En juin dernier, vous avez été élu Président de l’association des Centraliens. Quelle est son ambition aujourd’hui?
Mon objectif est de soutenir le rayonnement de la marque « Centrale », en liaison avec l’école, qui en demeure le socle, mais qui a besoin de notre soutien. Pour ce faire, nous travaillons en étroite collaboration d’une part avec la direction de l’école, et d’autre part avec la fondation, qui est appelée à jouer un rôle majeur dans le financement de l’école.
Vous êtes porteur, au sujet de l’industrie française, d’une vision et d’un discours volontaristes qui trouvent pour ancrage la formation des élites de demain. La prospérité des nations industrialisées est-elle à ce point dépendante de la performance de nos grandes écoles et de nos universités ?
Si l’on fait une corrélation historique, on constate que développement et prospérité sont intimement liés à la qualité des formations de l’enseignement supérieur. Nous sommes dans un pays développé et ce n’est pas le coût peu élevé de main d’œuvre ou l’abondance de ressources naturelles qui peut aider à produire de la richesse. Ce n’est que par des formations de qualité dans l’enseignement supérieur que le pays peut continuer à se développer, à jouer la carte de l’innovation. Ce terme, très à la mode, est aussi au cœur de cette démarche : les pays en voie de développement ont vocation à rattraper le retard qu’ils ont vis à vis des pays aux technologies les plus avancées. Sans innovation, cette avance dont nous bénéficions encore aujourd’hui ne peut perdurer. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ces pays mettent l’accent sur le développement de l’enseignement supérieur, et en particulier sur leurs écoles d’ingénieurs.
On recense de nombreux classements internationaux d’écoles et d’universités, établis selon des critères qui suscitent parfois des polémiques ou, du moins, des contestations. Quel est le véritable rang de la France, selon vous ?
La mauvaise place de la France dans ces classements s’explique essentiellement par deux facteurs. Tout d’abord, le biais méthodologique : le système français des Grandes Ecoles est particulier, et diffère singulièrement des grands pôles universitaires étrangers qui ont vocation à générer plus de publications, d’ouvrages et d’avantage de chercheurs. Or, ce modèle de pôles prévaut au niveau mondial. La notion de taille critique entre ainsi en ligne de compte, et devient préjudiciable au bon classement de notre pays dans ces rankings. La méthodologie utilisée ne correspond pas à notre système d’enseignement supérieur, sans pour autant remettre en question sa qualité.
Le deuxième point, c’est qu’il existe une propension française à l’élitisme, avec la création de castes et de sur-castes presque à l’infini. Pour autant, il ne s’agit pas de remettre en cause le système des grandes écoles, mais de pointer la faiblesse des effectifs ainsi générés dans une économie globalisée. Le système fonctionne bien et génère des ingénieurs dont la valeur est reconnue mondialement. Mais en persistant à diviser ces diplômés dans notre quête du « roi du village », nous réduisons également leur visibilité jusqu’à devenir invisibles sur le plateau de jeu mondial. Nous perdons donc notre capacité à dialoguer sur un pied d ‘égalité avec les autres pôles d’enseignement supérieur de par le monde.
Cependant, les choses évoluent, et l’Ecole Centrale de Paris est au cœur de ce changement. HEC est également en train d’installer sa marque au niveau mondial en faisant, justement, le choix de former suffisamment de diplômés pour acquérir une visibilité internationale au sein des business schools, en additionnant sous la même marque ses MBA et masters aux effectifs de la Grande Ecole.
Le deuxième point, c’est qu’il existe une propension française à l’élitisme, avec la création de castes et de sur-castes presque à l’infini. Pour autant, il ne s’agit pas de remettre en cause le système des grandes écoles, mais de pointer la faiblesse des effectifs ainsi générés dans une économie globalisée. Le système fonctionne bien et génère des ingénieurs dont la valeur est reconnue mondialement. Mais en persistant à diviser ces diplômés dans notre quête du « roi du village », nous réduisons également leur visibilité jusqu’à devenir invisibles sur le plateau de jeu mondial. Nous perdons donc notre capacité à dialoguer sur un pied d ‘égalité avec les autres pôles d’enseignement supérieur de par le monde.
Cependant, les choses évoluent, et l’Ecole Centrale de Paris est au cœur de ce changement. HEC est également en train d’installer sa marque au niveau mondial en faisant, justement, le choix de former suffisamment de diplômés pour acquérir une visibilité internationale au sein des business schools, en additionnant sous la même marque ses MBA et masters aux effectifs de la Grande Ecole.
En somme, notre modèle d’enseignement supérieur ne serait pas adapté à la concurrence mondiale ?
