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L'État, la dette et le financement du plan de relance





Le 8 Avril 2021, par La Rédaction

120 à 125 % du PIB jusqu’en 2025 : c’est l’une des estimations du niveau d’endettement de la France pour les années à venir, une donnée fournie directement par les services de Bruno Le Maire. Un niveau sans précédent, justifié par une situation de crise exceptionnelle et le caractère impérieux d’une réponse gouvernementale à la mesure du défi. Il s’agit de la traduction concrète et comptable du « quoi qu’il en coûte ». Était-ce inévitable ?


Décisions inédites pour situation sans précédent

Courant septembre 2020, le gouvernement tablait déjà sur une récession du PIB d’environ 10% sur l’année. Mais ça, c’était avant le reconfinement décidé fin octobre ; les estimations tournaient ensuite autour de 11%. Finalement, la chute ne sera « que » de 8,3%. Le plongeon est moins profond que craint initialement, mais il s’accompagne d’une chute de l’investissement de 9,8 %, quand les exportations ont plongé de 16,7 % et les importations de 11,6 %.

A ce niveau, peu importe au fond un point de pourcentage en plus ou en moins : il s’agit de la plus importante et de la plus brutale récession que la France ait connu depuis la Seconde Guerre mondiale. On parle ici d’une chute d’environ 250 milliards d’euros du PIB. Compte tenu de sa responsabilité dans la situation, avec des décisions dictées par l’urgence sanitaire, l’État a rapidement fait part de sa volonté de s’affranchir des règles traditionnelles de bonne gestion financière jusque-là communément admises : autrement dit, pour les années de convalescence économique à venir, finis les critères, certes déjà largement atteints, de 3% de déficit et d’endettement à 60% maximum du PIB. L’heure est au soutien massif et inconditionnel.

Construire le monde de demain

Avec le Plan de relance du gouvernement Castex, l’idée n’est pas tout à fait celle d’un New Deal rooseveltien à la française, mais cela s’en rapproche dans l’esprit. Quitte à intervenir massivement dans l’économie, autant investir dans les secteurs clés de demain : transition écologique, cohésion des territoires et compétitivité des entreprises, tels sont les trois grands postes de dépenses des 100 milliards d’euros prévus. C’est d’ailleurs cette même logique qui sous-tend le plan de relance américain de 2 000 milliards de dollars et centré sur les infrastructures. Les milliards français suffiront-ils ? C’est peu probable tant les chantiers sont titanesques, notamment ceux liés aux questions de transition énergétique et de développement durable. Mais la crise actuelle constitue aussi une opportunité réelle d’amorcer une dynamique.

Selon l’OFCE, l’État a en plus quelques marges de manœuvre. Selon Xavier Ragot, président de l'OFCE, « il y a un espace fiscal pour gérer cette crise et financer de l'investissement supplémentaire. […] Il ne s'agit pas de créer des impôts supplémentaires mais de stabiliser le service de la dette (soit la somme payée chaque année pour honorer sa dette) dans le budget de l'État, et utiliser cet argent pour des choses utiles (...) et des dépenses non récurrentes ». L’idée de l’OFCE est relativement simple : profiter du contexte pour s’endetter au maximum, dans les limites de ce qui est supportable, budgétairement parlant. Mais l’OFCE y met, à raison, une condition : la nécessité d’un accord politique au niveau européen pour prolonger la flexibilité des règles budgétaires communes. Or ce dernier point risque de rendre les débats particulièrement houleux : que l’on se souvienne des débats sur le plan de relance européen avec les pays dits « frugaux » …

Facilités de paiement

Au plan national, l’État français bénéficie d’un contexte plus que favorable pour cette politique. La situation étant la même partout dans le monde, les Etats du monde entier volent au secours de leurs économies également sinistrées. Ensuite, et bien que ce ne soit pas le moindre des paradoxes, les marchés financiers continuent de se montrer accommodants. Trouver sans cesse plus d’argent tout en faisant passer la pilule aux marchés financiers ne sera donc pas le plus compliqué, d’autant plus que même l’Union européenne s’est convertie aux plans de soutien massifs et mutualisés.

La vraie difficulté de la situation résidera ensuite dans la gestion de la dette : le sauvetage de l’économie aujourd’hui ne doit pas se traduire par un poids insoutenable de la dette demain dans le budget de l’État. Or, si les taux d’intérêts restent encore historiquement bas, nul ne sait combien de temps cet anomalie financière va se poursuivre. Or, pour peu que l’on ne parvienne pas à passer l’obstacle d’un consensus européen sur la pérennité ou non des règles budgétaires communes, il faudra bien que l’Etat trouve d’autres solutions de financement pour rembourser ou a minima faire diminuer la dette.

La dette n’est pas l’unique recours

La première et la plus évidente des solutions passe par des hausses d’impôts massives et durables. Outre le fait que cette solution constituerait un suicide politique, elle présenterait aussi l’inconvénient majeur de tuer toute possibilité de relance fondée sur la demande et la consommation des ménages. L’État ne pouvant agir de façon conséquente sur le niveau des recettes ou sur une baisse des dépenses à court terme, il va devoir trouver d’autres pistes. Or, en termes de financement de projets à moindre frais pour l’Etat, des solutions existent déjà.

Parmi les projets d’utilisation des 100 milliards du Plan de relance figurent en effet la création et/ou la rénovation des infrastructures majeures. Autant de projets dont les montants se chiffrent immédiatement en milliards d’euros, qu’il s’agisse de la rénovation thermique des bâtiments à l’échelle nationale, ou du renforcement de la sécurité des barrages domaniaux. On pourrait également penser aussi à la remise en état des ouvrages d’art (souvenons-nous de la catastrophe du pont de Gênes), à la réhabilitation ou au prolongement d’une partie du réseau routier. Or sur l’ensemble de ces sujets, l’État dispose d’un dispositif de financement non-budgétaire qui ne pèse pas sur l’endettement : la concession. Confondue à tort avec une forme de privatisation, la concession consiste à confier à des entreprises privées la réalisation et/ou l’exploitation d’une infrastructure existante ou en projet, charge à l’entreprise ou au groupe d’entreprises en question - le concessionnaire - de se rémunérer sur les redevances prélevées auprès des usagers. Contrairement à une privatisation, l’infrastructure concédée ne quitte pas le giron de l’État : le concessionnaire la restitue en fin de contrat à l’État qui peut donc décider à ce moment d’un renouvellement de la concession pour une durée déterminée ou d’une mise en régie par exemple. Dans le meilleur des cas (une infrastructure à construire), le concessionnaire finance l’intégralité du projet, se rémunère à l’usage, et une fois l’équilibre atteint (en incluant le profit du concessionnaire), le tout est restitué sans frais à l’État.

Il existe déjà un grand nombre de secteurs en France fonctionnant sous le régime de la concession : réseaux de communication, assainissement, distribution d’eau, de gaz et d’électricité autoroutes. C’est ainsi grâce au régime de la concession qu’a pu être construit le viaduc de Millau, et nombre de tronçons d’autoroutes récents. Voilà pourquoi la concession est aujourd’hui envisagée comme un outil répondant simultanément aux deux problématiques induites par le Plan de relance : financer au mieux la reprise, sans hypothéquer l’avenir.  




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