Yves Goblet, bâtisseur de marques leaders




Le 15 Octobre 2014, par La Rédaction

Après un passage par l’enseignement (Harvard Business School) et un riche parcours de dirigeant (Bouygues Telecom, TPS, TF1, Lenovo), Yves Goblet a choisi de formaliser son expertise en marketing à travers l’ouvrage « Construire une marque leader », qu’il vient de publier aux éditions EMS. Nous l’avons rencontré pour comprendre l’originalité de son point de vue.


Le prologue de votre livre nous interpelle d’emblée. Vous y expliquez que trop souvent, le marketing s’est emmuré et mécanisé. Le marketing a-t-il à ce point besoin d’un périscope pour voir ce qu’il se passe « à l’extérieur », aujourd’hui ?

Yves Goblet
Les marques qui occupent le devant de la scène au niveau mondial ( Google, Facebook, Amazon, Apple, ou Microsoft par exemple) sont majoritairement des créations ex-nihilo par des entrepreneurs qui ont réussi à supplanter les géants de leurs secteurs respectifs. Si ces derniers avaient un minimum de souplesse au regard de leurs modes opératoires, ces challengers n'auraient pu les dépasser. Mais la volonté de pérenniser et sédimenter leurs  processus commerciaux, ainsi qu'un certain mimétisme avec les concurrents directs, les maintiennent souvent à l'écart de nouveaux courant porteurs qui vont profondément modifier l'écosystème dans lequel ils évoluent. Faire accepter en interne les ruptures qui vont bousculer les règles du marché ne peut s'effectuer qu'avec des dirigeants en éveil par rapport à celui-ci , qui se sont organisés pour les détecter et qui sont capables de sortir avec leurs actionnaires du cadre rigide d'un budget étiré sur trois ans, que l'on assimile à un plan stratégique.
 

Le marketing se serait également émancipé du top management, on assiste quasiment selon vous à une dissolution de ce dernier au sein des processus métiers… Quelle devrait être l’implication du board dans la stratégie marketing ?

La direction générale d'une entreprise doit supporter et partager la mise en place d'une stratégie de marketing qui établit une vision sur le marché et la formalise a minima sur trois ans. Celle-ci guide la mise en place d'un plan trisannuel dont la première année guidera la finalisation du budget de l'entreprise. Une direction générale centrée sur la gestion des coûts, l'organisation et les opérations courantes (figées dans des systèmes d'information et des processus industriels) sera trop impliquée dans le court terme pour accepter sa remise en cause par des analyses à moyen ou à long terme. La manière dont Nokia (leader mondial de la téléphonie jusqu'en 2010 et avec qui j'ai négocié à haut niveau) est passé à côté de la révolution du smartphone est édifiante.

Vous évoquez un risque de « divorce économique » entre le consommateur et les marques, lorsque celles-ci sont le fruit d’un marketing « sédimenté ». Alors que manque-t-il à ce vieux couple pour qu’il retrouve la passion des débuts ? Un peu plus d’intuition, de créativité, d’attention?

En effet le consommateur est sujet, et non objet. Faire que son expérience avec la marque soit gratifiante et si possible enrichissante nécessite une forte implication. Les dirigeants doivent s'impliquer dans les étapes qui marquent l'acquisition et la consommation du produit concerné et  avoir une volonté farouche de  fluidifier cette expérience.  Par ailleurs trop d'entreprises ne s'intéressent qu'aux facteurs de renouvellement de l'achat sans chercher vraiment à connaître les motivations profondes qui font que le consommateur est attaché au produit et à la marque. Une approche expérientielle reconnaît une relation riche et complexe avec le consommateur. Une approche mécanique revient à mesurer le taux de réponse à des incentives répétitifs en espérant que le « consommateur objet » ne se lassera pas trop vite.

Dans votre ouvrage, vous opposez volontiers le marketing des Trente Glorieuses à ce qu’il devrait être aujourd’hui, et en prônez une approche systémique. Expliquez-nous ce point de vue ?

Le Marketing des Trente Glorieuses consistait à conquérir des territoires disponibles en prenant si possible une position de leader. Pour ce faire, il fallait des lancements de marques puissants déclenchant des flux d'achats suffisants pour sécuriser les distributeurs qui avaient investi dans des stocks. La réussite signifiait la conquête de linéaires chez les distributeurs qui sécurisait la marque et la protégeait des concurrents. Aujourd'hui il n'y a plus beaucoup de terrains vierges à conquérir. Les marques sont partie prenantes d'écosystèmes dont il faut comprendre les courants porteurs et les ruptures potentielles.
 
S'adapter à un écosystème demande une analyse fine des enjeux de consommation, une maîtrise des enjeux technologiques et de production, ainsi qu'une grande souplesse dans l'intermédiation entre la marque et le consommateur. Sur ce dernier point le relais de communautés de consommateurs peut être beaucoup plus efficace qu'une publicité coûteuse. Le succès de Tesla avec Elon Musk est l'exemple d'une marque qui ne force pas le passage mais qui est portée par un courant puissant.

Vous suggérez aux responsables marketing d’entretenir une relation plus ténue, plus empirique, avec le « terrain ». Quel regard portez-vous sur le Big Data et la business intelligence ? Y voyez-vous une forme de scientisme dangereux pour les marques ?

La relation sensitive avec le consommateur et le terrain n'exclut pas une forte technicité dans l'analyse du comportement et des besoins du consommateur. C'est un point que je développe dans le dernier chapitre de mon livre (le système d'informations marketing). Le Marketing n'est pas qu'intuitif. Le big data permet à un système d'informations d'être beaucoup plus fin dans la réponse aux attentes des consommateurs. Mais pour maîtriser les expressions de besoin qui conditionnent ce système, Il faut une connaissance très opérationnelle du consommateur.

La crise que nous connaissons affecte-t-elle les postures marketing dans les grandes entreprises ?

La crise a forcé de nombreuses entreprise à réduire leurs coûts. Des modèles low cost sont en train de prendre le dessus dans l'aérien et les  télécoms par exemple. La conséquence en est souvent la réduction des postes fonctionnels au premier rang desquels se situe le marketing. De plus, la nécessité de survivre  polarise le management sur les enjeux à court terme, la réflexion à long terme pouvant être assimilée à un détachement coupable. Seule la vision et la capacité d'un dirigeant à maintenir le cap peut permettre d'éviter ces travers.

Yves Goblet, "Construire une marque leader", Editions EMS, 2014
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