Journal de l'économie

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Nous avons l'Europe que nous méritons





Le 8 Mai 2014, par Yves-Marie Moray

À la veille des élections européennes du 25 mai 2014, l’on ressent plus que jamais une double contradiction : d’une part entre le nécessaire besoin d’Europe pour réaliser les enjeux stratégiques de l’Union et l’euroscepticisme, lequel procède pour une large part d’une méconnaissance de ceux-ci due au déficit flagrant d’information. D’autre part, les élections du 25 mai 2014 concernent l’Europe des 28 alors que la véritable intégration européenne se situe dans l’Europe des 18, laquelle correspond à la zone euro, véritable cœur de la puissance économique du continent européen au début du 21e siècle.


Constat

La première confusion s’explique par le fait que l’Europe souffre d’un déficit démocratique considérable dans les médias et dans les politiques nationales, notamment celle de l’éducation.

À un mois des élections européennes, on ne peut qu’être surpris de ne voir aucune campagne d’information digne de ce nom sur les enjeux stratégiques de l’Europe initiée par le gouvernement français, en particulier par le ministère délégué aux affaires européennes, par les partis politiques traditionnels, par les médias traditionnels ou sociaux.

Le déficit démocratique dont souffre l’Union procède à l’évidence d’un manque d’information et de pédagogie. C’est d’autant plus vrai qu’avec les enjeux stratégiques qui sont les siens, sa taille et sa population, si l’Europe était un État, il serait sans conteste l’un des plus puissants au monde sur les plans économiques et militaires.

L’Union sort d’une crise économique et financière sans précédent à laquelle elle n’était pas préparée : les dirigeants européens n’ont pas perçu la nécessité de mettre en place une gouvernance économique efficace dès l’entrée en vigueur de l’euro en 2002. Certes, ce gouvernement économique se construit progressivement depuis la crise des dettes souveraines de 2008.

Il faut répéter que cette crise vient des États-Unis d’Amérique ; l’Union européenne n’en est pas responsable. Les eurosceptiques se trompent en lui en imputant la responsabilité.

Après la période de la sanctuarisation de la paix (années 50) et des golden sixties (années 70), l’Europe est rentrée dans la réalisation d’un vaste projet économique (le grand marché unique européen des années 90), mais elle n’a pu être vraiment appréhendée par les citoyens, car elle est trop souvent restée l’Europe des élites et des spécialistes. L’Europe est une entité que l’on connaît mal et que l’on ne comprend plus : le système institutionnel est un vrai labyrinthe et le mécanisme de prise de décision reste trop complexe. L’Europe de 2014 n’est donc plus une Europe unie, mais une juxtaposition de ses 28 États membres.

L’Europe à 28 a un urgent besoin de se réformer : il est vain de vouloir maintenir à tout prix un système institutionnel où chaque État membre dispose d’un siège au sein de la Commission européenne. Aucune entreprise ne pourrait fonctionner avec un conseil d’administration de 28 membres.

Les portefeuilles des commissaires européens sont morcelés pour donner à chacun quelques attributions, alors qu’il faudrait un maximum d’une dizaine de commissaires pour l’ensemble de l’Union, sachant qu’un commissaire ne représente pas son État dans l’exécutif européen, mais l’intérêt général de l’Union.

Comment mobiliser les citoyens européens pour une Europe à 28 qui est incapable de se réformer ?

Le vainqueur des élections européennes des 22 (le Royaume-Uni et les Pays-Bas organisent le scrutin le jeudi 22) et 25 mai 2014 (la tradition dans les autres États membres est de voter le dimanche) dans l’ensemble des 28 États membres sera l’abstention. Les eurosceptiques et les souverainistes lui emboîteront le pas.

Pourquoi en vouloir aux citoyens qui se décideront de la sorte alors qu’ils ne font que s’opposer à la manière dont l’Europe a fonctionné au cours des vingt dernières années ? La présidence de BARROSO sur cette période a fait perdre à la Commission son rôle majeur d’initiative européenne pour lui conférer celui de chambre d’enregistrement de la volonté des États membres.

