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Strasbourg : La violence djihadiste, folie ou foi ?





Le 19 Décembre 2018, par La Rédaction

La récente tragédie de Strasbourg nous montre que malgré leurs défaites militaires au Moyen-Orient, les djihadistes n’ont malheureusement pas dit leur dernier mot. Depuis la vague d’attentats qui ensanglante l’Europe, politiques et experts questionnent la santé mentale des djihadistes en affirmant parfois que de tels actes ne pourraient être que l’œuvre de fous. Pour Edouard Vuiart, auteur d’Après DAECH, la guerre idéologique continue (VA Editions, 2018), s’il est évident que des déterminants psychiques, culturels et historiques sont à l’œuvre, il n’en reste pas moins que ces actes se font au nom d’une idéologie et d’une foi.


Même s’ils sont aujourd’hui de moins en moins nombreux, on se souvient qu’à la suite des attentats de Daech sur le sol français, un grand nombre de commentateurs et de gouvernants assurait que ces attaques devaient être comprises comme le fait de dangereux barbares psychopathes, mais qu’à aucun moment l’on ne pouvait y trouver un lien quelconque avec la foi. Et dans les rares cas où l’idée de croyance fut soulevée, celle-ci fut systématiquement accompagnée d’une reductio ad dementia – sorte de folie psychotique commune à tous les djihadistes. Le facteur religieux – que l’on refusait de concevoir comme moteur historique malgré les enseignements de la Révolution iranienne – fut ainsi balayé d’un revers de la main et réduit à l’état de simple symptôme. Négligeant la dimension théologique de la doctrine djihadiste, les commentateurs ont développé des visions où la foi n’avait jamais sa place. Les radicalisés étaient soit des idiots manipulés ne connaissant rien à l’islam ; des exclus sociaux frustrés ou des hystériques aux pulsions de violence inassouvies ; ou des éponges à propagande subissant un réel lavage de cerveau. Toutes ces dimensions défendent l’idée selon laquelle les djihadistes deviendraient des êtres aux actes inconscients, exprimant un symptôme et jamais un discours cohérent et construit. Or, si l’analyse de leur « non-dit » ou de leurs affects inconscients semble nécessaire, celle-ci doit néanmoins trouver ses propres limites face à l’explicite.
 

Remettre la foi à sa « juste place »

La propagande de Daech se fonde sur une interprétation des sources classiques, principalement le Coran et les hadiths, ainsi que sur les grands récits mythologiques de l’islam sunnite – comme celui de « Dabiq » (la « bataille finale » entre musulmans et « croisés »), de « Châm » (le refuge des croyants à la Fin des Temps), ou encore du « dajjâl » (l’antéchrist). Son discours se structure de façon didactique et incitative, et constitue un élément précieux pour appréhender la violence djihadiste et comprendre comment celle-ci est « légitimé » par une interprétation des codes et des textes islamiques. Son étude permet d’ouvrir les yeux sur tout un édifice idéologique, dont les racines, les fondements et les stratégies forment le soubassement justificatif de son recours à la violence. La propagande djihadiste mobilise ainsi des références coraniques ou prophétiques pour dénoncer la tolérance et l’humanisme, et pour défendre « l’obligation islamique » de combattre les « impurs ». Dans la revue Dabiq (n°15), Daech va même jusqu’à dénoncer la théorie de l’évolution de Darwin, le matérialisme historique marxiste, l’athéisme militant de Nietzche, l’analyse de la structure familiale de Durkheim et l’importance du sexe selon Freud, comme des « enseignements [qui] ont fait leur chemin dans les sociétés occidentales à travers le système éducatif et l’industrie médiatique dans le but de produire des générations dépourvues de toute trace de foi ». Remettre la foi à sa « juste place », c’est-à-dire au-dessus de tout : voilà l’objectif essentiel du salafisme djihadiste takfiriste contemporain.

Violence et folie

Notre analyse semble parfois rester sourde à ce discours. Plus les djihadistes s’évertuent à détailler les raisons de leurs agissements, plus nous en trouvons d’autres. Plus ils deviennent explicites, et plus nous nous focalisons sur leurs « non-dit » et leurs affects inconscients. Si les individus peuvent agir pour des raisons qu’ils ne discernent pas eux-mêmes, celles auxquelles ils disent adhérer ne peuvent être considérées comme simple « fantasme idéologique » sans lien avec le débat. Toute victoire sur notre ennemi semble donc compromise – ou du moins retardée – tant que nous ne prendrons pas la peine de comprendre la part de rationalité qui émane du discours djihadiste. Réduire allusivement le violence terroriste à des « délires », c’est ignorer à la fois le propre du djihadisme, qui est un appel à rejoindre une communauté combattante ; la spécificité du salafisme, qui suppose l’adoption d’un système de valeurs et de croyances incompatible avec nos sociétés démocratiques ; ainsi que les particularités de la rhétorique de Daech, qui ne se limite pas à encourager des « attentats-suicides » mais défend une vision géopolitique basée sur la promesse d’une victoire eschatologique des « vrais croyants ». Il y a donc un véritable danger à représenter tous les djihadistes comme des incultes religieux. Certes, certains d’entre eux ne parle pas l’arabe et n’ont jamais lu les textes sacrés de l’islam, mais d’autres ont su articuler leur engagement autour d’un corpus djihadiste formateur.
 

Une guerre idéologique à commencer

La lutte contre l’idéologie djihadiste est fondamentale car il ne s’agit pas d’un « lavage de cerveau » produisant des êtres barbares et irrationnels, mais d’une vision de l’Histoire et d’une mission à l’échelle mondiale. Il est donc désormais impératif de sortir au plus vite de cette vision absconse d’un djihadiste purement « barbare » et d’une soi-disant « guerre de civilisation contre la barbarie » et d’accepter la nécessité de comprendre la part de rationalité qui pousse ces individus à passer à l’acte.

[Edouard VUIART, Après DAECH, la guerre idéologique continue, VA Editions, 2018]




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