Philippe Demigné de Bertin Technologies (CNIM) : « Nous mettons l’accent sur la recherche appliquée»




Le 17 Décembre 2013, par La rédaction

Philippe Demigné est aujourd’hui à la tête de l’entreprise fondée en 1956 par l’ingénieur en aéronautique Jean Bertin. Héritière d’un long savoir-faire dans l’ingénierie industrielle et mécanique, l’entreprise déploie aujourd’hui sa capacité de R&D dans des domaines aussi variés que pointus malgré la crise traversée dans les années 90. Philippe Demigné aborde avec nous l’histoire d’une renaissance.



La société Bertin technologies est l’héritière d’une histoire liée à l’aéronautique. Pourquoi et comment l’entreprise s’est-elle ainsi métamorphosée ?

Bertin Technologies a pour origine un brillant ingénieur de polytechnique et Sup Aéro, Jean Bertin, qui fait ses premières armes au sein de la SNECMA. Il commence par travailler dans la motorisation avion dans les années 1950, puis il décide de créer une société pour compte de tiers sur la base de ses compétences scientifiques et techniques en 1956. Dans les premières années, l’essentiel de l’activité porte sur des applications aéronautiques civiles et militaires. L’entreprise profitait à l’époque de la dynamique des grands programmes gaulliens et pompidoliens, nucléaire et défense en particulier, dans un cadre financier très confortable entre les années 1960 et 1970. D’une certaine manière, cette époque apparait rétrospectivement comme un âge d’or, avec des financements publics de la recherche très importants et de nombreux développements technologiques.
 
Compte tenu de l’évolution du contexte international dans les années 1990, cette situation économique se détériore rapidement, avec une forte dégradation des résultats de l’entreprise au cours de ces années. A la fin des années 1990, l’entreprise décide d’un changement de stratégie en abandonnant la précédente logique de conception de « moutons à cinq pattes » technologiques pour se tourner vers la conception et la production de produits industrialisables, avec des marges mieux maitrisées pour assurer la pérennité financière de l’entreprise. Tout en conservant un socle technologique et scientifique très important, nous sommes passés d’une logique de prouesse technologique unique à un certain pragmatisme industriel pour nos prestations et nos réalisations.

Comment décrieriez-vous votre activité aujourd’hui ?

Nous produisons toujours à destination des secteurs de la défense et de l’aéronautique, mais dans une moindre mesure et avec des produits plus solvables, destinés aux domaines civil et militaire, en France comme à l’export. L’entreprise a fait le choix de se diversifier sur le plan commercial, dans de nouveaux domaines porteurs : environnement, sciences du vivant, robotique… mais toujours sur la base de nos capacités technologiques et scientifiques. La croissance de notre chiffre d’affaire à l’export (l’international représente environ 20% du CA de Bertin, Ndlr), nous permet d’ailleurs de pallier les déficiences de l’Etat français, compte tenu d’une commande étatique en déclin. A l’étranger nous sommes présents sur les marchés des produits de défense (bio-défense, détection chimique…), de sécurité civile (système de détection de gaz en Pologne pour l’Euro, ou caméra de détection du même ordre pour les pompiers brésiliens), de l’énergie (équipements pour centrales nucléaires en Chine) mais aussi sur celui des équipements de laboratoires (agitateurs biologiques, collecteurs de contrôle de la qualité de l’air, « banaliseur » de déchets à risques infectieux…).

Vous avez pris les rênes de l’entreprise en 2000, avant son acquisition par le groupe CNIM, et après une période de crise interne. Quelles ont été vos premières intuitions, et vos premières décisions ?

