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Véhicules électriques, médicaments, défense : les grands chantiers de la souveraineté industrielle





Le 12 Avril 2023, par La Rédaction

Depuis la crise du Covid-19, les pouvoirs publics et les ténors du secteur ne parlent plus que de souveraineté industrielle à reconquérir. Et ils ont raison, tant les défis actuels sont nombreux. De la réindustrialisation du territoire au soutien à l’export, ils ont le devoir impératif d’accentuer leur soutien à des filières essentielles.


Les mobilités électriques : exemple emblématique d'un secteur d'activités où l'absence de vraie politique industrielle sur le territoire pourrait rendre la France tout aussi dépendante de l'étranger que dans le cas des mobilités thermiques.
Les mobilités électriques : exemple emblématique d'un secteur d'activités où l'absence de vraie politique industrielle sur le territoire pourrait rendre la France tout aussi dépendante de l'étranger que dans le cas des mobilités thermiques.
« Il faut une politique massive pour réindustrialiser l’Europe », tonnait le président de la République en octobre dernier. En marge du Mondial de l’Automobile 2022, Emmanuel Macron plaidait, dans une interview accordée aux Échos, la cause de la réindustrialisation européenne : « La clé pour nous est de mettre en cohérence nos objectifs climatiques, industriels et de souveraineté. » Avec, dans un coin de la tête, l’objectif principal de donner une nouvelle impulsion à l’industrie française, après la prise de conscience de nos dépendances extrêmes mises en évidence par la crise Covid. Mais aussi de l’instrumentalisation géopolitique possible de ces dépendances par nos compétiteurs, que les tensions avec la Chine et la guerre économique avec la Russie mettent en évidence.
 
(Ré)industrialiser des secteurs-clé
 
La réindustrialisation du tissu économique français est urgente. Le plus visible des secteurs en question nous concerne tous : c’est celui de la fabrication du matériel médical et des médicaments, comme l’a montré la crise sanitaire de 2020. Dès 2019, l’abandon de notre souveraineté pharmaceutique était déjà pointée du doigt : 90% des médicaments étaient alors produits hors de France, 80% des API (ingrédients actifs) des médicaments fabriqués en France venaient de l’étranger (contre … 0% il y a 30 ans). Que ce soit pour la production de masques chirurgicaux ou pour celle du paracétamol, la France s’est trouvée fort dépourvue quand la crise fut venue, pour paraphraser La Fontaine.
 
Malheureusement, les choses prennent du temps, tout ne peut pas se mettre en place en un claquement de doigt. « On voit bien qu’on est sur du temps long, explique l’économiste Philippe Crevel sur Europe 1. Les projets s’étalent sur quatre à cinq ans. Par exemple, pour l’usine de paracétamol, on parle d’une ouverture aux alentours de 2024, si tout se passe bien. » Et concernant les masques, « si on regarde les appels d’offres publics entre l’été 2020 et l’été 2021 ans, on avait 97% des appels d’offres qui ont été affectés à des masques chinois ». Depuis le séisme de 2020 au cours duquel les Français ont découvert à quel point le secteur pharmaceutique tricolore avait baissé la garde, les choses ne vont pas forcément mieux.
 
Le résultat se voit dans les pharmacies. Difficile en ce moment de trouver des antibiotiques comme l’Amoxicilline et l’Augmentin. D’après le LEEM (Les Entreprises du médicament), une double menace pèse sur la production et l’accès aux médicaments en France : son président Thierry Hulot demande aux pouvoirs publics de dresser une liste de molécules « avec un plan d’action pour chacune d’entre elles », et considère que le prix de vente des médicaments – très bas en France – pénalise la production locale. En février, le gouvernement a réagi par la voix des ministres de la Santé et de l’Industrie, François Braun et Roland Lescure, avec l’annonce de trois chantiers majeurs, dont des « hausses de prix ciblées sur certains génériques stratégiques produits en Europe, en contrepartie d’engagements des industriels sur une sécurisation de l’approvisionnement du marché français ». Reste à voir si ce donnant-donnant portera ses fruits.
 
Un autre secteur – pour l’instant moins visible dans notre vie quotidienne – sera pourtant essentiel dans les 20 ans à venir : c’est celui de la fabrication des batteries pour les véhicules électriques. En effet, la France s’est engagée à décarboner totalement son économie d’ici 2050, et à interdire les ventes de voitures thermiques en 2035. Nul ne sait si ces objectifs seront atteints. Mais pour y parvenir, les pouvoirs publics vont devoir mettre un coup d’accélérateur sur l’électrification du parc automobile et pousser les opérateurs privés à investir dans les infrastructures adéquates. Du côté des constructeurs automobiles, le nerf de la guerre sera évidemment les batteries, aujourd’hui importées massivement de Chine. Il va donc falloir produire en Europe et en France.
 
