Daniel Edah : «Les plus urgentes des priorités du Bénin»

Le Grand Entretien du JDE avec Daniel Edah, candidat aux élections présidentielles béninoises de 2016




Le 4 Novembre 2015, par La Rédaction

Daniel Edah est le candidat du parti Mouvement pour la Prospérité Solidaire (MPS) à l’élection présidentielle de 2016 au Bénin. Il a accepté de détailler en exclusivité pour le JDE le volet économique de son programme et ses priorités pour le Bénin.


Quel est votre constat sur la situation économique actuelle du Bénin ?

Daniel Edah (à droite) avec le Président de la Banque africaine de développement
Depuis 2012, le Bénin présente un visage relativement stable au niveau macro-économique avec une croissance du PIB du Bénin qui tourne autour de 5% (5,4% en 2012, 5,6% en 2013 et 5,5% en 2014 selon les statistiques du Ministère de l’Economie et des Finances) après une décennie de croissance économique oscillant autour de 4%. Ces différentes performances enregistrées sont essentiellement dues aux réformes au Port Autonome de Cotonou ainsi qu’à la production agricole vivrière et les services, deux secteurs qui constituent plus de 85% du PIB du Bénin. Le défi majeur de la gouvernance économique est d’éviter la régression de cette performance et d’œuvrer à sa progression afin qu’elle puisse avoir un effet positif durable sur les couches défavorisées. En effet, selon l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), il faudra atteindre un taux de croissance minimal de 7% et le maintenir sur plusieurs années pour engendrer une réduction significative de la pauvreté.
 
Concernant les infrastructures, la grande dépendance énergétique du Bénin vis-à-vis du Nigéria et du Ghana via la Communauté Electrique du Bénin (CEB) entrave l’indispensable industrialisation du pays pour asseoir une véritable économie productive qui dispose déjà d’un grand marché régional demandeur de biens manufacturés. Les principales villes du Bénin font aussi face à d’énormes défis en termes de canalisation des eaux et d’assainissement. La crise du logement engendrée par les coûts anarchiquement élevés des loyers et l’insécurité foncière résiste également aux efforts déployés ces dernières années par le gouvernement.

Sur quoi reposent les progrès constatés ces dernières années ?

Je salue la réalisation de nouvelles infrastructures routières, portuaires et aéroportuaires ainsi que la construction de nouveaux tribunaux pour rapprocher les services judiciaires des justiciables. La gratuité de l’enseignement décrétée est une mesure qui milite en faveur de l’éducation pour tous et qui aura permis l’accroissement significatif du nombre d’enfants scolarisés au Bénin. Toutefois, les mesures d’accompagnement doivent être réexaminées à la hausse pour éviter l’étouffement de l’administration scolaire et améliorer la qualité de l’offre dans l’enseignement. En matière de santé, le lancement du régime d’assurance maladie universelle est une grande avancée même s’il sera nécessaire de réexaminer le dispositif pour le mettre véritablement au service du peuple et non d’une quelconque politique partisane. Un pas a été fait et il importe de le saluer.
 
Pour l’emploi des jeunes et l’autonomisation des femmes, deux fonds importants ont été créés. Seulement, ceux-ci s’apparentent à des dispositifs de gratification d’alliés politiques partisans ou de détournement des ressources publiques. En effet, nombreux sont les bénéficiaires de ces fonds à ne pas rembourser, tandis que le mode de remboursement des micro-crédits met une pression sociale considérable sur les femmes bénéficiaires, souvent obligées d’abandonner leurs foyers. Je m’emploierai à réexaminer ces dispositifs, à les ajuster et les consolider de manière à en faire de véritables outils au service de la production de la richesse et de l’emploi des jeunes et des femmes.
 
Les défis socioéconomiques que nous devons relevés sont bien trop souvent relégués au second plan d’un environnement politique qui rime de plus en plus avec les antivaleurs telles que corruption, enrichissement illicite, régionalisme et impunité. Ces faiblesses entravent la bonne réalisation des projets de développement et sapent le moral de la jeunesse désormais poussée vers la recherche du gain facile.

