Journal de l'économie

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Pierre Fayard : « Les petites économies momentanées peuvent se transformer en désastre »





Le 28 Avril 2014, par La Rédaction


D’après vous, une logique infernale s’ingénierait à transformer toutes les intentions initiales en leurs contraires, c’est ça la force du paradoxe ?

Si on s’endort, oui. Mais en étant éveillé et conscient de la complexité du monde et des relations, on peut en faire une stratégie gagnante en jouant à contre-courant, en dehors des sentiers battus là où l’on n’est pas attendu. Pour Hannibal et Bonaparte, temporiser jusqu’en été pour atteindre l’Italie par les vallées semblait bien plus logique que d’anticiper en hiver en franchissant des cols de haute montagne. Au regard du sens commun, ce n’était pas très logique, mais pourtant stratégique car cette action paradoxale leur a donné l’atout décisif de la surprise. Pour s’affranchir de ces mécaniques infernales, il faut le décider et oser se soustraire à des comportements spontanés non discutés parce que c’est toujours comme cela qu’on doit faire, et que cela satisfait la léthargie de l’ego. Pour faire du paradoxe son allié, il ne faut pas craindre d’innover en défiant la dictature aveugle des passions et des idées reçues. Des exemples ? En écoutant les autres pour mieux défendre son point de vue. En se taisant pour mieux communiquer, en s’affaiblissant délibérément pour s’emparer d’un avantage, en refusant de s’opposer pour mieux convaincre…

C’est une approche très subversive. Faudrait-il en permanence agir à contre courant et de manière, apparemment illogique, pour se procurer des avantages ?

Systématiquement, non, en fonction de la nature des situations, oui. Le monde n’est pas que rationnel. La raison est une île dans nos océans d’inconnaissance qui représentent des potentiels immenses. Le problème est que nous nous limitons nous mêmes. Il arrive que l’irrationnel d’aujourd’hui soit le rationnel de demain. Aux débuts du vingtième siècle sont apparus les P.L.A., soit les Plus Lourds que l’Air avec lesquels des écervelés irresponsables prétendaient voler ! Cela n’avait aucun sens. Aujourd’hui, les P.L.A. s’appellent avions, ils pèsent des tonnes et ils relient les continents comme jamais auparavant. Galilée s’est fait brûler les pieds pour soutenir le contraire de ce que chacun observait quotidiennement, à savoir que le soleil se lève au matin et se couche le soir, ce qui prouve bien que la Terre est au centre de l’univers. La science démontrera le contraire. Que d’énergie déployée quotidiennement à ne pas se faire confiance, et à se convaincre d’impuissance. Pour quelles fausses bonnes raisons se limiter ainsi ?

Alors, quelle stratégie proposer ? Parlez-nous des relations entre paradoxe et stratégie ?

En stratégie, le paradoxe est la rationalité même, serais-je tenté de dire. Pourquoi cela ? Plus on a des raisons de s’opposer, et moins il faut être prévisible et lisible pour l’autre. Au besoin, il est utile de le désinformer, voire de l’intoxiquer. Pour quelle folie suicidaire livrer à un ennemi, ou à concurrent, des informations pertinentes qui lui permettraient de se constituer un avantage à nos dépends ? Soyons sérieux, c’est précisément l’inverse qui est recommandé. Que l’autre prenne des lanternes pour des vessies, des baudruches pour des tanks, se concentre en pure perte et nous laisse le champ où nous avons choisi de nous engager. Le Traité des 36 stratagèmes chinois est un florilège de paradoxes aussi redoutables que créatifs. Morale, paradoxe et stratégie, mieux vaut ne pas confondre, l’histoire n’est pas écrite par les vaincus.

Alors, comment « apprivoiser » le paradoxe pour qu’il ne se tourne pas contre nous ? Comment s’en faire un allié ?

D’abord, en identifier les racines, comme je l’ai dit, les illusions, les obsessions et surtout les peurs sont ses carburants naturels. Et puis, calmer les ardeurs de l’ego si prompt à décréter, exiger et à se rendre sourd à ce qui le défrise ou le remet en cause. C’est une bonne chose de s’aimer soi-même, et sans doute la condition pour aimer les autres et contribuer au bien commun. Mais lorsqu’on ne voit plus que midi à sa porte, à l’exclusion des autres et de tous les possibles de l’environnement, on contribue à s’enfermer et le paradoxe, dans sa grande générosité, va nous y aider ! Ensuite, apprendre à voir beaucoup plus vaste, plus riche et plus complexe que les panoramas limités dans lesquels nous nous enfermons nous-mêmes. Où se situe le champ d’opération ? Là où se recrée le monde au moyen de représentations dont nous sommes les auteurs : soit dans notre boite crânienne assaillie pas des émotions. Les pensées parasites qui handicapent et qui condamnent naissent d’abord sous forme de graines, quantités négligeables, pourquoi donc s’en soucier. C’est pourtant faute de les éradiquer à la source qu’elles travaillent contre nous, et qui plus est, avec notre propre énergie qu’il serait plus utile de jouer créatif.

Pierre Fayard : « Les petites économies momentanées peuvent se transformer en désastre »
(1) FAYARD, P. & BLONDEAU E., La Force du Paradoxe – En faire une stratégie ?, Dunod, 2014, 258 pages.

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