Journal de l'économie

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Ukraine versus Russie : what a wonderful world !





Le 1 Mars 2023, par Nicolas Lerègle

Depuis le 24 février 2022, l’opération spéciale déclenchée par Vladimir Poutine occupe nos écrans de façon quasi continue. Comment pourrait-il en être autrement pour un conflit qui se déroule à quelques encablures de Paris et fait peser en Europe et dans le monde un risque d’escalade nucléaire.


Comme tout à chacun je regarde les chaines d’informations en continu où se succèdent anciens militaires et grands reporters, mais aussi un panel de soi-disant représentants de l’Ukraine – souvent de charmantes jeunes femmes il faut le reconnaitre – mais qui, mise à part exprimer leur partialité à l’écran, pourrait-il en être différemment ? n’ont pas grand-chose à dire. C’est à peine si on remarque l’absence de tout représentant de la position russe.

De temps à autre un fonctionnaire de l’ambassade russe accepte de venir se faire vilipender sur le plateau et puis plus rien pendant quelques semaines.

Souvent la position russe est représentée par des extraits d’émissions grand public et outrancières de chaines russes, mais sans aller beaucoup plus loin. Un peu comme si pour représenter la France et son opinion publique un pays ne diffuserait que des extraits de « Touche pas à mon poste » de C Hanouna !

Cette approche dans le traitement de l’information ne semble pas étonner. Les Russes sont en effet les coupables du moment, leurs exactions sont avérées et les buts de cette opération spéciale ne sont pas acceptables à l’aune de notre regard d’Occidental. Les sanctions prises à l’encontre de la Russie sont présentées comme une légitime réponse internationale en oubliant qu’elles ne sont pas reprises par les pays de l’hémisphère Sud, par certains pays de l’hémisphère Nord et ne sont pas appréciées par quelques membres de l’Union européenne, on aura vu mieux comme unanimisme.

Ce conflit, car cela en est bien un, n’est pas celui du bien contre le mal, mais plutôt celui qui oppose deux pays largement corrompus, aux mêmes racines culturelles, ayant partagé pendant des décennies un destin commun, pratiquant la même religion, ayant des élites formées dans les mêmes cercles et si la démocratie ukrainienne est brandie comme un étendard il ne faut pas non plus ignorer qu’un pays aussi largement corrompu que l’était l’Ukraine n’était pas exempt de failles dans sa technostructure administrative et politique. Que Zelenski soit remarquable et ce soit révélé dans l’adversité est indéniable, cela assortie d’une compétence dans la communication qui ne peut que forcer l’admiration. Maintenant il ne faudrait pas que cette posture entraine un raidissement interdisant toute sortie négociée de ce conflit. Car une négociation sera dans tous les cas de figure incontournable. Aussi, quand le président Macron essaye de maintenir un lien, même ténu, avec le président Poutine, quand il exprime le souhait, à mots plus ou moins couverts, que la Russie ou Poutine puisse sauver la face c’est pour le moins une évidence.

Nous ne sommes pas dans les ruines de Berlin en mai 1945 où la seule option laissée aux nazis était la capitulation pure et simple. On semble parfois l’oublier. L’intégrité territoriale de la Russie n’est pas menacée, sa force militaire même si elle semble affaiblie reste quand même nucléaire, ses ressources en matières premières sont inépuisables car les clients ne manquent pas et le pouvoir de Poutine ne semble pas remis en cause. Au demeurant tant mieux car si c’est pour se retrouver avec un Kadyrov ou un Prigojine aux manettes nous aurions vraiment plus de souci à nous faire.

Que les pays membres de l’OTAN livrent des matériels de plus en plus perfectionnés à l’Ukraine est une bonne chose. Cela permet aussi aux pays, comme la France par exemple, de prendre conscience qu’un conflit de haute intensité, ainsi celui que nous connaissons, n’est plus du domaine de l’improbable. Que la distance entre deux nations potentiellement belligérantes n’est plus une protection, avions, missiles, drones s’affranchissent aisément de quelques centaines de kilomètres.

Cela autorise aussi un deuxième constat à savoir, comme cela fut le cas pour les deux guerres mondiales, que le grand gagnant sera les États-Unis d’Amérique. Après tout, les fonds européens servent essentiellement à acheter du matériel made in USA, les coûts de l’énergie achetée outre-Atlantique alimentent une économie qui nous concurrence et de façon pas toujours loyale si on se réfère au dernier plan de Biden de relocalisation industrielle, les états orientaux de l’Union européenne se fournissent chez l’Oncle Sam de préférence.

Cela permet une troisième remarque, il serait temps que le complexe militaro-industriel français ne raisonne plus avec un logiciel des années 70, le refus de Dassault de s’intéresser aux drones pendant longtemps va être très coûteux. L’arme nucléaire n’est utile que dans le cas où elle est utilisée, derrière la tautologie se cache une évidence, en cas de guerre strictement conventionnelle nous sommes bien démunis. Depuis Chirac, l’affaiblissement constant de nos forces armées nécessite, aujourd’hui, un rattrapage budgétairement très lourd et une refonte complète de nos priorités. L’exemple actuel témoigne que la guerre de haute intensité peut être aussi une guerre bon marché, les drones à quelques milliers d’€, des téléphones portables, des missiles antichars désuets côtoient le nec plus ultra technologique.

Galbraith, bon élève de Keynes, l’avait théorisé, la guerre n’est pas une mauvaise chose pour l’économie elle est peut-être même, pour paraphraser, Clausewitz « une poursuite de la croissance économique par d’autres moyens » à condition, naturellement, que le monde ne soit pas intégralement nucléarisé. C’est peut-être le quatrième constat, l’économie de guerre pour un pays en paix, comme l’est encore aujourd’hui la France, peut-être une bonne chose, elle stimule l’industrie, favorise la recherche et le développement, crée des emplois et des débouchés commerciaux, renforce l’influence d’un pays, structure les corps sociaux autour d’intérêts communs, impacte favorablement la démographie. What a wonderful world !


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