Quels sont selon vous les plus importants points bloquant résiduels ?

Malgré les multiples initiatives du Président Boni Yayi que je salue pour son engagement, la pauvreté et les inégalités gagnent du terrain tandis que la corruption progresse. Au plan social, l’absence d’une économie productive et le trop grand investissement dans des formations à vocation essentiellement administrative font que le chômage et le sous-emploi frappent durement la population béninoise dont plus de 60% a moins de 30 ans.
 
Dans le secteur de l’éducation, malgré les investissements du gouvernement actuel, force est de constater le grand déficit à combler en termes d’enseignants et d’infrastructures. Les gratuités de l’enseignement primaire pour les filles et garçons et de l’enseignement secondaire pour les filles que le gouvernement a décrétées n’ont pas bénéficié de mesures concrètes d’accompagnement. Les parents sont souvent sollicités par le biais de cotisations destinées à aider à couvrir les charges de l’école. Par ailleurs, près de 90% des enseignants du secondaire sont des vacataires tandis qu’il est annoncé près de 11000 départs à la retraite dans le corps enseignant (maternel, primaire et secondaire) à partir de 2016. Tout cela fragilise le discours officiel de gratuité de l’enseignement au Bénin tout comme celui sur la gratuité de la césarienne dans le domaine de la santé.
 
Dans le domaine de la santé précisément, le manque d’infrastructures et l’éloignement des centres publics de santé des lieux de résidence des citoyens facilitent l’installation anarchique de cabinets de soins et cliniques privées non règlementaires. Les centres de santé publics existants souffrent d’un manque d’équipements et de personnel. En parallèle, la lutte contre les faux médicaments bénéficie, au-delà des discours, d’une faible volonté politique agissante. Tout comme la justice, les secteurs de l’éducation et de la santé sont de plus agités par les grèves fréquentes.
 
Dans les domaines de la culture et du tourisme, malgré les ressources injectées, l’impact sur l’emploi et sur la croissance est très peu ressenti. Le projet de développement touristique « route des pêches », hérité du regretté ancien Président Général Mathieu Kerekou, est resté sans concrétisation significative tandis que les services organisés pour accueillir et agrémentés le séjour des touristes sont embryonnaires. De plus, le Bénin attend encore une véritable politique de promotion des industries et entreprises culturelles, comprises comme sources de création de richesses et d’emplois. Le fonds d’aide à la culture bénéficie de plusieurs milliards de subventions. Mais paradoxalement les artistes vivent difficilement de leur art au Bénin tandis que la promotion et la distribution de leurs œuvres manquent de professionnalisme.
 
Dans le domaine de l’agriculture, l’accroissement de la production agricole vivrière est surtout une conséquence de la crise qui secoue la filière coton depuis que le désamour a vu le jour entre Monsieur Patrice Talon, ancien magnat du coton et le Président Boni Yayi qu’il a pourtant soutenu financièrement pour la conquête et la conservation du pouvoir respectivement en 2006 et 2011. Malgré la communication politique du régime actuel pour étouffer la réalité, le secteur du coton se porte très mal. Plus largement, la mécanisation de l’agriculture est encore balbutiante tandis que le Bénin est obligé d’importer d’énormes quantités d’engrais et autres intrants pour son agriculture. Les pistes rurales sont très mal entretenues voire impraticables par endroits, rendant difficile l’accès des paysans au marché pour l’écoulement de leurs produits. Les paysans vivent dans la misère malgré tous les efforts qu’ils fournissent chaque année.

Quels sont selon vous les chantiers prioritaires pour remettre le Bénin sur la voie de la croissance et de la prospérité ?