« Une filière européenne des batteries électriques est indispensable, twittait le ministre de l’Économie Bruno Le Maire en 2019. Nous ne pouvons pas nous contenter de construire les carrosseries en Europe, laisser les batteries à la Chine et le système de navigation aux États-Unis. L’enjeu est simple : garder nos usines et emplois en Europe ! » Depuis, les autorités européennes ont voté, fin 2022, un accord cadre pour la production sur le Vieux continent, suivant des spécifications environnementales très strictes pour les batteries utilisables dans le marché européen, entre affichage de leur empreinte carbone et obligation de leur recyclage. « Le développement de cette filière devrait permettre la création de 3 à 4 millions d’emplois d’ici 2025 », avance même le député européen Pascal Canfin. L’annonce, en février dernier, de l’ouverture par la start-up Verkor d’une méga-usine à Dunkerque est un signe plutôt encourageant. Mais la bataille n’est pas encore gagnée tant les grands groupes automobiles français ont pris du retard sur la concurrence venue de Chine. Et en parallèle des remèdes à apporter à nos faiblesses, il va aussi falloir penser à valoriser nos points forts, autre chantier de souveraineté économique sur lequel il y a beaucoup à faire.
 
Favoriser les exportations des secteurs de pointe : l’exemple de la défense
 
Dans d’autres secteurs, les enjeux de souveraineté sont encore plus criants, mais l’approche n’est pas aussi volontariste. Fleuron de l’économie tricolore, l’industrie de défense est pourtant éminemment stratégique en matière de souveraineté géopolitique, comme en termes de tissu industriel. Il ne s’agit pas tant ici de rapatrier et de réindustrialiser que de défendre et promouvoir : elle possède l’essentiel de ses outils de R&D et de production en France, mais les fabricants tricolores ne pourront conforter leur implantation industrielle que si l’État français parvient à préserver ces pépites technologiques de certaines prédations étrangères. Or, malgré une prise de conscience récente, l’exécutif échoue encore trop souvent, comme l’a montré le rachat d’Exxelia par les Américains de Heico Corp. Ce fabricant français de composants électroniques de haute précision est donc passé sous pavillon américain début 2023, devenant un énième symbole de la distance qui existe encore entre les bonnes intentions et leur mise en pratique.
 
Par ailleurs, les commandes des armées françaises restent insuffisantes pour garantir la vitalité du secteur dans la durée, qui dépend donc étroitement des succès à l’export. De 15% dans les années 70, ce sont aujourd’hui 30% des productions défense qui sont exportées. L’exécutif semble en avoir conscience comme en témoignent les propos du ministre des Armées Sébastien Lecornu devant la commission de l’Assemblée nationale de la Défense nationale et des forces armées : « L’export d’armement a un impact significatif sur l’économie. Certaines PME deviennent des championnes à l’export, notamment d’objets de haute technologie. Si les exportations cessent, ces entreprises ferment. » Or la situation n’est pas au beau fixe et les succès du Rafale et des canons Caesar ces dernières années ressemblent bien aux arbres qui cachent la forêt. Car il y a aussi eu des échecs emblématiques, comme l’affaire largement médiatisée des douze sous-marins australiens, finalement passés sous le nez de Naval Group.
 
De plus, depuis le printemps 2022, l’actualité à l’est de l’Europe a surtout mis en exergue les besoins grandissants en armements terrestres, pour ce que les experts appellent la « haute intensité ». Le conflit en Ukraine – avec son retour aux tranchées, aux batailles de chars et d’artillerie lourde – montre bien le caractère impératif de maintenir en France une capacité durable de conception et de fabrication d’engins et de matériels de ce domaine. Il faut donc doper les exports ici aussi, bien au-delà de quelques dizaines de CAESAR. Le gouvernement est d’autant plus attendu par la Base industrielle et technologique de défense (BITD) que celle-ci s’inquiète d’une loi de programmation défavorable
 
Le succès à l’export est donc un impératif pour des groupes comme Arquus ou Nexter et l’écosystème des PME qui gravitent autour. Si le canon Caesar est devenu célèbre avec l’Ukraine, la BITD attend avec autant d’impatience un succès similaire pour l’ensemble des composants du programme Scorpion, ou encore pour le VBCI, dont la commande espérée de plusieurs centaines d’engins par le Qatar permettrait de maintenir pendant des années les chaines de production et les emplois associés. Mais face à la concurrence, le succès ne semble guère possible sans un solide soutien politique, qui devrait en toute logique mobiliser les équipes rapprochées de l’Élysées et des ministères concernés, les Durel, les Landon, les Le Gouellec et autres poissons pilotes de l’intervention régalienne dans l’économie. Sauf à vouloir connaitre, face à une Allemagne en embuscade, un camouflet équivalent à celui connu en Australie…
 
Que ce soit pour la fabrication des batteries, celle des médicaments ou celle des équipements destinés à la défense, les industriels français vont donc devoir se battre, à la fois contre des concurrents extérieurs et des freins intérieurs. Et l’État va devoir mettre son grain de sel dans l’affaire pour valoriser en plus à l’étranger les forces évidentes du savoir-faire made in France.




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