre-t-elle le rapport de la gauche aux questions de défense ?

La réforme de la nouvelle gouvernance témoigne de la volonté de la gauche de ne pas considérer le secteur de la défense comme un secteur à part, mais comme une organisation pleinement intégrée à la République. Dans ce cadre, le contrôle politique sur les armées ne peut être exercé uniquement par le Président de la République. Il doit également passer par le ministre et par son administration. Au sein de la réforme de la “nouvelle gouvernance”, la volonté initiale de faire de la nouvelle direction générale des relations internationales et de la stratégie une direction politique en offre un exemple. Au-delà de la seule question du contrôle politique, cela se traduit notamment par le refus au sein de la gauche de reconnaître une forme de spécificité militaire qui permettrait à ce secteur d’échapper aux règles communes. Cette volonté de normalisation se traduit par la volonté de démocratiser le fonctionnement des armées. Cela passe également par la volonté d’accroître le nombre de missions allouées à des acteurs civils au sein du ministère.

Existe-t-il encore aujourd'hui un réel clivage politique sur les questions de défense ?

La mise en œuvre de cette réforme a suscité une controverse virulente. Pour autant, cette réforme a débouché sur un relatif consensus. Les élections présidentielles suivantes n’ont vu aucun candidat afficher une volonté de revenir sur ce compromis. Dans ce cadre, la campagne présidentielle de 2012 apparaît comme une forme d’anomalie. Le débat a aujourd’hui évolué. Il ne porte plus sur les questions organisationnelles, mais plutôt sur les orientations budgétaires à adopter pour faire face à l’accroissement des menaces et des périls et sur les alliances à nouer pour y faire face.




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