ALIPH, les enjeux de la restauration du patrimoine culturel en zone de conflit




Le 16 Mars 2020, par Christine de Langle

La Chine explique sa contribution au capital de la fondation à hauteur d’un million de dollars par an : « Nous savons ce que c’est d’avoir été pillés, nous sommes solidaires des pays qui l’ont été ».


Bibliothèque Khalidi Jérusalem traitement des manuscrits
Au croisement de l’aide au développement et de la politique d’influence

Depuis sa création en 2017, l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine en zone de conflit (ALIPH) a soutenu près d’une cinquantaine de projets de protection du patrimoine dans 14 pays, pour un montant de plus de 17 millions de dollars. Déjà présente en Irak et au Mali, la fondation élargit ses actions à l'Afrique de l'Est (Soudan, Érythrée, Somalie), à l'Amérique du Sud (Pérou) et à l'Asie Centrale (Afghanistan,Géorgie).

« Aujourd’hui, précise Valery Freland, Directeur exécutif d’ALIPH, on est dans nos objectifs. Depuis la création de la fondation, on a reçu 80 millions de dollars qui constituent notre capital. Avec 15 à 20 millions de dollars de dépense par an, nous devons continuer nos efforts pour assurer la pérennité de la fondation » et d’ajouter : « ALIPH doit continuer à lever des fonds auprès de nouveaux partenaires publics ou privés, mais doit aussi repérer des opérateurs capables de mettre en œuvre des projets dans les zones en conflit, ce qui ne va pas de soi». La philosophie d’ALIPH est de renforcer les liens entre opérateurs internationaux et opérateurs locaux pour être à la fois local et global.

La maison Tutunji à Mossoul après déminage
Cette fondation privée de droit suisse bénéficie d’un statut d’organisation internationale comparable à celui des Nations Unies Genève, ce qui lui permet de recevoir des financements publics (8 états) et privés (3 fondations), européens, américains, arabes ou chinois. Diplomate de carrière, Valery Freland connait toute la puissance et les subtilités du soft power : « Nous voulons créer la grande famille d’ALIPH des opérateurs et d’abord susciter l’adhésion en reconnaissant l’expertise de l’autre ». Celle de la Chine, par exemple, dans la restauration des temples bouddhiques, dans la connaissance de l’architecture de terre, bois et brique. La Chine explique sa contribution au capital de la fondation à hauteur d’un million de dollars par an : « Nous savons ce que c’est d’avoir été pillés, nous sommes solidaires des pays qui l’ont été ».
 
Quelques exemples de l’action d’ALIPH

Temple de Shamas à Hatra étudié par drone - (c) ISMEO
En Irak, une mission italo-iraquienne, financée par ALIPH, vient de sécuriser les oeuvres d’art de Hatra, ancienne ville caravanière, inscrite au patrimoine mondial de l'UNESCO, vandalisée par Daesh. La découverte la plus spectaculaire a été celle des fragments appartenant à deux des grandes sculptures de visages humains, qui décoraient la façade du grand sanctuaire dédié à Shamash, le dieu du Soleil. Minutieusement documentées grâce à l'utilisation de drones, ces fragments s'emboîtent parfaitement, ce qui permettra de restaurer et de replacer les sculptures dans leur lieu d'origine. Valéry Freland a salué les résultats obtenus : « C'est un moment de grande émotion, le premier pas vers la renaissance de Hatra, une ville ancienne qui symbolise la profondeur et la diversité de la culture iraquienne. ALIPH a été fondée en réponse à la destruction massive du patrimoine culturel, avec pour mission d'aider à restaurer l'espoir dans les régions dévastées par la guerre et le terrorisme".

En Palestine, ALIPH apporte son soutien financier à deux projets de restauration : La réhabilitation du monastère Saint-Hilarion à Gaza, le plus vieux monastère de Terre Sainte fondé par le père du monachisme palestinien en 329. Ce projet vise à rénover ces bâtiments historiques pour les rendre accessibles au public et renforcer les capacités locales de préservation du patrimoine culturel à Gaza. Les activités contribueront à améliorer les compétences et les connaissances des étudiants et des professionnels en matière de conservation, à promouvoir le tourisme culturel et à sensibiliser le public à l’importance du patrimoine culturel. L’ONG française, Première Urgence Internationale, mettra en oeuvre ce projet. La protection des manuscrits historiques de la Bibliothèque Khalidi, bibliothèque arabe de Jérusalem, la plus ancienne et la plus grande collection privée de ce type à Jérusalem, par leur restauration et leur numérisation. Ces deux projets ont été amorcés et financés par le British Council. « Il est intéressant de coordonner nos deux fonds en ces temps de Brexit » se réjouit Valéry Freland.
 
Bibliothèque Khalidi Jérusalem

Restaurer les monuments et le dialogue des cultures

Aujourd’hui dans un monde globalisé, les identités se crispent et certains projets semblent plus difficiles, notamment à Mossoul marqué par Daesh qui visait un lieu où l’on pouvait vivre ensemble. En phase avec l’Unesco Projet,  ALIPH y poursuit un projet « la Mosaïque de Mossoul » qui vise à faire revivre la diversité culturelle et la richesse patrimoniale de la vieille ville. ALIPH est prêt à réhabiliter deux églises, deux mosquées, la dernière synagogue et la Tutunji House, maison ottomane du 19e siècle, qui incarne l’esprit des marchands de Mossoul. Projet encore en négociation à cause des tensions inter culturelles. Ce dialogue des cultures est au coeur de la philosophie d’ALIPH. Son action est relayée par des personnalités politiques de haut vol, à l’exemple de Barisa Khiari, ancienne sénatrice, Présidente de l’Institut des Cultures d’Islam, qui représente la France au sein du Conseil d’ALIPH. Elle est aussi la représentante personnelle du Président de la République. « Quand un habitant de Mar Benham voit la restauration du monastère, même si sa maison est toujours en ruine, il se dit que la vie reprend » rappelle-t-elle. C’est le patrimoine qui permet de retrouver son identité et le dialogue des identités.

ALIPH sélectionne ses projets à travers des appels à propositions réguliers mais peut être saisie tout au long de l’année pour apporter son soutien à des mesures d’urgence. www.aliph-foundation.org
 

Christine de Langle