Panama, Libéria, Iles Marshall, Bahamas… Ces pays caracolent en tête des classements du commerce maritime mondial. « Comme le révèlent les chiffres de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (UNCTAD), la grande majorité du transport maritime mondial se fait sous pavillon de complaisance, note le site Statista, c’est-à-dire par des navires immatriculés dans un pays autre que celui de propriété réelle, dans le but d’échapper à un certain nombre de normes, réglementations, contrôles et taxes. » Selon les chiffres de l’ONU, en 2022, le Panama, le Liberia et les Îles Marshall à eux seuls représentaient 44,3% de la capacité mondiale de chargement. Le Top 8 des bateaux naviguant sous pavillon de complaisance concentrait même 74% de ces mêmes capacités. Une proportion aussi colossale que problématique. Surtout pour les opérateurs européens qui, eux, respectent les règles du jeu.
La fiscalité, arme nº1 contre la concurrence déloyale
En Europe, certains pays sont en pointe dans la protection des intérêts des grands armateurs nationaux, face à cette concurrence déloyale qui s’affranchit de toute règle. Le transport maritime présente en effet des spécificités très particulières, synonymes de certaines réglementations avantageuses, dans le cadre de la Politique maritime commune édictée par le Parlement européen : « La concurrence dans le transport maritime représente un problème délicat pour la Communauté, car il lui revient à la fois d’assurer le déroulement ordonné de la compétition économique à l’intérieur de ses frontières et de défendre les intérêts de ses entreprises sur les marchés internationaux. Avec l’hétérogénéité du marché maritime par rapport à celui des transports terrestres, le mode maritime a été exclu de l’application du règlement relatif à la concurrence dans le secteur des transports. » Une position spécifique qui concerne par exemple les trois poids lourds du secteur en Europe : CMA CGM (France), Maersk (Danemark) et Hapag-Lloyd (Allemagne).
Mais l’Europe a une épine dans le pied : Chypre, dont le pavillon de complaisance pose question. « Les navires battant pavillon français sont tenus de respecter le droit du travail français, sous réserve des adaptations prévues par le code des transports pour les gens de mer, avançait la sénatrice française Agnès Canayer (LR), lors d’une séance de travaux parlementaires en 2023. Selon Armateurs de France, les compagnies P&O Ferries et Irish Ferries utilisent un modèle social moins-disant, en faisant appel à des sociétés de placement de gens de mer pour leurs navires sous pavillon chypriote et en employant un personnel très faiblement rémunéré. On estime que la différence entre armateurs français et britanniques en matière de charges salariales peut aller jusqu’à 80%. Les écarts du coût du transport de passagers entre les navires sous pavillon français et les navires sous pavillon chypriote s’établissent à 35%. » Un vrai problème de compétitivité des entreprises, en plus d’être un problème social.
Le coût du travail et la fiscalité sont en effet centraux dans la question de la concurrence face aux opérateurs étrangers, en particulier ceux sous pavillon de complaisance. C’est aussi pour protéger la compétitivité européenne que la cinquantaine d’armateurs tricolores, comme leurs concurrents européens, sont sujets à la « taxe au tonnage » plutôt qu’à la taxe classique sur les bénéfices des entreprises. Un statut que certains partis politiques français aimeraient remettre en cause, quitte à torpiller la kyrielle de PME du secteur dont les volumes d’affaires sont trop faibles et seraient contraints de mettre leurs bateaux sur cale si cette taxe au tonnage était remise en cause. « Supprimer ce régime spécial conduirait assurément à une rupture de compétitivité des filières maritimes et portuaires françaises, assuraient les armateurs français dans une tribune parue fin juin dans le Journal du dimanche (JDD), ainsi qu’au déclin inéluctable d’un pavillon français pourtant redevenu dynamique grâce à ce régime. Cela emporterait des répercussions négatives sur la filière industrielle navale et sur notre maillage logistique terrestre pour desservir les grandes places européennes. » Un choix politique donc, surtout à l’heure des grandes tractations post-législatives. Si la France veut garder la main et affronter les pays tiers sur les océans, elle se doit donc de protéger son industrie.
Taxe carbone : vraie fausse bonne idée ?
