De la géopolitique à l’art : du cœur des conflits au cœur de l’homme




Le 21 Janvier 2020, par Christine de Langle

Qui se souvient de la Yougoslavie ? Pays martyrisé par les Nazis, modelé par le communisme de Tito puis ravagé par ce qu’on appelle pudiquement le conflit serbo-croate. Pour appréhender dans toute sa violence et sa complexité cette guerre qui dressait les communautés entre elles, un arrêt sur image s’impose, aussi dur soit-il. C’est l’expérience audacieuse que propose le Fonds Leclerc de Landerneau avec la rétrospective de l’artiste serbe Vladimir Veličković récemment disparu.


Affiche Velickovic_Photo © Zarko Vijatovic © Adagp, Paris 2019 © FHEL, 2019
Né à Belgrade en 1935, il est témoin de la répression de la résistance yougoslave par l’armée allemande. Désormais hanté par la question de la souffrance et de la mort, il affirme très tôt une vocation de peintre née à 16 ans au Louvre devant La Piéta de Villeneuve-lès-Avignon et toute son œuvre est une interrogation terrible sur la souffrance et la présence du mal au cœur de l’homme. Sans nom, immense composition de 7m de long, met le visiteur face à la réalité de la torture pendant la guerre serbo-croate qui fit des milliers de morts entre 1991 et 1995. Impossible d’affronter longtemps cette peinture. L’œil absorbe mais l’esprit refuse cette cruauté trop proche de nous dans le temps et l’espace. Scandale d’une actualité mais, pour le peintre, réflexion sur l’intemporalité du mal.

Velickovic_Danger, 2019, Velickovic_Collection particulière_Photo © Zarko Vijatovic © Adagp, Paris 2019
Les grands thèmes de l’exposition, « intégration du temps », « harmonie », « rythme » nous aident à comprendre « ce qu’est la peinture avant de commenter ce qu’elle montre, en l’occurence la tragédie de la condition humaine ». Au-delà de l’horreur du sujet, Veličković continue à célébrer la beauté de l’acte de peindre. La peinture est d’abord une harmonie de formes, un rythme du dessin, une inscription dans le temps et dans l’espace. Ce sont des accords subtils de noir et blanc, un usage parcimonieux de la couleur jugée trop superficielle dans ce contexte de questionnement radical. Ces visions morbides transformées en énergie vitale par la force du trait et la subtilité des accords peints permettent d’appréhender ce que Nietzsche appelait « le grand style qui consiste à mépriser la beauté petite et brève ». Le dessin n’est pas réservé à l’œuvre préparatoire à la peinture. Quand il étudie l’œuvre de Goya, Rembrandt, Dürer ou Léonard de Vinci, c’est pour traquer au plus près la réalité des passions humaines « par le dessin on peut communiquer absolument tout : la joie, la folie, la tristesse, le drame, le passé et le futur, la vie et la mort » et celle de l’artiste « le dessin est avant tout portrait de soi-même ».

Au cœur de l’exposition, Grünewald, peinture de 2004, référence au peintre du retable d’Issenheim qui lui a inspiré une série de peintures depuis 1994 centrées sur le thème de la Crucifixion. C’est Grünewald, le peintre de la Passion qui l’intéresse. « La plus grande histoire qu’on ait jamais connue » affirme Paula Rego, artiste portugaise « Et pour atteindre ce qu’il y a de plus profond dans l’art, vous devez parfois vous y confronter ».
Ainsi, ce qu’il y a de plus profond dans l’art dévoile ce qu’il y a de plus profond dans l’homme, la présence du mal mais aussi la quête de la beauté.
Vladimir Velickovic dans son atelier, 2010_Photo © Zarko Vijatovic

Christine de Langle