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Pôles de compétitivité et nouvelle gouvernance






La politique de l’État en matière de pôles de compétitivité initiée en 2004 a été représentative des nouvelles pratiques inspirées du New Public Management, en se posant en concepteur, évaluateur et régulateur de l’innovation collaborative. Mais aujourd’hui, une page se tourne, avec le désengagement de l’Etat des pôles de compétitivité. En effet, l’Etat a annoncé, en juillet 2019, sa volonté de se désengager de la gouvernance des pôles de compétitivité au profit des régions.


Fondements et origines

La politique de l’État en matière de pôles de compétitivité initiée en 2004 a été représentative des nouvelles pratiques inspirées du New Public Management, en se posant en concepteur, évaluateur et régulateur de l’innovation collaborative. Les missions allouées à l’Etat étaient depuis une quinzaine d’années, de contribuer à une meilleure formalisation des initiatives locales et d’orienter le développement au service de l’innovation et des territoires.

L'État pratiquait des avances sur trésorerie aux pôles, et les Régions finançaient une fois les objectifs réalisés. Plusieurs milliards d’euros ont ainsi été investis dans l’organisation des modes de coordination de ces pôles et dans le financement de projets collaboratifs innovants. 

Le mode de fonctionnement

Il s’agissait ici de développer des actions collectives entre des sociétés potentiellement complémentaires de tailles différentes et des établissements d’enseignement supérieur, et des centres de recherche et de formation publics et privés au sein d’un même territoire. 
La définition initiale de ces pôles allait dans le sens d’un ancrage territorial basé sur une coopération entre acteurs locaux, afin de pouvoir bénéficier du label « Pôle de compétitivité ».

L’espace géographique commun et l’innovation collaborative devaient permettre de justifier l’intérêt et la mission de ces différentes pôles (politique d’innovation, mutualisation des moyens, visibilité internationale renforcée). L’évaluation devait en outre constituer un des leviers d’animation du système (actions d’animation, de mutualisation et d’accompagnement) mais aussi un levier de validation et de réorientation des politiques menées dans le cadre des pôles.

Le désengagement de l'Etat

Mais aujourd’hui, une page se tourne, avec le désengagement de l’Etat des pôles de compétitivité. En effet, l’Etat a annoncé, en juillet 2019, sa volonté de se désengager de la gouvernance des pôles de compétitivité au profit des régions qui en ont désormais la gestion (transfert de crédits de fonctionnement). Ce choix s’inscrit dans l’application de la loi NOTRe qui marque l'Acte III de la décentralisation, censée développer les compétences économiques des territoires. Les Régions s’affirment ainsi comme les pilotes du développement économique, en tant qu’acteurs de la formation professionnelle et soutiens à la recherche et à l'innovation.

Ces changements viennent ainsi modifier les orientations stratégiques en matière d’innovation et de développement des territoires (décisions d’investissements) dans un contexte de crise économique (liée à la pandémie), où chaque acteur va désormais devoir se repositionner. Ils génèrent également de nouvelles interrogations notamment dans des secteurs hautement stratégiques tels que l’aéronautique (Aerospace valley) et l’automobile (Mobility Valley).

Vers un nouveau mode de gouvernance

Plusieurs explications peuvent être données à cette politique de désengagement qui vient modifier l’équilibre interne des pôles et redistribuer les compétences entre les différents acteurs. Tout d’abord, cette décision intervient dans un contexte de décentralisation (délégation de compétences et transfert des crédits) et d’économies budgétaires qui obligent l’Etat à repenser ses priorités. Mais ce désengagement pose d’autres questions. Dans un contexte d’hyper-compétition à l’échelle mondiale, l’une des clés de succès des pôles de compétitivité repose désormais sur le besoin de se rapprocher des grandes métropoles, afin de capter des ressources externes au territoire en matière de recherche, d’innovation mais également en termes d’image.

Une telle configuration va par conséquent dans le sens d’une transformation du mode de gouvernance basé à l’origine sur une logique tripartite (Etat-Région-territoire) vers un système plus souple, horizontal et multiforme (relations inter-pôles, rapprochements, logique de regroupements…). Le désengagement de l’Etat vient ainsi mettre en lumière les limites de l’action publique en matière d’innovation dans un environnement supranational et hautement concurrentiel. Il témoigne également de la difficulté de trouver un juste équilibre entre politique globale, réalité locale et stratégie d’innovation. Ce désengagement ne règle donc pas tout.

Conclusion

Des questions demeurent quant à la viabilité du modèle. Il interroge sur la cohérence d’ensemble des différents pôles, le risque de voir émerger des actions de développement sans lien direct avec l’organisation de filières d’excellence au niveau national et européen. L’intervention de l’Etat permettait, il est vrai, d’articuler les enjeux du développement économique régional avec une stratégie nationale et européenne autour de filières d’excellence (écosystèmes d’innovation). Car bien souvent, les enjeux d’innovation obéissent à des dynamiques multisectorielles (innovations croisées) à la fois nationales et internationales, et non uniquement locales. Le financement des pôles devra aussi se faire à l’échelle européenne, ce qui suppose de rester en lien avec les orientations stratégiques de l’Europe.

De même, se pose la question de l’organisation des pôles. Quels changements attendre en matière de gouvernance (fusion entre pôles) ? Qui assurera la cohérence globale en matière de développement de projets ? Outre les questions de financement et de gestion de trésorerie, qui garantira la coordination entre les espaces productifs ? Comment pourra -t-on continuer à garantir la collaboration entre Régions ? Quelle instance corrigera les éventuels dysfonctionnements ? Autant de questions à l’approche d’élections régionales et nationales (Election présidentielle française de 2022) qui méritaient d’être étudiées et discutées, afin de préserver la vocation d’intérêt général à l’origine de la création des pôles de compétitivité.

Pour aller plus loin

Etudes et Missions ASAP   (2019-2020)
https://www.strategie.gouv.fr
https://www.lesechos.fr
https://www.latribune.fr
Travaux menés sur le sujet:
« Changing nature and sustainability of the industrial district model », Growth and Change, avec Huault et al., 38(4), p.595-620.
« Is Cooperation Definitive ? Evolution of Relationships within an Industrial District : the Technic Valley », Academy of Management, avec Barabel et al., Div BPS, New Orleans, August.
« Interdependance relationships and transformational processes in industrial districts », avec I. Huault et al., Academy of Management, avec Huault et al., Div BPS, New Orleans, August.
« From Embeddedness to Disembeddedness : an Analysis of the Emergence and Functioning of Two Industrial Districts in France, avec Barabel et al., 19th Colloquium, Egos, Copenhaguen, July.
 


Olivier Meier
Olivier Meier est Professeur des Universités, HDR (Classe exceptionnelle), directeur de... En savoir plus sur cet auteur


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