Toujours dans le domaine de la fiscalité, un grand sujet agite tous les décideurs de la planète : la décarbonation. Et le transport maritime international – qui s’appuie sur plus de 100 000 bateaux en activité – ne fait pas exception. Selon le rapport du GIEC de 2022, ce secteur représenterait 16% des émissions du fret à l’échelle de la planète, et quelques 70% des tonnes-kilomètres transportées. Tous les bateaux opérationnels sont très gourmands en énergie, que ce soient les navires marchands, les vraquiers, les porte-conteneurs ou les pétroliers.
En 2022, ces décideurs – réunis à Charm el-Cheikh en Égypte pour la COP27 – ont publiquement affiché leur volonté de changer la donne. Leur mot d’ordre, à l’attention de l’Organisation maritime internationale (OMI) : viser le « zéro émission carbone » d’ici 2050, allant ainsi bien plus loin que les projets jusqu’alors sur la table (-50%). Cette sortie des énergies fossiles ne passera évidemment que par des investissements massifs en faveur des nouvelles technologies dans le secteur des renouvelables. Et aussi, pour certains, par une « taxe carbone », dont une version européenne est entrée en vigueur le 1er janvier dernier.
Le principe d’une « taxe carbone » présente à la fois des avantages et des inconvénients. D’autant que nul ne dit si les centaines de navires opérant sous pavillon de complaisance s’acquitteraient de ladite taxe. « De nombreuses voix, du Sud et du Nord, s’élèvent pour réclamer la mise en place d’une taxe carbone sur le transport maritime, secteur qui échappe aujourd’hui au protocole de Kyoto et n’est donc pas taxé, notent Vianney Dequiedt, Audrey-Anne de Ubeda et Édouard Mien, tous les trois professeurs et chargés de recherche à l’Université Clermont Auvergne. Une telle taxe irait dans le sens d’un prix mondial uniformisé du carbone et reposerait sur le principe du pollueur-payeur, selon lequel le coût doit être supporté par les acteurs dont les comportements engendrent les émissions. Elle serait donc juste. » Mais dans leurs travaux, les universitaires prennent aussi en compte d’autres paramètres : des recettes fiscales générées largement en deçà des attentes et un impact très négatif sur les consommateurs des pays pauvres ou ceux des pays éloignés des marchés mondiaux. Au bout du compte, cette taxe n’est pas si « juste » que cela…
La vie du secteur maritime n’est pas un long fleuve tranquille. Loin s’en faut. La concurrence sur les mers est âpre et, pour l’Europe, la seule option est d’amener les acteurs extérieurs à adopter les mêmes règles du jeu et les mêmes « bonnes pratiques » que celles observées par les armateurs européens. Mais le reste du monde résiste, parce que cela a nécessairement un coût, coût qu’il ne faudrait pas alourdir encore plus par une fiscalité européenne déconnectée des réalités du marché et des réalités technologiques.
La fiscalité, arme nº1 contre la concurrence déloyale
En Europe, certains pays sont en pointe dans la protection des intérêts des grands armateurs nationaux, face à cette concurrence déloyale qui s’affranchit de toute règle. Le transport maritime présente en effet des spécificités très particulières, synonymes de certaines réglementations avantageuses, dans le cadre de la Politique maritime commune édictée par le Parlement européen : « La concurrence dans le transport maritime représente un problème délicat pour la Communauté, car il lui revient à la fois d’assurer le déroulement ordonné de la compétition économique à l’intérieur de ses frontières et de défendre les intérêts de ses entreprises sur les marchés internationaux. Avec l’hétérogénéité du marché maritime par rapport à celui des transports terrestres, le mode maritime a été exclu de l’application du règlement relatif à la concurrence dans le secteur des transports. » Une position spécifique qui concerne par exemple les trois poids lourds du secteur en Europe : CMA CGM (France), Maersk (Danemark) et Hapag-Lloyd (Allemagne).
Mais l’Europe a une épine dans le pied : Chypre, dont le pavillon de complaisance pose question. « Les navires battant pavillon français sont tenus de respecter le droit du travail français, sous réserve des adaptations prévues par le code des transports pour les gens de mer, avançait la sénatrice française Agnès Canayer (LR), lors d’une séance de travaux parlementaires en 2023. Selon Armateurs de France, les compagnies P&O Ferries et Irish Ferries utilisent un modèle social moins-disant, en faisant appel à des sociétés de placement de gens de mer pour leurs navires sous pavillon chypriote et en employant un personnel très faiblement rémunéré. On estime que la différence entre armateurs français et britanniques en matière de charges salariales peut aller jusqu’à 80%. Les écarts du coût du transport de passagers entre les navires sous pavillon français et les navires sous pavillon chypriote s’établissent à 35%. » Un vrai problème de compétitivité des entreprises, en plus d’être un problème social.
