Journal de l'économie

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Les métiers d’art tracent les contours du « monde d’après »





Le 16 Avril 2020, par Franck Staub

Du 3 au 13 avril, devaient se tenir les Journées européennes des métiers d’art. Sur tout le territoire, des actions pédagogiques, ouvertures d’ateliers et de manufactures, expositions étaient censées lever un peu plus le voile sur les 281 métiers qui sont au cœur de notre patrimoine immatériel.


Tous les ans au début du printemps, les verriers, joailliers, ébénistes, tailleurs de pierre, fabricants d’instruments de musique, de charpentes, de serrures nous font entrer dans les coulisses de leurs univers hors du commun où la maîtrise du geste et la transformation de la matière engendrent l’alchimie de la création. 
 
Du 3 au 13 avril, devaient se tenir les Journées européennes des métiers d’art. Sur tout le territoire, des actions pédagogiques, ouvertures d’ateliers et de manufactures, expositions étaient censées lever un peu plus le voile sur les 281 métiers qui sont au cœur de notre patrimoine immatériel. 
 
Pour cette édition 2020, le Covid-19 en a décidé autrement. 
 
A travers le hashtag #JEMAchezmoi, des artisans et institutions culturelles se mobilisent néanmoins sur les réseaux sociaux pour exposer leurs savoir-faire. Le Château de Versailles a ainsi choisi de présenter chaque jour de la semaine un de ces métiers emblématiques qui œuvrent à la pérennité de son patrimoine. Le musée Magnin à Dijon propose quant à lui aux internautes de découvrir les plus belles pièces de sa  collection de faïences. Le  blog « O Mon Château » offre de partir à la découverte d’artisans quand Tissage Moutet(Pyrénées-Atlantiques) ou Chimène D (Loiret) mettent en place des tutos « spécial confinement » sur l’art du tissage ou la broderie d’art. Ces initiatives, et tant d’autres, foisonnent d’inventivité pour maintenir le lien en période de confinement entre les professionnels et le public attaché au supplément d’âme qu’insufflent les métiers d’art.
 
Les « Entreprises Patrimoine Vivant » sont en première ligne dans la guerre contre le virus
 
Cette présence en ligne des entreprises des métiers d’art, réconfortante dans la période si troublée que nous traversons, fait écho avec la reconversion productive solidaire menée tambour battant par certains acteurs du secteur du textile qui luttent directement contre la propagation de l’épidémie en participant à la production de masques. Entreprises citoyennes animées par des valeurs fortes empreintes de solidarité et de fraternité, les « Entreprises Patrimoine Vivant » sont en première ligne dans la guerre contre le virus. A coup sûr, l’histoire retiendra le geste expert et la beauté d’âme des couturières et des couturiers des ateliers de la maison Chanel, de Baby Dior à Redon (Ille-et-Vilaine), des Tricots Saint-James (Manche) ou de Lemahieu (Nord) qui ont répondu au tocsin de la mobilisation générale en confectionnant et en livrant des masques de première protection ou des blouses. En première ligne de cette crise sanitaire, ils sont rejoints par les salariés de sociétés emblématiques comme Guerlain à Chartres (Eure-et-Loir), Givenchy à Beauvais (Oise) ou encore Berget à Bourgtheroulde (Eure) qui se sont lancés dans la production de gels hydroalcooliques. A travers l’effort qu’elle produit pour soutenir les soignants et l’ensemble des Français, la grande famille réunie dans l’adversité que forment l'artisanat et l’industrie des métiers d’art est au rendez-vous fixé par l’Histoire. Dans le monde d’après, chacun devra s’en souvenir.
 
