Journal de l'économie

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Crise de la covid-19: quels défis pour les entreprises ?






L’ampleur de cette crise et ses conséquences vont obliger l'entreprise à redéfinir ses modèles existants au regard des enjeux humains, de leadership et d’organisation. L’entreprise va de plus en plus intégrer les contraintes sociales et sociétales dans le développement de ses activités et devoir reposer la question du sens. L’entreprise va avoir pour mission le partage accru des richesses, au nom de la justice et l’équité sociale. La crise de la covid 19 pose aussi de nouveaux défis organisationnels, relationnels et personnels, notamment en termes d’agilité et de résilience.


Le contexte

©IngImage
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La crise de la Covid-19 est une crise soudaine mais aussi brutale et globale, qui vient s'immiscer durablement dans la sphère publique (gestion de nos libertés, gestion des relations sociales) et privée (éducation, formation, apprentissage, relations familiales, liens affectifs). Elle bouleverse nos vies économique et sociale. Apparue en Novembre 2019 dans la ville de Wuhan en Chine, elle s'est par la suite propagée dans le monde entier. La covid-19 est une maladie "vicieuse", mortelle et contagieuse, dont les formes chez l’individu diffèrent en termes de gravité, d’effets sur l’organisme (symptômes divers et variés) et de durabilité, avec par exemple l’apparition possible de séquelles, plusieurs mois après la maladie, comme des troubles respiratoires ou mentaux.

Cette crise a désormais un impact sur l'activité économique des entreprises (récession, faillites, chômage). Mais elle vient aussi et surtout perturber les fondements de nos Sociétés, en remettant en cause une grande partie des activités éducatives (universités, établissements d'enseignement supérieur...), culturelles ou artistiques (théâtre, cinéma, musée, expositions, manifestations sportives).

Sur un plan sociétal, cette crise entraîne des changements dans nos pratiques quotidiennes (limitations de nos déplacements, développement du télétravail, e-commerce, livraisons « sans contact », services de retrait à l'extérieur des magasins) mais également dans nos comportements. Au coeur de cette tempête, les acteurs se retrouvent  en première ligne pour gérer une réorganisation  qui peut durablement modifier nos rapports au temps et à l'espace, et plus généralement notre relation à l'autre.

Les défis à relever

La crise  de la Covid-19 entraîne des mutations organisationnelles, sociales et sociétales qui obligent les entreprises à repenser durablement leur organisation. Les directions générales ainsi que l'ensemble de la chaîne RH se sont retrouvées en situation de tension permanente. Les entreprises ont dû trouver leurs marques, entre l'économique et le sécuritaire, dans un souci de continuité des activités de l’entreprise. Face à cette crise qui risque de durer, l'entreprise va devoir relever plusieurs défis:

1) La modernisation du matériel informatique "hors entreprise"

Un des premiers défis à relever est de permettre aux collaborateurs de l'entreprise, et non simplement aux dirigeants, de se doter d'un matériel informatique et d'outils digitaux performants (fibre optique, ordinateurs fiables et résistants, grand écran, tablettes, téléphone portable,casque avec micro et d’une webcam, pour vos appels professionnels ...) nécessaires à un télétravail structurel et continu. En effet, avec cette crise, la nature du télétravail tend  à évoluer, en passant d'une forme ponctuelle et quasi-ludique (style de vie) à un mode d'organisation permanent et "contraignant". Ce changement de statut en termes de pratiques induit par conséquent une adaptation des équipements et outils numériques à domicile en termes de performance et d'efficacité énergétique et technologique.

2) Le défi de la cybersécurité et des systèmes d'information

La Covid-19 va contraindre les entreprises à trouver d'urgence de nouvelles façons d'opérer et d'organiser le travail. Elle met  au centre de l'architecture interne des entreprises, la question de la résilience des systèmes d’information qui n'a jusqu'à présent jamais été aussi durement mise à l'épreuve.  Elle pose aussi celle de l'obligation de maintenir les activités critiques et d'assurer une gestion continue des flux d'informations en évitant les risques de coupures d'images, de variations des volumes (sons), d'interruptions des transmissions....Elle implique également la sécurisation des données professionnelles de l'entreprise et de ses collaborateurs, face à une communication désormais "virtuelle" hors des bureaux de l'entreprise. Le défi majeur est de pouvoir, dans la durée, sécuriser les données (réunions, visioconférences, séminaires, transmission d'informations....) quand le collaborateur travaille de chez lui.