Perspectives : enjeux

Pourtant, au fil des ans, l’Union est devenue un véritable outil de compétitivité économique pour les entreprises, sources de richesses et de créations d’emplois dans le cadre d’un grand marché qui dépasse les frontières nationales. La taille du marché européen est une chance inouïe pour les entreprises, en particulier dans les secteurs de l’énergie, du climat, de la santé, des services et de l’industrie de défense. L’Europe est non seulement une zone de croissance pour nos entreprises, mais aussi d’attractivité mondiale pour les entreprises étrangères. Il faut à l’évidence davantage d’Europe pour accélérer et renforcer la croissance, tout en lui donnant une meilleure visibilité et une plus grande valeur ajoutée.

Alors qu’un jeune européen sur quatre est au chômage dans de nombreux États membres, et même 1 sur 2 en Grèce, un grand marché offre davantage de flexibilité sur le marché du travail dans ses aspects recrutement et licenciement. C’est l’Europe qui détient la force économique et non plus ses États membres. En outre, dans plusieurs secteurs d’activité, le marché européen sert souvent de tremplin pour affronter le marché international. Les entreprises européennes ont donc besoin d’une Europe forte. L’Europe n’appartient donc pas à un passé démodé comme ses détracteurs voudraient le faire croire.

Rendre l’envie d’Europe procède d’un message pédagogique très simple à diffuser dans l’opinion publique, lequel consisterait à décliner les missions de l’Europe compréhensibles par tout un chacun des 511,5 millions de citoyens européens dans le quotidien de leur vie professionnelle et privée de tous les jours, comme cela fut le cas au début des années soixante pour la politique agricole commune dont les agriculteurs français ont très largement tiré profit.
 
Ainsi, faire comprendre la nécessité de finaliser le marché unique au niveau des capitaux et des services, de doter l’Union d’un véritable budget européen, alors qu’aujourd’hui elle vit de la mendicité que lui consentent ses États membres (moins de 1% du PIB des 28 ce qui ne donne pas à l’Union les moyens budgétaires de ses ambitions et de ses politiques), de mettre en place une convergence fiscale et sociale dans la zone euro de ses 18 États membres, d’expliquer tout l’intérêt des coopérations renforcées sur des projets spécifiques (dont la fiscalité) qui permettent à un certain nombre d’États d’aller de l’avant.

Un message pédagogique simple, accessible à tout un chacun permettrait de reprendre le grand rêve européen des pères fondateurs (Monnet, Schuman, de Gasperi, Bech, Adenauer, Spaak) seul à même de comprendre que l’on ne peut se passer de l’Europe dans la vie de chaque jour.

Aucun des États membres de l’Union ne peut vivre à l’heure de la mondialisation. Refuser ce constat fait craindre de voir les plus grands États membres ne plus figurer parmi les nations dirigeantes des enceintes internationales du type G 8 d’ici 10 à 15 ans. Si le monde se construit sans nous, il se construira contre nous.

La sortie de crise économique et financière se fera par une Europe plus compétitive, plus transparente et moins bureaucratique et davantage centrée sur la société civile, d’autant que l’Europe regorge de forces à stimuler et de talents à faire éclore.

Si le fédéralisme suscite parfois la crainte de l’opinion publique lorsqu’il est conçu sous la forme d’un super état fédéral, le fédéralisme européen doit porter sur des projets concrets du type monnaie unique et donc intégration monétaire, intégration budgétaire (avec la mise en place d’un Trésor européen pour la zone euro), intégration fiscale et sociale, émission de titres en euros, mutualisation des dettes de la zone euro, etc.

Ces différents vecteurs de l’intégration sont indispensables pour permettre à l’Europe de peser sur la scène mondiale face aux États continents que sont la Chine, les États-Unis d’Amérique, l’Inde, le Brésil, etc.

