Journal de l'économie

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Le Crédit Coopératif, ou l’utilité sociale de la banque

Entretien avec son Président, Jean-Louis Bancel





Le 26 Mai 2015, par La Rédaction

Après de longues discussions, un consensus a récemment été trouvé entre le gouvernement et les sociétés de gestion sur la définition des critères techniques de l’investissement socialement responsable (ISR). Il s’agit d’un pas de plus dans le mouvement de fond de la finance responsable qui propose une nouvelle manière d’investir. Au cœur de ces mutations, le Crédit Coopératif est un acteur pionnier et œuvre depuis plus de cent ans afin de faire bouger les choses. Jean-Louis Bancel, président du Crédit Coopératif décrypte pour nous un secteur bancaire plein d’avenir.


Jean-Louis Bancel est le Président du Crédit Coopératif (DR)
Jean-Louis Bancel est le Président du Crédit Coopératif (DR)

Vous distinguez finance solidaire et finance engagée. Quelles sont les frontières du métier de banquier selon vous ? Et comment résumeriez-vous son utilité sociale ?

La finance solidaire repose sur des placements solidaires. L’épargne sert des porteurs de projets voulant développer une activité à forte utilité sociale ou environnementale.  Elle est clairement définie par une règlementation qui définit des critères. C’est le fruit d’un processus initié dans les années 80 et auquel le Crédit Coopératif a contribué. Nous avons été pionniers sur ces questions et restons aujourd’hui le premier réseau bancaire diffuseur de produits bancaires en finance solidaire.

La finance engagée, quant à elle, va encore plus loin afin de répondre aux attentes accrues des citoyens. Elle propose une vision du monde qu’elle fait vivre grâce à des actions collectives qui dépassent les stricts critères de la finance solidaire. Ainsi, le champ de la finance engagée est plus large et se rapproche de la dimension RSE.

Dans ce contexte, la place d’un banquier est d’accompagner le client en étant à ses côtés et non de décider à sa place. Le banquier doit permettre à chacun de faire changer son monde dans une logique durable. Au-delà de l’utilité sociale, l’important est de rester à sa place. Je ne suis pas fervent de la sacralisation du métier de banquier. Il s’agit d’évoluer avec la société, de réinventer les modèles de financement comme avec le crowdfunding qui a été critiqué par le secteur bancaire. Nous sommes d’ailleurs la première banque à s’engager auprès de ces nouvelles plateformes qui bousculent la façon traditionnelle de faire le métier.
 

Vous reprochez aux gouvernants français leur vision trop macroéconomique de l’investissement. Pouvez-nous expliquer pourquoi ? Et n’est-ce pas dû, au fond, à une tradition centralisatrice et colbertiste établie de longue date ?

Bien entendu, il est important que le Ministre de l’économie ait une vision macroéconomique même si certains dossiers d’entreprises méritent un accompagnement. Mais ce qui fait la force d’un tissu économique, c’est la multitude des acteurs qui vont des grands groupes jusqu’aux TPE ou PME. Et trop souvent aujourd’hui, l’économie est réduite à des problématiques de déficits budgétaires. Or, à l’origine le mot économie qui vient du grec ancien, signifie « administration d’un foyer ». Il serait donc important de davantage intégrer des problématiques microéconomiques.

Un des biais est à mon sens, est celui introduit par les régulateurs bancaires avec la problématique du risque systémique. Il faut donc se poser la question en France et en Europe sur la résilience du système bancaire quand il n’y a plus que des grandes banques et que les plus petites ne peuvent pas occuper leur place. Tout ne doit pas être calculé à l’aune de la macroéconomie. Nous avons besoin de tous les acteurs, petits et grands.
 

A plusieurs titres, le Crédit Coopératif est considéré comme l’un des précurseurs du microcrédit, du financement participatif et de l’épargne solidaire. Comment expliquez-vous l’engouement du public pour ces pratiques bancaires encore balbutiantes ?

Cet engouement s’inscrit dans une tendance plus large qui dépasse le secteur bancaire. En effet, je remarque que les citoyens ont soif de plus de connaissance, mais aussi d’une meilleure compréhension de ce qui les entoure. De plus, les citoyens veulent plus de transparence et ne supportent plus ces banques « boîtes noires ». Certains ont été bouleversés de voir que leur argent a servi à spéculer dans des circuits non reconnus fiscalement . Après les dérives qui ont conduit à la crise, ils aspirent à retrouver une banque responsable et une « finance de sens » qui leur rend des comptes sur les ressources et les emplois.  Ils ont également envie de voir les retombées de leurs actions et de leurs investissements.