3) La gestion de l'espace domestique

La crise actuelle a fait voler en éclat notre représentations du rapport au travail, en remettant en cause le  lien existant entre le travail et son lieu d'exercice, à savoir le bureau (l'établissement, la manufacture, l'atelier, l'usine...). Les employeurs et leurs salariés ont désormais pris l'habitude de travailler hors des murs de l'entreprise. Ils ont du repenser l’organisation du travail et l'aménagement des espaces, aussi bien dans l'entreprise (bureaux) qu'au sein du domicile avec une sélection de meubles, d'équipements, de sièges et de luminaires adaptés à un télétravail à grande échelle. Il s'agit par conséquent  de prendre en compte plusieurs catégories de collaborateurs, ceux travaillant en présentiel (vêtements appropriés, masques, gels et solutions hydro-alcooliques, désinfectants, gestes barrières, cloisons mi-hauteurs transparentes, cloisons en plexiglas...) , ceux qui opèrent à distance (home office: mobilier de bureau adapté aux "intérieurs", table d'appoint, chaise ergonomique, équipements légers et flexibles) et les salariés qui se retrouveront en modèle alterné.

4) Les défis en termes de santé et de risques psycho-sociaux

Le contexte épidémique vient bouleverser la vie quotidienne, sociale, professionnelle et familiale. Elle remet en cause nos certitudes, nos croyances (rapport à la mort et à la maladie) mais aussi une partie de nos valeurs sur lesquelles se sont fondées nos Sociétés (liberté, égalité, fraternité). Cette crise génère par conséquent de la peur et de l'anxiété. Elle conduit à des attitudes parfois contraintes et timorées qui limitent nos comportements naturels et instinctifs  (authenticité, spontanéité, partage des émotions, intensité des sentiments....). L'isolement social ou dans un lieu donné (quarantaine) peut aussi entrainer des risques de maladies graves (solitude structurelle, sentiment d’abandon, déprimes, dépressions, détresse psychologique…) ou d’autres formes de mortalité (suicides)  qui demandent une attention et un suivi de tous les instants.

5) Le défi de la négociation sociale

La crise de la Covid-19 modifie l'équilibre social dans les entreprises, générant des tensions entre l'exigence de compétitivité et l'acceptabilité sociale des transformations à l'oeuvre. Le maintien ou la reprise de l'activité nécessite de nouveaux compromis, s'appuyant sur une légitimité refondée des décisions (mesures et accords) et une pratique renouvelée de la négociation en entreprise (« pacte de résilience »). En effet, les mesures de prévention et de protection (gestes barrières, règles de distanciation, pratiques de nettoyage...) ne sont pas toujours complètement applicables et il est difficile de s’assurer qu’elles sont suffisantes. Les travailleurs se sentent exposés à un danger difficile à évaluer, à maîtriser… Les délégués du personnel ont rapidement pointé les failles dans l’application de certaines mesures et le manque de ressources disponibles (soutien financier et organisationnel, effectifs).

Il convient par conséquent de co-construire un cadre légal (interprétation partagée de la négociation sociale, dialogue social, priorisation des activités) entre les représentants du salarié et le management, pour assurer la continuité de l'activité économique. Seules l'écoute et la co-construction peuvent permettre d'obtenir à la fois l’acceptation et l’adhésion au moment de la mise en œuvre de mesures difficiles (chômage partiel, adaptation des horaires de travail, télétravail...).

6) La question de l'intelligence collective

En ces temps difficiles, les entreprises vont être contraintes de renouveler leur modèle organisationnel et managérial, en veillant à garder la confiance de leurs équipes. Cette confiance dépend de l'attention que les responsables portent à leurs collaborateurs. Elle implique de savoir partager une dynamique collective autour d'une stratégie claire et d'expliciter la façon dont sont prises les décisions, en toute transparence. Elle exige aussi des dirigeants, qu’elles apportent des réponses proactives plutôt que réactives, en faisant preuve d'anticipation. Si l’intelligence collective est nécessaire, il convient de savoir comment l'activer. Ce type d'intelligence ne se résume pas à un groupe formé d’individus intelligents, mais à un ensemble de personnes diverses et variées, qui interagissent régulièrement vers un objectif commun. La question est donc de savoir de quelle façon peut s'opérer cette dynamique entre des personnes de plus en plus isolées.

De ce fait, il importe de combiner le télétravail avec un accompagnement humain et continu, via le tutorat ou le mentorat. Il est également nécessaire de développer des projets collectifs en présentiel, en veillant à renforcer la dimension émotionnelle et la recherche d’une plus grande authenticité, très loin des jeux politiques et institutionnels habituels. Le présentiel sera davantage réservé au partage des émotions (sentiments), en misant avant tout sur les moments de détente, de joie, de partage d’expériences ou de créativité. Seule une mobilisation des capacités créatives et intellectuelles de l’ensemble des collaborateurs pourra permettre de préserver dans la durée, un véritable sentiment d'appartenance et ainsi garder l'idée de socle culturel commun.
 