L'Europe des citoyens

L’Union européenne n’est pas une organisation de coopération économique du type OCDE. Il y a une dimension citoyenne qui est une de ses composantes majeures. Les 511,5 millions de citoyens ne peuvent et ne doivent surtout pas tout attendre des politiques qui font et défont l’Europe selon leurs intérêts nationaux du moment. La société civile et le monde associatif en particulier ont un rôle majeur à jouer dans l’émergence d’une Europe plus lisible dans la vie de chaque jour.

Ainsi, à titre d’exemple emblématique d’un projet citoyen facile à réaliser, l’Union européenne connaît depuis des années une présidence tournante du conseil des ministres confiée pour six mois à un État membre (pour l’année 2014 : la Grèce et l’Italie).

À ce jour, il s’agit d’une présidence qui n’a qu’un seul rôle politique et administratif, lequel consiste à faire présider les réunions du conseil des ministres par des politiques ou des fonctionnaires de l’État qui exerce la présidence.

Les citoyens de l’Union ne connaissent rien de plus sur l’État qui a assumé sa présidence au terme de celle-ci. La société civile de cet État, les entreprises et les médias traditionnels (télévisions, journaux, magazines,…) et les médias sociaux auraient pourtant toute latitude d’entreprendre des initiatives concrètes pour mieux faire connaître l’État président de l’Europe au niveau de sa culture (musique, littérature, …), de ses traditions, de ses enjeux économiques propres. Sans une connaissance même partielle des autres citoyens européens, l’Europe ne sera jamais une réalité tangible.

En d’autres termes, la présidence tournante de six mois se doit d’être tournée vers les citoyens : c’est de l’intelligence culturelle de base que les Européens doivent s’approprier afin de se découvrir et de trouver les points de convergence entre eux.

Pour réaliser ce projet citoyen, nul besoin de l’Europe institutionnelle dans son état actuel. Une Commission européenne qui reprendrait son rôle qui lui est dévolu par les traités d’initiatrice de l’intérêt général se devrait d’encourager, par tous moyens mis à sa disposition, les initiatives des citoyens européens.

C’est dans cette perspective en particulier que la nouvelle Commission européenne qui sera mise en place pour la période 2014-2019 devra reprendre immédiatement les débats sur le statut européen d’association, pierre angulaire de la réalisation de projets citoyens européens. C’est un instrument juridique indispensable pour retrouver la confiance des citoyens et relancer l’intégration européenne.

Le Président du Comité Economique et Social Européen, Henri MALOSSE (seul Français à présider une institution européenne) entend lancer, après les élections du 25 mai 2014, les états généraux de la société civile européenne dans le cadre de la révision des traités prévue pour 2017 laquelle serait soumise à une nouvelle convention pour l’Europe dans laquelle le Parlement européen et les parlements nationaux auront un rôle essentiel à jouer.

C’est dans le cadre d’une Europe construite par des citoyens qui se connaîtront davantage que les enjeux stratégiques de l’Union seront librement acceptés (climat, énergie, environnement, santé, intégration budgétaire,…). Car l’Europe aura enfin une visibilité qui sera perçue et comprise par tous ; à ce titre, l’Europe sera enfin devenue solidaire. C’est la condition indispensable pour bâtir une identité européenne commune sans laquelle il n’y a aucun espoir de relancer l’intégration de l’Union. Les mentalités doivent changer. L’Europe doit fabriquer des Européens. Sous peine de connaître un déclin inéluctable, ceux-ci ne peuvent pas manquer ce rendez-vous avec l’histoire.

Nous avons l'Europe que nous méritons
Yves-Marie MORAY est avocat aux Barreaux de Paris (depuis 1986) et de Bruxelles (de 1983 à 1997). Gérant de la société d’avocats MORAY & ASSOCIES, il est également président du groupement européen d'avocats EUROLAW.




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