Epidémie, Chaos et croissance




Le 20 Avril 2020, par François-Bernard Huyghe

La Bible et Hésiode font du Chaos l’état originel de l’Univers : le non différencié. Mais, dans le langage courant, chaos est synonyme de désordre, absence de contrôle ou de lois, désordre contagieux. L’idée s’applique à une situation dont nul ne voit l’issue, qui ne correspond pas à ses expériences antérieures et qui traduit l’effondrement d’une structure de régulation réputée solide. Il n’y a plus de code pour interpréter et agir.


En l’occurrence, le chaos qui nous menace a une genèse paradoxale. Notre système repose sur la prévision (p.e. celle de la croissance à la décimale près), la gestion et socialisation du risque (qui n’est pas le danger), la foi en la direction du progrès, le culte du mouvement, de la vitesse et de la communication, la confiance en un ordre économique et politique face auxquels il n’y aurait pas d’alternative, mais que des fantasmes agressifs ; nous sommes aussi censés croire en la puissance et l’unanimité de la science, et valoriser plus que tout la sécurité individuelle et la vie humaine (pour ne pas parler de biopouvoir).

Or le chaos vient par où on l’attendait le moins : ce n’est pas une guerre, un attentat (le 11 sept. 2001 : on dit que le monde ne sera plus jamais comme avant), pas un mécanisme financier connu (en 2008 on dit que le monde ne sera plus jamais comme avant), pas une conséquence du réchauffement climatique, pas des émeutes populaires.. Certes l’hypothèse d’une épidémie (ou d’une ébauche d’attaque bactériologique) était dans les cartons. Mais personne n’avait songé à la vitesse de paralysie contagieuse. Car, statistiquement, si COV-19 tue, il tue encore bien moins que d’autres causes ou d’autres maladies (sans remonter épidémies du siècle dernier), et il nous frappe plus indirectement en nous obligeant à freiner. Simplement à freiner.

Les mesures que nous prenons pour éviter sa croissance exponentielle nous obligent à faire la seule chose imprévue dans le manuel: s’abstenir. Rentrés chez nous, ne circulant plus, ne consommant plus, ne produisant plus... Du coup la machine vouée à la fuite en avant déclenche une cascade de conséquences négatives. Pandémie plus panique plus paralysie. Une grande part de l’effet de l’épidémie - qui à ce jour est très loin d’être la plus létale - tient à nos réactions. Qui contrarient la logique progressiste (toujours plus, toujours plus vite, toujours nouveau, toujours plus global, toujours dans la même direction).

Une part de subjectivité imprègne toute perception du chaos, et a fortiori toute spéculation sur sa capacité à créer un nouvel ordre ... Le chaos est aussi culturel et dans nos têtes.

François-Bernard Huyghe, docteur en sciences de la communication, habilité à diriger des recherches, est l’auteur de très nombreuses publications en médiologie et il est l’un des grands spécialistes des questions de manipulation de l’information. Il est notamment l’auteur de Fake News, VA Editions