7) Le défi culturel

L'un des principaux défis que l’entreprise aura à gérer, visera à réussir à recréer un monde commun, face à des individus isolés, repliés sur leur propre subjectivité et incapables d’adhérer naturellement à toute forme de légitimité rationnelle-légale (perte de valeurs, absence de référentiel, instabilité économique et organisationnelle...). L'ampleur et la durabilité de cette crise et la prise de conscience de la possibilité de vivre avec des vagues de contamination successives, renforcent l’impression d’être dépossédé de tout cadre rationnel stable. La crise actuelle vient ainsi transformer notre modèle économique et social en un système procédurier et technologique, où l'individu apparaît perdu et impuissant.

Il y a dès lors un risque que les collaborateurs se détournent progressivement de l’autorité hiérarchique et paraissent de moins en moins liés à leur organisation d'origine (repli sur ses croyances, rapport individualisé à l'information et aux échanges), avec des conséquences graves, tant sur le plan professionnel (règne de la "multitude": multi-employeurs, multi-activités, multi-réseaux...), organisationnel (affaiblissement du lien de subordination), relationnel (délitement du lien social) que psychologique (ressentiments, pessimisme, résignation...). En effet, comment réagir dans la durée, à un employeur a fortiori compétent et reconnu qui se trouve dans l'incapacité de rassurer ses collaborateurs (détérioration des conditions sociales et salariales), de préserver la justice sociale (aggravation des inégalités) et de faire converger l'ensemble des collaborateurs dans le même sens, simplement parce que l'environnement vient mettre mal le modèle culturel et social de l'Entreprise ?

Conclusion et perspectives

L’intensité de la crise sanitaire actuelle et de ses conséquences ont mis en évidence la nécessité d’accélérer les travaux RH par rapport à certaines transformations (gestion des bureaux, outils digitaux, ordinateurs, mobilier),  dans les domaines de la communication, du recrutement ou du management d'équipes.

Les firmes vont aussi devoir élaborer de modes nouveaux d’organisation (poly-cellulaire) qui puissent combiner distanciel et présentiel: structure flexible en petits groupes, modèle d'organisation alternée.... Il s'agira également d'initier de nouvelles logiques de recrutement et de gestion de carrières (nouveau contrat social) pour les salariés, en proposant d'autres formes d'engagement  en termes de durée, d'intensité, de confiance ou de compétences. Il faudra aussi inventer d'autres modalités relationnelles, à travers différentes actions, comme les ateliers de co-développement ("tous pour un"), la généralisation des formations multimodales (auto-formation, présentiel / distanciel, apprentissage formel/ informel, social learning, mobile learning...), , le recours aux célébrations collectives (réussite partagée, sacralisation de "temps présentiel" destiné à partager, expérimenter et créer ensemble....) ou la création de moments de détente et de partage (rituels, jeux, moments de convivialité).

L'enjeu est également d'accompagner psychologiquement l'individu dans son isolement, surtout s'il devient avec le temps structurel (plusieurs jours par semaine), en donnant à la personne concernée les moyens de renforcer sa résilience, via un accompagnement personnalisé (soutien psychologique, tutorat, mentorat...) et l'affirmation de nouvelles valeurs (en misant par exemple sur le rire, l'humour, la spontanéité, l'authenticité ou encore l'autodérision). Face à un monde Volatile, Incertain, Complexe et Paradoxal (VUCA) et à la question de l'impuissance publique (pouvoir public et institutions), l'entreprise doit inventer de nouvelles logiques organisationnelles et relationnelles, en vue de créer un socle culturel solide, adapté à ce nouveau contexte (valeurs collaboratives).

C'est de cette façon que l'entreprise et ses dirigeants réussiront dans la durée à recréer un lien social fort avec leurs équipes et proposer des actions fondées sur une légitimité inspirante et reconnue par tous.

Références

Ouvrages et articles
Meier O. "Santé et covid-19: apprendre du présent ou préparer l'avenir", Atlantico, Novembre, 2020. 
Meier O., "Vers une nouvelle crise financière ? La covid-19 fragilise les banques européennes", Atlantico, Juillet, 2020.
Meier O., "Les ateliers de Recherche", Observatoire ASAP / Chaire IP.
Meier O., Barabel M., Les RH à l'ère du covid -19, Editions Dunod, 2020.
Meier O., Barabel M., "Manager en temps de crise", in Changement de crise, Editions Eska, p.177-186, 2020.
Meier et al., Le Grand Livre de la formation, Editions Dunod, 2020.
Meier O., Barabel M., Manageor, Editions Dunod, 2015.
Meier O. et al., "How to Emerge from the Crisis: a European Survey", International Business Research, 5 (6), 2012, p.105-114.
Meier O. et al., Travailler avec les nouvelles générations, Studyrama, 2012.

Podcast et vidéos
https://www.lab-rh.com/videos/focus-recherche-covid-et-rh-avec-michel-barabel-et-olivier-meier/(1)
Vidéo interview - La crise de la covid-19 (2)


Olivier Meier
Olivier Meier est Professeur des Universités, HDR (Classe exceptionnelle), directeur de... En savoir plus sur cet auteur


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