J’ai rejoint Bertin en 1997 et, en 1998, les actionnaires me nomment précipitamment président du directoire, essentiellement pour la gestion d’un dépôt de bilan effectif un mois plus tard. Quelques mois après cette terrible épreuve pour la société, je réinvestissais avec de nouveaux actionnaires dans une nouvelle société, fondée en 1999 avec les actifs de l’ancienne et nommée Bertin Technologies. En 2000, en tant que président du directoire de la nouvelle société, ma première tâche a été de passer outre le traumatisme du dépôt de bilan qui a vu les effectifs passer de 310 personnes à 170 en quelques mois. Ensuite, j’ai mis en œuvre les changements stratégiques évoqués précédemment. Il a naturellement fallu redéfinir une politique commerciale plus agressive auprès de nouveaux clients, tout en se montrant plus économe sur le plan interne.
 
La société s’est redressée lentement mais surement, grâce à une gestion prudentielle et une croissance externe et interne mesurée. Nous comptons aujourd’hui un effectif d’environ 500 personnes, et un chiffre d’affaires de 60 millions d’euros, répartis et égalité entre prestations intellectuelles de service et développements de produits. Le métier historique de l’entreprise représente encore 15 à 20% de notre chiffre d’affaires, et nous développons encore des projets uniques pour compte de tiers (prototypes, pilotes ou systèmes uniques). Mais notre activité repose désormais à 50% sur le conseil et les savoir-faire de nos ingénieurs et experts dont nous vendons les services technologiques.

Bertin Technologies est aujourd’hui une société de consultants/experts avec des services de R&D en interne. Collaborez-vous avec les écoles, les universités ou les autres laboratoires dans le domaine de la recherche ?

Notre métier reposant sur l’innovation technologique et technique, nous entretenons des liens étroits avec la recherche académique et de nombreux laboratoires externes, comme le CNRS ou le CEA. Nous entretenons des collaborations dans tous les domaines touchant à notre activité, avec pour objectif l’industrialisation et la mise sur le marché d’une partie des résultats de recherche. Nous accueillons de nombreux chercheurs en préparation de thèse dans tous les domaines stratégiques, avec pour objectif un ratio d’une thèse pour 15 ingénieurs (sur un total de 300 ingénieurs). Nous mettons l’accent sur la recherche appliquée et le développement de produits industrialisables, raison pour laquelle nous recrutons des chercheurs pragmatiques, en dehors du champ de la recherche fondamentale. Nous investissons sur ces profils afin d’obtenir à terme des ingénieurs de recherche et développement.

Comment avez-vous décidé et mené une diversification réussie vers les domaines de la micro-robotique, les sciences du vivant ou la pharmaceutique ?

Mon passé de consultant m’a amené à réaliser que la pharmacie et les sciences du vivant sont parmi les rares secteurs qui rémunèrent correctement le travail de recherche et l’innovation technologique. Lors de la reprise de Bertin j’ai décidé de capitaliser sur le secteur de la défense, étant donné son statut de partenaire historique de notre R&D. Mais nous avons opté en parallèle pour la pharma comme second levier de croissance : nous y avons donc rapidement affecté une partie de nos ingénieurs. La diversification vers la micro-robotique s’est faite plus tard, en partie du fait de demandes du secteur de la défense. Mais ce secteur demeure fragile étant donné l’immaturité du marché.

Comment pilotez-vous la R&D en interne ? Êtes-vous organisés en pôles de compétences technologiques, en mode projet ?

Nous sommes organisés en département par métier : logiciels, systèmes, énergies et environnement… Nous fonctionnons donc selon des modes décentralisés. Chaque business-unit dispose de ses spécialités en termes de produits et d’expertises et gère sa propre R&D. De façon très pragmatique, chaque business-unit s’occupe de développer le partenariat avec l’industriel ou le partenaire, puis mène son programme de recherche, parfois de manière collaborative, et elle se charge ensuite de valoriser de façon industrielle le produit des recherches et les retombées. Mais nous disposons d’une direction scientifique chargée de définir une « stratégie scientifique » et d’assurer les partenariats. Elle est également en mesure de coordonner et d’animer des projets transverses, et de conseiller sur la gestion administrative des profils de salariés atypiques que sont nos experts et scientifiques. Mais la R&D, en tant que telle, reste pilotée par les business units, au sein desquelles chaque sujet se décline en gestion de projet, faisant ainsi appel à tous les corps de métiers nécessaires à la réalisation du produit.

