Orgueil et préjugés




Le 28 Avril 2021, par Nicolas Lerègle

Nous avons depuis quelques jours un cocktail parfait et détonnant ou étonnant on ne sait pas très bien.
Des quarterons de généraux (2S) qui s’expriment dans une tribune médiatisée signée par d’autres militaires retraités ou non.
Des politiques de tous bords qui soufflent sur les braises, pour approuver ou s’offusquer, pensant, comme toujours, au choix maitriser les événements ou tirer les marrons du feu.
Des médias qui n’en demandaient pas tant pour se changer les esprits saturés par trop de Covid-19 et qui s’assurent ainsi des débats houleux et des titres ronflants.


Un choix de date qui n’a rien d’innocent, celle du putsch des généraux à Alger. Date non innocente, mais, on en conviendra, un peu stupide, chercher à comparer la France de 2020 et celle de l’Algérie des années 60.

Les 23 octobre (1812) ou le 27 janvier (1889), auraient été plus appropriés, les généraux Malet et Boulanger ont, à ces dates tenté le « coup », sans grand succès si ce n’est un peu de bruit et beaucoup de ridicule. Certes, il est plus tentant d’en appeler aux mânes de Salan, Challes, Zeller ou Jouhaud, mais ces derniers doivent se retourner dans leurs tombes d’être pris comme modèles par des généraux « quart de place » (toujours payés par la République convient-il de rappeler si d’aventure on les pensait libre de tout engagement et rattachement) qui surfent sur les peurs et les fractures de nos sociétés et qui, en s’endormant le soir, se rêvent Pinochet et se réveillent Pichegru.
 
Orgueil et préjugés en somme de rédacteurs qui se posent en hommes providentiels oubliant que les temps ont changé et que le logiciel de 1960 n’a plus cours en 2020.
 
Cette tribune aura eu le mérite de faire revenir au galop le naturel pétainiste et antirépublicain, voire antidémocratique, du Rassemblement National qui approuve et défend ce qui ne peut l’être. L’ADN d’un parti politique et comme celui d’un être vivant on ne peut pas s’en défaire et toutes les tentatives pour le faire se révèlent être un maquillage qui s’effacent à la première occasion. Maintenant, il est toujours intéressant de lever le voile pour se rappeler à quoi ressemble véritablement ce parti.
 
Cette tribune aura aussi permis de réveiller Philippe de Villiers qui enfourche les thèses les plus radicales sans filtre, espérant sans doute y trouver les ressorts d’un rebond en politique ou le moyen de faire la courte échelle à son frère, le général Pierre de Villiers. Ce dernier, au sein de la fratrie, se voyant bien en sauveur ou recours pour le pays, un peu déçu toutefois que la France ne se presse pas de faire appel à lui !
 
Cette tribune est désolante, car s’il y a en France un vrai problème avec l’islamisme et ses dérives, avec le risque terroriste qui peut y être associé, avec, dans une moindre mesure, l’immigration les bonnes réponses ne sont pas à chercher du côté d’une intervention, même verbale, militaire.
Pour le coup ce serait la meilleure façon d’ouvrir la boite de Pandore de l’escalade vers des extrêmes ingérables.

Loin d’être de la candeur, le refus du militaire en cette matière est la meilleure des garanties pour éviter un dérapage vers une guerre civile qui ne dirait pas son nom, mais qui en aurait tous les attributs.
Le fait de laisser aux politiques et aux organes de police, gendarmerie, renseignements et de justice le soin de traiter cette situation est, avec tous les défauts que l’on peut y trouver, la meilleure des solutions. Car ce sont justement ces défauts et lacunes qui marquent encore le caractère démocratique de notre société y compris quand elle lutte contre ceux qui veulent remettre en cause ses fondements.

Si des tribunes doivent être écrites, elles devraient plutôt porter, de façon constructive, sur le projet de loi actualisant le code de la sécurité intérieure, abordant les techniques de renseignement et renforçant les mesures de lutte contre le terrorisme qui va être présenté par G. Darmanin.
 
Cette tribune est surtout désolante, car elle pourrait amener des lecteurs non avertis à assimiler l’armée française dans son ensemble à ces militaires signataires. Or ce n’est pas le cas et cela même pour une armée qui n’est plus le fruit de la conscription comme cela était le cas en 1961 (et les appelés du contingent ont plus suivi de Gaulle que les généraux putschistes d’Alger), mais de la professionnalisation.
 
Nous avons la chance en France d’avoir une armée à haute valeur ajoutée tant humaine que technique dotée d’une éthique et d’un rapport à la population qui, par exemple, n’est pas celle de l’armée birmane !
 
Nous avons la chance en France d’avoir une armée qui a pris sa part dans le combat, sur le territoire national, contre les risques d’attentat et le terrorisme, sans qu’à aucun moment son engagement démocratique et républicain ne puisse être remis en cause.
 
Nous avons la chance en France d’avoir une armée qui est présente sur de nombreux théâtres d’opérations et qui marque sa présence sur l’ensemble du globe sans que nous ayons à rougir de ses comportements qui ne sont que la conséquence de décisions politiques.
 
Nous avons la chance en France d’avoir une armée qui sans être la Grande Muette des générations passées n’a pas cherché à s’insérer en tant que corps constitué dans le débat public ou l’arène politique, laissant à chacun, en fonction de ses obligations et engagements, sa liberté de conviction et d’expression.
 
Cette armée-là mérite notre respect et admiration en tant qu’institution et peu importe pour qui votent les individus qui la composent. En publiant cette tribune, certains ont apparemment oublié que le politique commande au glaive et non l’inverse.