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Les dessous du FIFAgate : un scandale en cache un autre





Le 9 Juin 2015

Après l’arrestation de plusieurs membres de la Fédération internationale de football (FIFA), le feuilleton se poursuit avec chaque jour de nouveaux scandales de corruption. Une chose est sûre, la justice américaine semble bien déterminée. Mais le scandale est peut être ailleurs ? En effet, l'envergure de l'enquête FIFA pose la question de la toute-puissance de la justice américaine sur la scène internationale. Décryptage.


La FIFA dans la tourmente

Crédits: Pixabay
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Pots de vin, corruption, fraudes électorales, blanchiment d’argent. L’acte d’accusation du Département américain de la justice (DOJ)  fait état de 47 infractions à l’encontre de 9 cadres de la FIFA et de 5 dirigeants d’entreprises partenaires. Sept d’entre eux ont été arrêtés en Suisse sur demande de la justice américaine le 27 mai dernier. La procureur fédéral de Brooklyn à l’origine de la procédure d’arrestation dénonce la « Coupe du monde de la fraude  » ainsi qu’un « système de corruption endémique ». Montant de la fraude présumée : 150 millions d’euros pour l’instant. Car il ne s’agit que d’un « début » si on en croit la justice américaine.  Cette dernière semble déterminée à faire la lumière sur des faits de corruption et un vaste système dont certains faits remontent à plus de 25 ans. Les questions portent notamment sur l’attribution de la Coupe du Monde en 2010 mais également sur celles à venir en 2018 et 2022.

Comprendre les fondements juridiques

Mais sur quels fondements agissent les Etats-Unis ? Si l’enquête a été diligentée outre Atlantique, c’est que la législation américaine dispose d’un arsenal de lutte anti-corruption perfectionné. Au cœur de cet arsenal,  la loi RICO (Racketeer Influenced and Corrupt Organizations Act) est entrée en vigueur en 1970. Elle est « destinée à lutter contre les organisations criminelles organisées, de type mafia, et permet de sanctionner le racket et les individus qui perçoivent des commissions dans le cadre d'attribution de marchés », explique le Bâtonnier Paul-Albert Iweins, associé chez Taylor Wessing France. Autre instrument dans cette lutte, « le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) de 1977 qui sanctionne quant à lui les entreprises qui versent de telles commissions ou avantages dans le cadre de marchés publics étrangers ». L’allemand Siemens mais également les français Total   et Alstom ont été condamnés dans ce cadre. Pour l’heure, seule la loi RICO sert de fondement juridique au FIFAgate. Mais certaines entreprises partenaires comme Nike pourraient être exposées.

Ces dispositions législatives ont la particularité d’avoir vocation extraterritoriale. En effet, la loi RICO peut servir de fondement juridique à l’ouverture d’une enquête pour corruption, y compris pour des citoyens non américains et pour des faits commis à l’étranger. Elle permet d’associer tous les prévenus dans l’acte d’accusation et démontrer si leurs actions s’inscrivent ou non dans le cadre d’une entreprise criminelle à grande échelle. Au moins un des prévenus doit avoir un « lien minimal » avec le lieu où la plainte a été déposée. Ce rattachement territorial américain se fait grâce à la nationalité des suspects ou de leur lieu de résidence mais également du fait de l’utilisation du dollar (sous prétexte que les transactions sont compensées à New York) ou de la preuve d’une atteinte aux intérêts américains.

En l’espèce, l’enquête conduite par le FBI ferait état d’accords frauduleux présumés, conclus sur le sol américain. De plus, des comptes en banques américains auraient été utilisés dans le cadre de ces transactions. Prochaine étape, la justice américaine demande à la Suisse l’extradition de ceux qui figurent désormais sur le fichier Interpol. Une véritable démonstration de force pour le DOJ impliqué dans la guerre contre la corruption. Et dans ce combat, la justice américaine pourrait ressortir plus forte.

La justice américaine toute puissante ?

