Gilets jaunes: un professionnel du maintien de l’ordre analyse les évènements du 1er décembre




Le 2 Décembre 2018

Grégoire L est un ancien officier de Gendarmerie Mobile. Il a commandé un peloton puis un escadron dans de nombreuses manifestations. Il nous livre son analyse sur les affrontements qui ont eu lieu entre gilets jaunes, casseurs et forces de l’ordre.


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Pensez-vous qu’il y a eu, hier, des fautes dans la manière de maintenir l’ordre ?
 
Je voudrais avant toute chose manifester ma solidarité avec mes camarades gendarmes, policiers et CRS qui ont eu à faire face à des évènements exceptionnels d’une grande violence. Je voudrais souligner leur professionnalisme car cette situation a été gérée avec finalement peu de blessés chez les manifestants au regard de la brutalité des affrontements. Un syndicaliste de la police annonçait plus d’une centaine de blessés dans les rangs des forces de l’ordre. Un CRS a failli se faire lyncher et a pourtant choisi de ne pas utiliser son arme. Pour répondre à votre question, sur le terrain les unités ont parfaitement fait leur travail.
 
Si les unités de maintien de l’ordre ont bien fait leur travail, il n’empêche que Paris a été ravagée…
 
Les CRS et le Gendarmerie Mobile ont été créés au 20e siècle pour faire face à des mouvements sociaux structurés et pyramidés. Pendant des dizaines d’années cela a fonctionné selon des modalités précises : demande d’autorisation de manifestation, cortèges encadrés et affrontements localisés. Un chercheur de Science Po parlait de ritualisation du maintien de l’ordre avec un éventail technique, des réponses sécuritaires et une violence contenue dans l’espace et le temps. Là il s’agit d’une mobilisation 2.0 avec des manifestants disposant également de moyens de communication qui ne respectent pas ces codes. Donc on se retrouve avec des forces organisées pour tenir solidement des rues et des avenues, face à des groupes très mobiles disséminés dans Paris. C’est ingérable. C’est de plus extrêmement dangereux pour les policiers et les gendarmes. Ils peuvent en effet se retrouver seuls dans de larges espaces avec le risque de se faire encercler ou isoler. L’erreur qui a été commise est de ne pas avoir ouvert les Champs Élysées pour que les affrontements soient localisés dans un périmètre précis.
 
Pour le gouvernement il s’agit de casseurs, qu’en pensez-vous ?
 
Il y avait incontestablement des mouvements extrémistes. Cependant, la psychologie des foules est complexe. Quand des leaders commencent à casser, il y a un effet d’entrainement. En regardant les images et en me fiant aux déclarations sur l’origine des manifestants interpellés, les affrontements les plus durs sont à mon sens dus à des gilets jaunes traditionnels qui se radicalisent. C’est classique dans les mouvements sociaux. Hors de toute considération politique, il faut une réponse rapide de l’exécutif car tout cela va mal se finir. Le mépris affiché au départ, essayant de faire passer l’action des gilets jaunes pour celle de casseurs ou de nazis se traduit par une radicalisation. C’est bien de donner des coups de menton autoritaire en affichant une fermeté absolue, mais si ça continue il va y avoir des morts. Je reste dubitatif quant à l’intérêt de rester ferme sur l’augmentation de quelques centimes du prix du gasoil, face aux drames qui risquent de se produire. Nous sommes face à une situation insurrectionnelle.
 
Comment voyez-vous la suite ?
 
Je suis très inquiet. Le sécuritaire est au maximum de ce qu’il peut faire. Il y avait un tiers des forces mobiles dans la capitale. C’est énorme et, de mémoire, totalement exceptionnel. Le reste était disséminé sur le territoire avec des endroits peu défendus. J’ai vu une poignée de pauvres gendarmes départementaux essayant de défendre courageusement la Préfecture du Puy en Velay qui a finalement été incendiée. Les CRS et Gendarmes Mobiles ne peuvent pas être partout en même temps. Face à un mouvement d’une telle ampleur il est clair que les policiers et gendarmes risquent de connaître une situation ingérable. On ne pourra pas mettre des professionnels du maintien de l’ordre dans toutes les préfectures, sous-préfectures, centres des impôts et autres symboles de la république. Boucler Paris c’est possible, mais si on se retrouve avec des bâtiments attaqués dans toutes la France, que fait-on? Des paysans, des ouvriers, des pêcheurs ne sont pas des étudiants parisiens. La brutalité des affrontements peut encore monter d’un cran avec des manifestants rustiques. La violence est toujours un message. Avant toute chose c’est à l’exécutif d’apporter une réponse rapide pour éviter des blessés, voire pire. Les grandes crises de type CPE, CIP, loi Devaquet ou école libre ont toute trouvé une solution politique pendant que les forces de l’ordre contenaient la contestation.