C’est pourquoi, ils se tournent de plus en plus vers ces nouvelles pratiques bancaires qui privilégient par exemple les circuits courts ou la traçabilité comme le « Livret d’épargne troisième révolution industrielle » que nous venons de lancer et qui permet une visibilité sur les projets financés.
 

Le Crédit Coopératif ne mène pas d’activités spéculatives et ne détient que des actifs financiers pour compte propre. Le législateur français est-il allé assez loin selon vous dans la loi de séparation des activités bancaires de 2013 ?

Nous exerçons notre activité dans le cadre d’une économie raisonnable, en recherche d’équilibre et non du profit maximal. De plus, en tant que coopérative, le Crédit Coopératif n’est pas coté.

S’agissant de la loi, je comprends le sentiment de ceux qui veulent une séparation stricte. Mais je crains que cette panacée ne soit qu’illusoire. Mais je pense aussi que le modèle français est celui de la banque universelle qu’il est important de pérenniser. Par le passé, les pouvoirs régulateurs discutaient directement avec les dirigeants des banques et leur interdisaient de spéculer. Plutôt que d’énoncer des interdits, il vaudrait mieux revenir à ce mode de gouvernance et de régulation. Cela aurait plus de sens que de dicter des prétendus guidelines et des principes que certains s’ingénient à contourner. Je pense qu’un suivi individualisé et longitudinal des banques, couplé à un dialogue singulier du régulateur avec les banquiers, seraient beaucoup plus simples. Car aujourd’hui, la question qui est posée est de savoir quel contrôleur pourra résister à la puissance des grandes banques.
 

Quel est le degré de maturité des investisseurs institutionnels et des sociétés de gestion quant à l’investissement dit « responsable » ?

Aujourd’hui le terme d’investissement « responsable » est  galvaudé. Il n’existe pas de référentiel bien stabilisé et chacun donne sa propre définition de ce qui est responsable ou non. C’est une difficulté pour nous qui sommes acteurs de ce secteur. Il faudrait à mon sens un entendement commun. La notion est encore nouvelle et il faudrait travailler afin de se mettre d’accord sur un contenu minimum. Il serait judicieux de savoir les critères qui permettent de s’afficher responsable. Car il faut continuer à persévérer dans cette voie.
 

Comment mesure-t-on l’impact social d’un investissement et son R.O.I ? Quel regard portez-vous sur les « Social Impact Bonds » ?

Mesurer l’impact social d’un investissement, c’est s’interroger sur les externalités. Tout investissement induit des externalités. Par exemple, le tabac ou l’alcool ont des externalités négatives, ce qui justifie le paiement de taxes afin de compenser. Il existe également des externalités positives. La question est de savoir comment récompenser ceux qui ont été à l’origine de ce cercle vertueux. Il faut bien voir que l’on est dans une démarche d’investissement (ce qui implique que l’on récupère sa mise de départ) et non dans une démarche de don. Cela implique un contrat de confiance.

Il y a encore beaucoup de travail à faire. Le Crédit Coopératif a été impliqué dans le groupe de travail sur le « Social Impact Bonds » au sein du G7. Cela a permis de faire prendre conscience, dans le monde anglo-saxon, que la France est bien placée sur la finance solidaire. Il s’agit d’un volet naissant de l’activité bancaire et tout l’enjeu est de savoir comment mesurer cet impact social.  Car il ne suffit pas de dire que cette finance est bénéfique. Les acteurs doivent pouvoir mesurer et montrer ce qu’ils mettent en place à ce sujet. Or, il y a encore des querelles sur les moyens de mesure de cet impact social.
 

Si vous deviez avancer une ou plusieurs propositions pour renforcer le cadre institutionnel de l’ISR, quelle(s) serai(en)t-elle(s) ?

Je souhaiterais que la place de Paris s’investisse davantage sur ces questions afin de faire émerger de nouvelles initiatives. On a vu, par exemple, apparaitre dans d’autres pays, des bourses de valeurs à impact social. Pour cela il faut que les grands opérateurs financiers français s’engagent afin de donner plus d’ampleur à l’ISR. Je pense en particulier aux assureurs. Ils sont encore trop à distance car ils n’ont pas encore résolu leurs problèmes règlementaires avec Solva II. Pourtant nous avons besoin d’eux pour faire de l’épargne longue. Nous avons besoin d’assureurs visionnaires qui s’engagent dans cette voie de la finance solidaire. La Conférence climat de Paris sera, je l’espère, une bonne occasion pour travailler sur ces questions.
 




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