De son côté, le ministre de l’Economie et des Finances a tenu la barre dans la tempête en agissant rapidement à travers la mise en œuvre de mesures qui bénéficieront aux professionnels des métiers d’art : généralisation du chômage partiel, report de charges et du paiement des loyers, mise en place d’un prêt garanti par l’Etat et d’un fonds de solidarité pour les entreprises réalisant un chiffre d’affaires annuel inférieur à 1 million d’euros. Ces actions de mobilisation sont à saluer et la détermination politique à maintenir le tissu de TPE-PME est à mettre au crédit de ceux qui la déploie. 

Ce choc économique  doit nous conduire à prendre conscience de l’importance des métiers d’art
 
Pèseront-elles suffisamment pour faire face à la pire récession que la France ait connue depuis des décennies ? Personne ne peut en apporter la réponse aujourd’hui mais il est évident que le Covid-19 fragilise dangereusement des activités essentielles à la préservation de notre patrimoine et souffrant déjà de difficultés, s’agissant notamment de l’approvisionnement en matières premières. Il est hélas à craindre que nombre d’ateliers ne se remettront pas de la récession vertigineuse qui s’annonce. 
 
Ce choc économique est un drame pour de nombreux artisans. Il doit nous conduire collectivement à prendre conscience de l’importance des métiers d’art sur le plan économique mais aussi culturel et social. Sur le plan sociétal également tant ils participent à la vivacité de notre identité collective. Que deviendraient les joyaux de notre patrimoine (Notre-Dame de Paris aussi bien que la plus modeste chapelle du fin fond de nos campagnes) sans les restaurateurs, les tailleurs de pierre, les vitraillistes et tant d’autres professions essentielles à leur survie ? Que deviendraient des pans entiers de notre patrimoine immatériel si plus personne n’exerce les savoir-faire qui leur donnent vie ? Un simple souvenir qui s’estomperait avec le temps ? Cette perspective est inacceptable car notre avenir dépend des forces que nous puiseront des acquis qui nous sont transmis.
 
Le choc économique qui frappe les métiers d’art ne sera pas vain s’il entraîne -en même temps- un choc de conscience. Conscience que les métiers d’art s’inscrivent essentiellement dans des cycles de production courts, locaux, régionaux et dessinent les traits d’un capitalisme à visage humaine. Conscience que les métiers d’art créent des emplois non délocalisables et contribuent donc à la souveraineté économique. Ils contribuent aussi à l’émergence d’une mondialisation raisonnée qui sera, à n’en pas douter, l’un des défis du monde d’après. Conscience que les métiers d’art répondent à l’aspiration partagée par les nouvelles générations de donner au travail un sens dont il est parfois dépourvu. 

Il était établi, avant la crise sanitaire, que près de 40% des professionnels des métiers d’art étaient issus de parcours de reconversion. Après le confinement, propice à l’introspection et au questionnement personnel, il est à parier que cette proportion augmentera sensiblement. Plus largement, la crise sanitaire engendre une crise économique et systémique qui nous obligera à nous interroger collectivement et individuellement sur le sens de l’activité de production, sur le sens à donner à la vie au travail et pour nombre d’entre nous sur le sens à donner à nos vies tout simplement. 
 
Dans ce contexte, il est plus que jamais nécessaire que l'Etat prenne conscience de la part que les métiers d’art auront à jouer dans la définition des contours du monde d’après. Cette prise de conscience passe par la mise en œuvre d’actions nouvelles orientées vers la transmission des savoir-faire afin d’assurer à la fois la pérennité du patrimoine construit ou matériel (nos églises, nos châteaux, nos lavoirs, nos viaducs, etc) et celle du patrimoine immatériel constitué par l’ensemble des métiers d’art qui assure sa restauration. L’un et l’autre sont l’amont et l’aval d’une même filière ; celle d’un ensemble de professions à la fois innovantes et attachées aux traditions, valorisant tout à la fois l’esprit et l’habilité de la main, animées de valeurs fortes utiles à la résilience, créatrices de lien social, enracinées dans les territoires. Et si ces caractéristiques propres aux métiers d’art étaient les pierres angulaires de l’économie de demain ?
  



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