En l’état actuel du Bénin, tout est prioritaire. Mais malgré l’importance des différents sujets, le relèvement des défis de l’indépendance énergétique du pays et l’emploi des jeunes me paraissent particulièrement urgents. Le déficit énergétique dont souffre le Bénin est un facteur dissuasif pour l’implantation des industries, donc pour l’avènement de l’économie productive que je souhaite impulser pour la croissance et la prospérité. Ma première priorité sera donc le relèvement du défi énergétique. Car sans énergie pas de production, pas de prospérité économique, donc pas d’emploi. Mon projet de société, « Il fera beau » et ses 77 engagements, est aussi fortement axé sur la participation et l’emploi des jeunes et des femmes tout en faisant de la réussite de la lutte contre la corruption, l’enrichissement illicite et l’impunité, la condition sine qua non pour le relèvement de tous les autres défis sociaux, économiques, culturels et politiques. Cette lutte est indispensable pour améliorer l’environnement des affaires et garantir plus de chance pour la bonne réalisation des projets et programmes de développement, notamment pour ce qui des infrastructures socioéconomiques. 

Comment envisagez-vous concrètement de répondre aux défis que vous avez identifiés ?

Le relèvement du défi énergétique passera par le partenariat public-privé. Il s’agira de : instaurer une politique claire avec un instrument incitatif pour les ménages et les zones en pleine croissance démographiques qui optent pour l’énergie solaire; libéraliser en partie la production de l’énergie alternative au Bénin et créer un cadre légal sécuritaire et opérationnel: dans l’immédiat, concentrer la politique énergétique sur cette alternative pour pallier aux délestages chroniques dont sont victimes les populations.  
Je salue les récentes démarches entamées par le Président Yayi avec le précieux concours du Premier Ministre Lionel Zinsou pour permettre au Bénin d’avoir désormais une disponibilité énergétique de plus 1000 MW. Je sais que le temps qui leur reste n’est pas suffisant pour finaliser les démarches. Je voudrais rassurer les entreprises avec lesquelles le gouvernement négocie : nous poursuivrons les chantiers ouverts tout en invitant toutes les autres grandes entreprises spécialisées dans l’énergie à explorer les possibilités d’investissement au Bénin. A partir du 6 avril 2016, nous leur ferons des conditions préférentielles pour faciliter leur venue et installation au Bénin. Mais au-delà de la production de l’énergie pour satisfaire les besoins de consommation des ménages, d’industrialisation et de fonctionnement des entreprises et de l’administration publique, mon ambition est d’inscrire le Bénin au nombre des pays exportateurs d’énergie. Et nous le pouvons.
 
Sur la question spécifique et cruciale de l’emploi des jeunes, j’estime que le système éducatif béninois est actuellement inadapté au relèvement du défi de l’emploi : il produit plus de compétences pour les secteurs de consommation de la richesse que pour les secteurs de production de la richesse. Il nous faut former nos jeunes dans des compétences utilisables efficacement par les industries que nous aiderons à s’installer. Je m’engage à investir davantage dans la formation technique et professionnelle, tout en garantissant pour tous l’accès à l’outil informatique grâce à un programme d’acquisition subventionnée d’ordinateur portatif pour chaque étudiant et chaque enseignant ainsi que le retour des coopératives scolaires qui avaient permis à plusieurs béninois d’acquérir des compétences dont ils continuent de jouir depuis plusieurs années. Mon équipe poursuivra les recrutements dans la fonction publique pour les nécessités de remplacement des fonctionnaires de l’Etat qui partent à la retraite ou d’ajustement des ressources humaines aux besoins en fonction de notre démographie. En plus de cela, nous comptons mettre en œuvre les engagements spécifiques ci-après : la mise en place du Programme Présidentiel des Stages pour inciter les entreprises privées à offrir des stages académiques ou professionnels aux étudiants et jeunes diplômés afin de leur permettre d’acquérir des expériences à faire valoir sur le marché du travail ; la création de sociétés coopératives dans toutes les communes pour créer de véritables économies locales et permettre l’embauche d’au moins 1000 jeunes par commune ; le soutien à la création/restructuration de 50 000 entreprises dans tous les secteurs, y compris la culture et le tourisme, avec pour objectif de générer un minimum de 2 emplois par entreprise soutenue, ce qui permettra de créer 100 000 emplois sur 5 ans.