C’est ce qu’analyse Peter Henning, un professeur de droit à l’Université de Wayne, dans une tribune publiée dans le New York Times. Ce dernier revient sur l’application extraterritoriale de la loi RICO qui représente selon lui un enjeu crucial dans l’affaire de la FIFA. Ce caractère extraterritorial sera, selon lui, au cœur des lignes de défense ses prévenus. Il s’agit également de valider la puissance de la justice américaine sur la scène internationale. Car plus largement, l’affaire FIFA questionne sur le champ d’application des juridictions américaines.

En effet, « les Etats-Unis se reconnaissent compétents pour les poursuites internationales. Ils sont capables de mettre en œuvre des moyens majeurs afin de lutter contre la corruption et ce, à l'échelle mondiale. Ils sont déterminés et leur attention à la moralisation des marchés est croissante » précise le Bâtonnier Paul-Albert Iweins. Il faut dire qu’outre le Bribery Act (copier-coller du FCPA) mis en place en 2011 par le Royaume-Uni, les autres textes internationaux, associée à une relative volonté politique, ne permettent pas de lutter avec une vigueur équivalente. Et l’influence des normes américaines et britanniques est croissante (le FCPA a jeté les bases de la Convention de l’OCDE sur la lutte anti-corruption). Mais, pourquoi un tel investissement américain dans la chasse aux mauvaises pratiques ?

A la base, ces dispositions législatives étaient destinées aux entreprises américaines. Force est de constater qu’aujourd’hui de nombreuses entreprises étrangères ont subi les foudres du FCPA   : 60% des amendes sont payées par des entreprises étrangères. Les recettes récoltées par la justice américaine motivent-elles donc cette croisade américaine ? La question est posée. En outre, sous couvert de lutte anti-corruption, l’extraterritorialité de la justice américaine serait un instrument de guerre économique, comme l’analysent Leslie Varenne et Eric Dénécé dans un rapport de recherche intitulé « Racket américain et démission d’Etat. Les dessous des cartes du rachat d’Alstom par General Electric ». Il s’agirait d’une « instrumentalisation du droit international à son profit » et d’une « domination économique » sur les marchés mondiaux, détaillent les auteurs qui ont fouillé l’affaire Alstom. On peut effectivement se demander s’il n’y a pas une concurrence asymétrique entre les entreprises françaises et anglo-saxonnes, entraînant un tri sélectif entre les partenaires d’affaires voire un déficit de compétitivité. Car force est de constater, dans ce climat anxiogène, le décalage entre les Etats-Unis et l’Europe mais également l’Asie (la Chine ne fait pas partie de l’OCDE rappelons-le).

Les enjeux de compliance

Crédits: Wikimedia
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Mais au-delà des débats hégémoniques, ces problématiques insistent sur les enjeux actuels en matière de compliance. Le FIFAgate sonnerait-il l’heure de la prise de conscience ? Pour Gilles Amsallem, avocat associé chez Taylor Wessing France, « c'est un véritable sujet pour les entreprises françaises qui ne sont pas toujours très bien informées des enjeux en matière de compliance. Elles perçoivent encore mal les risques à ne pas mettre en place de bonnes procédures ». Pourtant, à voir l’assiduité américaine à traquer les mauvaises pratiques, les risques sont grands, que ce soit sur le plan économique ou sur celui de la réputation de l’entreprise. Il s’agirait donc de prévenir plutôt que de guérir et en aucun cas d’attendre que les tempêtes RICO ou FCPA s’abattent sur les têtes des dirigeants des entreprises françaises. C’est également le message des cabinets spécialisés en compliance, tels qu’ IKARIAN fondé par Frédéric Pierucci, qui accompagnent les entreprises et leurs dirigeants dans un environnement législatif souvent mouvant.

Car, la balle est également dans le camp des dirigeants politiques. En effet, « il s'agit également d'une préoccupation pour les gouvernements européens qui doivent se saisir de ces questions et notamment explorer comment ils peuvent faire valoir le caractère prédominant de leurs juridictions » conclut Gilles Amsallem.
 




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