Le e-commerce d’Amazon en danger d’ici 2024




Le 20 Février 2020, par Philippe Cahen

Ce signal faible est pour le moins paradoxal au vu des résultats récents d’Amazon qui vient d’entrer selon Deloitte dans le top 3 des distributeurs mondiaux, derrière Walmart et Costco lequel sera dépassé en 2020. Et pourtant, il y a menace sur Amazon …


Amazon – pour l’ensemble de ses activités - a atteint des sommets au quatrième trimestre 2019. 2019 se termine avec un chiffre d’affaires de 280 milliards $, soit +50 milliards !!! Et le résultat opérationnel, en progression de 2 milliards, atteint 15,54 milliards $. Ces 2 milliards $ sont en fait le résultat opérationnel de AWS, le cloud d’Amazon … qui croît d’ailleurs moins (+34%) que le cloud de Microsoft (+62%). Amazon ne détaille pas ses chiffres si ce n’est que le e-commerce international est en perte de 1,7 milliards $. Les abonnements des 150 millions de clients Prime - soit +50 millions en un an - sont une manne d’autant qu’ils dépensent bien plus que le client de passage … mais ils se font livrer gratuitement plus souvent là aussi sans détail du nombre. Or la logistique, dont Amazon ne précise rien, est une activité coûteuse (en 2018, rien que 27,5 milliards $ pour les frais d’expédition soit 16% du e-commerce). Un gouffre à chaque livraison…

La mine d’or de la place de marché

En 2018, la place de marché – l’ensemble des vendeurs sur le site Amazon - représentait 60% des ventes d’Amazon avec chaque année 1 million de nouveaux vendeurs. Et ses ventes progressent de 52% sur les vingt dernières années contre 25% pour les ventes faites directement par Amazon. Certes, Amazon « taxe » les entreprises présentes sur sa place de marché d’une commission de 15% environ et finalement en ajoutant le référencement, la place dans l’écran, la qualité de service, le temps de stockage, etc., le taux de 25 à 50% est estimé à environ 42 milliards $ en 2018. L’activité publicitaire (4ème acteur de la publicité internet aux Etats-Unis) n’est pas détaillée mais complète le panorama global d’Amazon. A la lecture de ces chiffres, la perspective d’un bénéfice passe pour Amazon, sur son site e-commerçant, par la publicité ainsi que par les revenus liés à la place de marché

Car le futur d’Amazon n’est apparemment pas dans un acteur direct de e-commerce.

Un acteur direct de e-commerce, c’est un acheteur, concepteur, fabricant éventuellement de produits. Il les stocke et les fait livrer à ses clients. Cette activité est lourde en personnel, notamment en logistique (stockage et livraison). D’ailleurs, Amazon annonce 800.000 employés en 2019 dans le monde même si Amazon progresse en robotisation de sa logistique. Amazon finance ces activités pour l’essentiel avec les profits du cloud. D’ailleurs, les magasins d’Amazon, dont surtout les 400 Whole Foods Market et bien sûr quelques Amazon Go, ne progressent pas en 2019, -1%, sans précision s’il s’agit des magasins physiques dans leur ensemble, ou à nombre comparable.
Dès lors, qui peut freiner la branche e-commerce d’Amazon dans sa marche en avant si ce n’est le n°1 du commerce mondial, l’américain Walmart.
 
Où en est Walmart ?

Walmart couvre tout le territoire américain avec 5.000 magasins (11.300 dans le monde) : 90% des américains sont à moins de 10 miles d’un Walmart. Walmart compte 1,5 millions d’employés aux Etats-Unis (2,2 millions dans le monde pour 528 milliards $). Dans le e-commerce, la croissance de Walmart en 2019 a été de 40% aux Etats-Unis contre 18,2% pour l’activité e-commerce d’Amazon à 140,2 milliards $. Walmart est donc en pleine réinvention.

A la différence d’Amazon, Walmart est bénéficiaire. Certes, les salaires de Walmart sont inférieurs à ceux d’Amazon. Toutes les recherches en cours de Walmart sont le contre-pied d’Amazon : conserver les points de contact humain par les magasins quitte à proposer aux Etats-Unis des livraisons illimitées à 98$ par an - contre 119$ chez Amazon – pour le dernier kilomètre avec 45.000 « acheteurs personnels » formés en trois semaines. Walmart teste d’ailleurs 3.000 « drive » français (commande sur internet, livraison au magasin) appelés les « Grocery Pickup ».

D’ailleurs, le magasin sous IA de Walmart est tout sauf un self-service à la mode Amazon GO. C’est un magasin qui facilite la vie des employés de Walmart pour libérer de leur temps à disposition des clients. Ils peuvent ainsi les conseiller tandis que l’IA leur indique les produits insuffisants en rayon, garantit les produits les plus frais, vérifie la disponibilité des chariots, fluidifie le passage aux caisses. Les données clients sont stockées par ailleurs moins d’une semaine contrairement aux masses de données exploitées par Amazon.

Deux modèles opposés de la vision du commerce

Deux modèles de commerce : Walmart reste avant tout un commerçant physique avec de nombreux points de vente. Amazon vise l’entrée sur Internet que ce soit sur le mobile, la maison (Alexa) et demain la voiture. A partir de cette entrée, Amazon capte le temps consommateur via Amazon Video et ses variantes et présente le e-commerce comme une facilité de vie. Ce sont deux conceptions de la vie. Mortar vs click.

Walmart est la vie dans la ville. Amazon est la vie numérique.

Or le e-commerce d’Amazon dans son fonctionnement actuel n’est pas viable. En revanche, que ce soit par Amazon en particulier ou le e-commerce en général, le e-commerce est dénoncé comme responsable de la fermeture de nombreux magasins sur tout le territoire américain et les malls se désertifient jusqu’à devenir des friches commerciales.

Les américains « moyens » grondent. La socialisation passe par des points de rencontre que sont les magasins Walmart, pas par les claviers de mobile ou la voix d’Alexa. Le président Trump est à leur écoute. Même à San Francisco, à Philadelphie et à New York, des villes démocrates, tout magasin doit accepter de payer en espèces : 6,5% des ménages américains ne sont pas bancarisés ! Par ailleurs, Amazon devient un monstre qui déséquilibre nombre d’entreprises dont Walmart, le premier employeur américain. La question du démantèlement, la recrudescence d’enquêtes antitrust, va resurgir avec la potentielle réélection de Trump comme l’élection de deux candidats démocrates. Amazon est clairement menacé de séparer le Cloud – AWS – d’Amazon e-commerce. Sans sa principale source de financement, Amazon ne vit plus. Sauf …

Sauf à n’être qu’un immense centre commercial numérique, une place de marché, qui ne vend plus de produits qu’il achète ou fait fabriquer et se sépare de la logistique. Avec Jeff Bezos, c’est possible. Il a prouvé à plusieurs reprises qu’il pouvait se séparer d’activités non rentables. Y compris de donner une nouvelle forme à l’hydre.
 
Je repars en plongée …
 
Philippe Cahen
Conférencier prospectiviste
Dernier livre : « Méthode & Pratiques de la prospective par les signaux faibles », éd. Kawa