La « sur-clusterisation » a prévalu jusqu’ici dans l’enseignement supérieur français. Cet enseignement supérieur a été pensé avant tout pour la France et feu son Empire colonial pour fournir les postes les plus en vue de l’administration ou des entreprises étatiques ou para-étatiques françaises, et non dans une perspective mondiale moderne. Dans de nombreuses écoles d’ingénieurs le classement perdure, à l’entrée comme à la sortie, et il a un impact réel sur la carrière des diplômés. Ce type de méthode est difficilement compréhensible dans l’univers des grands pôles de l’enseignement supérieur international. Ceci étant, à la différence de nombreuses écoles, l’Ecole Centrale a toujours établi une valeur équivalente à tous ses diplômés, et c’est un atout pour aborder ces nouveaux défis. On ne peut en aucun cas se satisfaire de notre place dans ces classements, et se contenter de trouver des excuses : nous avons besoin d’avoir des établissements d’enseignement supérieur scientifiques de niveau mondial, avec des « marques » connues, tout comme les Allemands, les Anglais, les Américains ou les Chinois aujourd’hui. Nous avons joué dans notre cour. Nous avons été les rois de notre village. Aujourd’hui, il est indispensable de changer de plateau de jeu dans la formation scientifique, comme l’a fait HEC dans les business schools.
L’association des Centraliens est un cercle où se côtoient de nombreux ingénieurs devenus entrepreneurs, industriels, managers… L’ingénieur « pure souche », tel qu’on l’imagine enfermé dans un laboratoire, est-il en voie de disparition ?
Ce que vous décrivez ici est une image d’Epinal. L’ingénieur en laboratoire est un chercheur. Cette vision est largement réductrice, d’autant plus qu’on ne parle plus uniquement de l’industrie comme champ d’action de l’ingénieur. Les sciences de l’ingénieur ont progressivement gagné l’ensemble des secteurs de l’économie moderne : économie numérique, commerce, pôle bancaire, assurance, ... L’ingénieur moderne a vu son champ d’expression s’accroitre, à la fois par l’extension du nombre de secteurs concernés, en largeur et en profondeur, n’étant pas limité par ses compétences aux tâches purement techniques. Il peut dorénavant développer sa carrière dans des postes plus généralistes de management.
La vocation de l’Ecole Centrale, et ce n’est pas le cas de toutes les écoles d’ingénieur, est de former des managers à culture scientifique. On a souvent tendance à penser l’ingénieur dans des postes purement techniques. Or, l’ingénieur est nécessairement un manager, même quand son équipe est technique, comme en usine ou en laboratoire. Mais aujourd’hui il est, du fait du développement des sciences de l’ingénieur dans l’ensemble des secteurs, le plus à-même de comprendre l’ensemble des composantes d’une entreprise. Par conséquent, il figure parmi les mieux placés pour prendre des postes de haut management ou de direction générale dans tout type d’entreprise. On retrouve des Centraliens dirigeants dans les entreprises de tous secteurs. Ce n’est pas un hasard : la bonne, sinon parfaite compréhension des enjeux technologiques est sans doute un facteur clé du succès d’une entreprise. Qui peut, mieux qu’un manager à culture scientifique, optimiser les ressources d’innovation, comprendre l’intérêt stratégique de tel ou tel investissement dans un nouveau business model ? Qui d’autre qu’un ingénieur peut échanger réellement avec les spécialistes de ces différents champs techniques intervenant dans les entreprises ?
La vocation de l’Ecole Centrale, et ce n’est pas le cas de toutes les écoles d’ingénieur, est de former des managers à culture scientifique. On a souvent tendance à penser l’ingénieur dans des postes purement techniques. Or, l’ingénieur est nécessairement un manager, même quand son équipe est technique, comme en usine ou en laboratoire. Mais aujourd’hui il est, du fait du développement des sciences de l’ingénieur dans l’ensemble des secteurs, le plus à-même de comprendre l’ensemble des composantes d’une entreprise. Par conséquent, il figure parmi les mieux placés pour prendre des postes de haut management ou de direction générale dans tout type d’entreprise. On retrouve des Centraliens dirigeants dans les entreprises de tous secteurs. Ce n’est pas un hasard : la bonne, sinon parfaite compréhension des enjeux technologiques est sans doute un facteur clé du succès d’une entreprise. Qui peut, mieux qu’un manager à culture scientifique, optimiser les ressources d’innovation, comprendre l’intérêt stratégique de tel ou tel investissement dans un nouveau business model ? Qui d’autre qu’un ingénieur peut échanger réellement avec les spécialistes de ces différents champs techniques intervenant dans les entreprises ?