Le coût du travail et la fiscalité sont en effet centraux dans la question de la concurrence face aux opérateurs étrangers, en particulier ceux sous pavillon de complaisance. C’est aussi pour protéger la compétitivité européenne que la cinquantaine d’armateurs tricolores, comme leurs concurrents européens, sont sujets à la « taxe au tonnage » plutôt qu’à la taxe classique sur les bénéfices des entreprises. Un statut que certains partis politiques français aimeraient remettre en cause, quitte à torpiller la kyrielle de PME du secteur dont les volumes d’affaires sont trop faibles et seraient contraints de mettre leurs bateaux sur cale si cette taxe au tonnage était remise en cause. « Supprimer ce régime spécial conduirait assurément à une rupture de compétitivité des filières maritimes et portuaires françaises, assuraient les armateurs français dans une tribune parue fin juin dans le Journal du dimanche (JDD), ainsi qu’au déclin inéluctable d’un pavillon français pourtant redevenu dynamique grâce à ce régime. Cela emporterait des répercussions négatives sur la filière industrielle navale et sur notre maillage logistique terrestre pour desservir les grandes places européennes. » Un choix politique donc, surtout à l’heure des grandes tractations post-législatives. Si la France veut garder la main et affronter les pays tiers sur les océans, elle se doit donc de protéger son industrie.
Taxe carbone : vraie fausse bonne idée ?
Toujours dans le domaine de la fiscalité, un grand sujet agite tous les décideurs de la planète : la décarbonation. Et le transport maritime international – qui s’appuie sur plus de 100 000 bateaux en activité – ne fait pas exception. Selon le rapport du GIEC de 2022, ce secteur représenterait 16% des émissions du fret à l’échelle de la planète, et quelques 70% des tonnes-kilomètres transportées. Tous les bateaux opérationnels sont très gourmands en énergie, que ce soient les navires marchands, les vraquiers, les porte-conteneurs ou les pétroliers.
En 2022, ces décideurs – réunis à Charm el-Cheikh en Égypte pour la COP27 – ont publiquement affiché leur volonté de changer la donne. Leur mot d’ordre, à l’attention de l’Organisation maritime internationale (OMI) : viser le « zéro émission carbone » d’ici 2050, allant ainsi bien plus loin que les projets jusqu’alors sur la table (-50%). Cette sortie des énergies fossiles ne passera évidemment que par des investissements massifs en faveur des nouvelles technologies dans le secteur des renouvelables. Et aussi, pour certains, par une « taxe carbone », dont une version européenne est entrée en vigueur le 1er janvier dernier.
Le principe d’une « taxe carbone » présente à la fois des avantages et des inconvénients. D’autant que nul ne dit si les centaines de navires opérant sous pavillon de complaisance s’acquitteraient de ladite taxe. « De nombreuses voix, du Sud et du Nord, s’élèvent pour réclamer la mise en place d’une taxe carbone sur le transport maritime, secteur qui échappe aujourd’hui au protocole de Kyoto et n’est donc pas taxé, notent Vianney Dequiedt, Audrey-Anne de Ubeda et Édouard Mien, tous les trois professeurs et chargés de recherche à l’Université Clermont Auvergne. Une telle taxe irait dans le sens d’un prix mondial uniformisé du carbone et reposerait sur le principe du pollueur-payeur, selon lequel le coût doit être supporté par les acteurs dont les comportements engendrent les émissions. Elle serait donc juste. » Mais dans leurs travaux, les universitaires prennent aussi en compte d’autres paramètres : des recettes fiscales générées largement en deçà des attentes et un impact très négatif sur les consommateurs des pays pauvres ou ceux des pays éloignés des marchés mondiaux. Au bout du compte, cette taxe n’est pas si « juste » que cela…
La vie du secteur maritime n’est pas un long fleuve tranquille. Loin s’en faut. La concurrence sur les mers est âpre et, pour l’Europe, la seule option est d’amener les acteurs extérieurs à adopter les mêmes règles du jeu et les mêmes « bonnes pratiques » que celles observées par les armateurs européens. Mais le reste du monde résiste, parce que cela a nécessairement un coût, coût qu’il ne faudrait pas alourdir encore plus par une fiscalité européenne déconnectée des réalités du marché et des réalités technologiques.