Doit-on céder à la demande de régularisation massive des sans papier ?




Le 6 Avril 2020, par Rym BOUKHARI

« La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité ». - Préambule1 de 1946 à la Constitution de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).


La France vit maintenant sa troisième semaine de confinement en raison de l’épidémie qui nous a tous contraint de rester chez nous et qui a en conséquence soulevé plusieurs problématiques dont celle abordée par le Conseil d’Etat à la suite de la requête enregistrée le 23 mars 2020 par le Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI), l’association « Avocats pour la Défense des Droits des Etrangers » (ADDE), le Syndicat des avocats de France, l’association la Cimade et le Conseil national des barreaux visant à demander la fermeture temporaire des centres de rétentions.
 
Par une ordonnance du 27 mars 2020 (N° 439720), le Conseil d’Etat a rejeté la demande de fermeture temporaire des centres de rétention justifiant ce refus par l’absence d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
 
Pour arriver à cette conclusion, le Conseil d’Etat soulignera notamment que le nombre de personnes retenues dans les centres de rétention administrative a diminué dans des proportions très importantes depuis que l’épidémie de covid-19 a atteint la France. Sur les 26 centres de rétention d’une capacité d’accueil totale d’un peu plus de 1 800 places, ils ne comptaient que près de 350 personnes retenues à la fin de la semaine du 16 mars 2020 et seulement 152 personnes à la date du 26 mars 2020.

Nous concevons bien que l’application littérale des textes justifie pleinement la décision du Conseil d’Etat, mais elle nous laisse néanmoins un peu perplexe dans la mesure où ces centres  de rétention ne sont ni équipés, ni organisés pour assurer un accueil sécurisé des personnes dans le respect élémentaires des consignes sanitaires actuelles.

Alors que la reconduite des étrangers est actuellement impossible à mettre en place si bien que ces mêmes étrangers vont finir par sortir au bout de 45 jours, le maintien des centres de rétention perd sa nécessité, qui rappelons-le, n’a pour seul objet que de retenir l’étranger « pour le temps strictement nécessaire à son départ » (article 554-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile).
 
A la fin de cette rétention, ces mêmes étrangers vont se retrouver pour la plupart dans la rue, il suffit pour s’en convaincre de faire un tour dans certains quartiers de Paris pour s’apercevoir que la rue a remplacé l’hébergement précaire précédemment procuré par les parcs publics.
 
Cette population n’a souvent pas de papier, pas de logement, pas de sécurité sociale et surtout sont existence n’est même pas recensée par la Préfecture.
 
Pourtant, sans recensement de ces personnes, le gouvernement ne pourra pas assurer la protection de la population.
 
D’après certains chiffres, le nombre de personne, sans papier et non déclarées pourraient atteindre le nombre allant de 100 000 à 200 000 personnes.
 
Face à cet état de fait, sept députés réclament au gouvernement la régularisation provisoire des sans-papiers pendant la crise du coronavirus comme l’a fait le Portugal dernièrement.
 
Le député François-Michel Lambert, élu écologiste des Bouches du Rhône va jusqu’à considérer cette mesure comme une "question de vie ou de mort" pour tout le monde.
 
Bien entendu, pour que cela soit réalisable il sera nécessaire de légiférer dans ce sens afin de créer un statut semblable à celui des demandeurs d’asile, permettant ainsi aux étrangers nouvellement régularisés l’accès aux soins, à l’hébergement et à une aide minimale qui permet de rester à l’abris du virus.
 
Cela signifie bien entendu de débloquer des fonds pour financer ces quelques milliers de personnes, mais ces fonds peuvent peut-être trouvés dans la réorganisation des centres de rétention en les transformant en hébergement d’urgence par exemple où encore en libérant les forces de l’ordre des arrestations inutiles actuellement.
 
Le plus pauvre n'échangerait pas sa santé pour de l'argent, mais le plus riche donnerait tout son argent pour la santé.”-  Charles Caleb Colton.
 
Alors, à l’occasion de la journée mondiale pour la santé ( 7 avril), un effort financier pour le renoncement des étrangers au travers de leur régularisation temporaire sera un effort pour la protection sanitaire de toute la population.
 
Ainsi que l’a déclaré Madame Marilyne Poulain, chargée des questions liées aux travailleurs sans papiers à la CGT, les activités indispensables pour la vie de tous les jours comme le nettoyage, le tri des déchets, l’aide aux personnes et les métiers de manutention dans les commerces sont essentiellement assurés par des étrangers qui souvent n’ont pas de titre de séjours (« Les travailleurs étrangers, avec ou sans titre de séjour, sont en première ligne dans les activités de nettoyage, de ramassage et de tri de déchets, d’aide à la personne, d’agriculture ou de commerce, indispensables aujourd’hui »)
 
Les étrangers sans papiers travaillent dans différents secteurs, notamment celui de l’aide aux personnes âgées, et cela peut devenir une problématique sanitaire majeure compte-tenu de l’absence de prise en charge médicale de ces travailleurs, qui sont susceptibles aussi de contaminer celle ou celui dont ils doivent s’occuper ;
 
Dès lors, une mesure de régularisation temporaire permettra d’une part de recenser les étrangers sans papiers non déclarés auprès des autorités, et d’autres part, permettra à l’ensemble des sans papier un accès aux soins gratuit ce qui ne peut que les inciter à aller consulter un médecin et ainsi se protéger et protéger ceux avec qui ils pourraient entrer en contact.
 
Comme l’avait si bien dit Madame de Sévigné : “Que cette année vous soit heureuse ; que la paix, le repos et la santé vous tiennent lieu de fortune ».(Lettre au comte de Bussy-Rabutin, le 15 janvier 1687).
 
C’est sur cette belle note que nous terminerons, prenez soin de vous.
 

Rym BOUKHARI
Docteur en droit
Diplômée de l’École Internationale des Modes Alternatifs de Règlements des Conflits
Avocat aux barreaux de Paris et d’Alger
Associée Lex Squared