Bertin Technologies est devenue un fournisseur de la défense sur plusieurs produits. Concernant la définition amont du besoin, comment travaillez-vous avec ce client particulier ?

A notre niveau, nous divisons le secteur Défense en deux mondes très différents : la France (avec le DGA) et l’export. Nous avons été très longtemps soutenus par la DGA et la Défense dans le développement de nos produits. Ce soutien se poursuit pour des produits spécifiques comme les équipements de détection de produits chimiques et d’armes chimiques, vendus actuellement en France comme à l’export pour des applications civiles et militaires. Dans la discussion que nous entretenons avec la DGA sur les besoins de la Défense, nous essayons toujours de conserver un tronc commun exportable, face à des demandes parfois trop spécifiques à la France.

La relation n’est pas du tout la même avec les clients export, pour lesquels nous réalisons au mieux des adaptations de nos produits qu’ils achètent sur étagères. Le tempo sur ce genre de marchés est particulier, puisqu’entre la marque d’intérêt et la commande, il peut s’écouler plusieurs années. Ce type de clients ne finance pas de R&D mais nous pouvons jouer de la référence France et nous appuyer sur notre expertise technologique pour nous démarquer de la concurrence et remporter des marchés. Ce fut notamment le cas en Pologne où nous affrontions pourtant un leader allemand du secteur.

Depuis 2008, vous êtes une filiale de CNIM, aux spécialités très étendues, mais touchant également à des domaines technologiquement pointus. Comment collaborez-vous avec la maison mère et les autres filiales du groupe, en termes de R&D ?

Cette acquisition du groupe a été motivée par des synergies industrielles et managériales et des complémentarités qui préexistaient avant le rachat, notamment dans le cas du Laser MégaJoule. Bertin Technologies est un sous-traitant historique de CNIM sur ce contrat : Bertin Technologies fournit des systèmes de mesure optique à CNIM, maitre d’œuvre d’une partie de la conception du LMJ. Cette collaboration maintenant ancienne a rapidement permis d’identifier des complémentarités, des domaines d’intérêts communs et des synergies commerciales. Tout cela faisait sens pour entrer dans le giron de CNIM.

Nos collaborations actuelles prennent la forme de cotraitance ou de sous-traitance d’une entreprise vis-à-vis de l’autre dans le domaine industriel, de mutualisation commerciale lors des salons Défense, ou encore de coordination en termes de RH et de SIC pour ce qui est des  logiques organisationnelles. Nous optimisons nos process, autant que faire se peut, en profitant de la logique de groupe.

Vous siégez au directoire de CNIM depuis 2009. Aux termes de ces 5 premières années, quel bilan tirez-vous de ce rapprochement ?

Pour Bertin Technologies, le bilan stratégique est très positif. Etre adossé à un groupe de l’envergure de CNIM permet de disposer commercialement parlant d’une force de frappe plus conséquente et d’une surface financière plus assurée. De plus CNIM a soutenu Bertin Technologies au niveau stratégique dans ses dernières acquisitions et dans son développement. Au niveau commercial et technique, le bilan est également positif, même si nous ne sommes pas parvenus au bout de ce que nous pouvons encore faire en termes de synergies. L’intégration de Bertin Technologies a été aussi positive pour le groupe CNIM en termes de création de valeur et de logique managériale et financière, étant donné que Bertin Technologies est une société bénéficiaire. A terme, nous espérons que des synergies renforcées nous permettront de remporter plus de grands contrats ensemble. Nous travaillons par exemple à nous positionner ensemble sur les futurs appels d’offre complémentaires pour le réacteur à fusion ITER. Nous ambitionnons également d’accélérer notre développement à l’international, en Chine ou à Singapour notamment.