La crise de la Covid-19 entraîne des mutations organisationnelles, sociales et sociétales qui obligent les entreprises à repenser durablement leur organisation. Les directions générales ainsi que l'ensemble de la chaîne RH se sont retrouvées en situation de tension permanente. Les entreprises ont dû trouver leurs marques, entre l'économique et le sécuritaire, dans un souci de continuité des activités de l’entreprise. Face à cette crise qui risque de durer, l'entreprise va devoir relever plusieurs défis:
La crise actuelle a fait voler en éclat notre représentations du rapport au travail, en remettant en cause le lien existant entre le travail et son lieu d'exercice, à savoir le bureau (l'établissement, la manufacture, l'atelier, l'usine...). Les employeurs et leurs salariés ont désormais pris l'habitude de travailler hors des murs de l'entreprise. Ils ont du repenser l’organisation du travail et l'aménagement des espaces, aussi bien dans l'entreprise (bureaux) qu'au sein du domicile avec une sélection de meubles, d'équipements, de sièges et de luminaires adaptés à un télétravail à grande échelle. Il s'agit par conséquent de prendre en compte plusieurs catégories de collaborateurs, ceux travaillant en présentiel (vêtements appropriés, masques, gels et solutions hydro-alcooliques, désinfectants, gestes barrières, cloisons mi-hauteurs transparentes, cloisons en plexiglas...) , ceux qui opèrent à distance (
home office: mobilier de bureau adapté aux "intérieurs", table d'appoint, chaise ergonomique, équipements légers et flexibles) et les salariés qui se retrouveront en modèle alterné.
4) Les défis en termes de santé et de risques psycho-sociaux
Le contexte épidémique vient bouleverser la vie quotidienne, sociale, professionnelle et familiale. Elle remet en cause nos certitudes, nos croyances (rapport à la mort et à la maladie) mais aussi une partie de nos valeurs sur lesquelles se sont fondées nos Sociétés (liberté, égalité, fraternité). Cette crise génère par conséquent de la peur et de l'anxiété. Elle conduit à des attitudes parfois contraintes et timorées qui limitent nos comportements naturels et instinctifs (authenticité, spontanéité, partage des émotions, intensité des sentiments....). L'isolement social ou dans un lieu donné (quarantaine) peut aussi entrainer des risques de maladies graves (solitude structurelle, sentiment d’abandon, déprimes, dépressions, détresse psychologique…) ou d’autres formes de mortalité (suicides) qui demandent une attention et un suivi de tous les instants.
5) Le défi de la négociation sociale La crise de la Covid-19 modifie l'équilibre social dans les entreprises, générant des tensions entre l'exigence de compétitivité et l'acceptabilité sociale des transformations à l'oeuvre. Le maintien ou la reprise de l'activité nécessite de nouveaux compromis, s'appuyant sur une légitimité refondée des décisions (mesures et accords) et une pratique renouvelée de la négociation en entreprise (« pacte de résilience »). En effet, les mesures de prévention et de protection (gestes barrières, règles de distanciation, pratiques de nettoyage...) ne sont pas toujours complètement applicables et il est difficile de s’assurer qu’elles sont suffisantes. Les travailleurs se sentent exposés à un danger difficile à évaluer, à maîtriser… Les délégués du personnel ont rapidement pointé les failles dans l’application de certaines mesures et le manque de ressources disponibles (soutien financier et organisationnel, effectifs).
Il convient par conséquent de co-construire un cadre légal (interprétation partagée de la négociation sociale, dialogue social, priorisation des activités) entre les représentants du salarié et le management, pour assurer la continuité de l'activité économique. Seules l'écoute et la co-construction peuvent permettre d'obtenir à la fois l’acceptation et l’adhésion au moment de la mise en œuvre de mesures difficiles (chômage partiel, adaptation des horaires de travail, télétravail...).
6) La question de l'intelligence collective
En ces temps difficiles, les entreprises vont être contraintes de renouveler leur modèle organisationnel et managérial, en veillant à garder la confiance de leurs équipes. Cette confiance dépend de l'attention que les responsables portent à leurs collaborateurs. Elle implique de savoir partager une dynamique collective autour d'une stratégie claire et d'expliciter la façon dont sont prises les décisions, en toute transparence. Elle exige aussi des dirigeants, qu’elles apportent des réponses proactives plutôt que réactives, en faisant preuve d'anticipation. Si l’intelligence collective est nécessaire, il convient de savoir comment l'activer. Ce type d'intelligence ne se résume pas à un groupe formé d’individus intelligents, mais à un ensemble de personnes diverses et variées, qui interagissent régulièrement vers un objectif commun. La question est donc de savoir de quelle façon peut s'opérer cette dynamique entre des personnes de plus en plus isolées.
De ce fait, il importe de combiner le télétravail avec un accompagnement humain et continu, via le tutorat ou le mentorat. Il est également nécessaire de développer des projets collectifs en présentiel, en veillant à renforcer la dimension émotionnelle et la recherche d’une plus grande authenticité, très loin des jeux politiques et institutionnels habituels. Le présentiel sera davantage réservé au partage des émotions (sentiments), en misant avant tout sur les moments de détente, de joie, de partage d’expériences ou de créativité. Seule une mobilisation des capacités créatives et intellectuelles de l’ensemble des collaborateurs pourra permettre de préserver dans la durée, un véritable sentiment d'appartenance et ainsi garder l'idée de socle culturel commun.
7) Le défi culturel L'un des principaux défis que l’entreprise aura à gérer, visera à réussir à recréer un monde commun, face à des individus isolés, repliés sur leur propre subjectivité et incapables d’adhérer naturellement à toute forme de légitimité rationnelle-légale (perte de valeurs, absence de référentiel, instabilité économique et organisationnelle...). L'ampleur et la durabilité de cette crise et la prise de conscience de la possibilité de vivre avec des vagues de contamination successives, renforcent l’impression d’être dépossédé de tout cadre rationnel stable. La crise actuelle vient ainsi transformer notre modèle économique et social en un système procédurier et technologique, où l'individu apparaît perdu et impuissant.
Il y a dès lors un risque que les collaborateurs se détournent progressivement de l’autorité hiérarchique et paraissent de moins en moins liés à leur organisation d'origine (repli sur ses croyances, rapport individualisé à l'information et aux échanges), avec des conséquences graves, tant sur le plan professionnel (règne de la "
multitude":
multi-employeurs,
multi-activités,
multi-réseaux...), organisationnel (affaiblissement du lien de subordination), relationnel (délitement du lien social) que psychologique (ressentiments, pessimisme, résignation...). En effet, comment réagir dans la durée, à un employeur a fortiori compétent et reconnu qui se trouve dans l'incapacité de rassurer ses collaborateurs (détérioration des conditions sociales et salariales), de préserver la justice sociale (aggravation des inégalités) et de faire converger l'ensemble des collaborateurs dans le même sens, simplement parce que l'environnement vient mettre mal le modèle culturel et social de l'Entreprise ?