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Au Japon, la transition vers le zéro carbone passe par le gaz naturel





Le 1 Août 2023, par La Rédaction

La France n’est pas le seul pays du G7 à avoir incité ses citoyens à consommer moins d’énergie et à s’habiller plus chaudement cet hiver. En proie à des difficultés structurelles pour son approvisionnement énergétique, le Japon a lui aussi appelé, littéralement, à mettre des cols roulés. Accueillant en mai 2023 le sommet du G7, le pays milite pour le gaz naturel, élément clef de sa stratégie de transition vers une économie décarbonée en 2050.


En attendant que les énergies nouvelles répondent à tous ses besoins énergétiques, le Japon a choisi le GNL comme énergie de transition (Image d'illustration - Wikimedia Commons, Sakaori 2012)
En attendant que les énergies nouvelles répondent à tous ses besoins énergétiques, le Japon a choisi le GNL comme énergie de transition (Image d'illustration - Wikimedia Commons, Sakaori 2012)
Le 11 mars 2011, un séisme de magnitude 9 provoque un tsunami colossal qui s’abat sur la côte Est du Japon. La centrale nucléaire de Fukushima est gravement touchée. Si d’après l’OMS, les conséquences sont finalement minimes sur l’environnement et la population, 80000 personnes sont évacuées et un sentiment anti-nucléaire s’empare du pays. Le gouvernement décide alors de fermer ses centrales, alors qu’un an auparavant, il était prévu de construire 14 nouveaux réacteurs.

Au sommet du G8 de mai 2011, le Japon annonce réévaluer la part des énergies renouvelables pour les années 2020, passant de 10 % initialement prévus à 20 %. En 2012, le pays, après avoir repensé en urgence son mix énergétique pour éviter les pénuries d’électricité, cesse la production d’énergie nucléaire. Bien que, depuis cette date, le pays ait progressivement remis en route une partie de son parc, cette décision est encore lourde de conséquences aujourd’hui.

En effet, en ce mois de mars 2023, pour la première fois depuis 2016, le gouvernement a appelé ses citoyens à réduire volontairement leur consommation, la crise mondiale de l’énergie touchant particulièrement ce pays frappé par une vague de froid et qui, avec un taux d’autosuffisance énergétique particulièrement bas – d’à peine 13 % en 2021, soit le ratio le plus bas au sein du G7 –, doit importer ses hydrocarbures et son uranium, et même faire appel au charbon.

Si le Japon développe rapidement les énergies renouvelables, l’État nippon se trouve dans une situation difficile depuis l’arrêt du nucléaire, d’autant plus que la reprise économique post-pandémie s’accompagne d’une augmentation de la consommation nationale.


Objectif hydrogène, nucléaire et renouvelables

Le Japon est le cinquième émetteur mondial de gaz à effet de serre. Bien qu'il se soit engagé à décarboner l'économie grâce aux énergies renouvelables et à suivre une stratégie énergétique cherchant à faire la part belle à l'hydrogène, le pays est contraint de relancer partiellement le secteur nucléaire. Des 54 réacteurs fermés en 2012, qui généraient 30 % de l’électricité du pays, neuf sont aujourd’hui relancés, et d’autres devraient redémarrer, dont sept cet été. Le gouvernement a également décidé, à l’instar des États-Unis et de l’Union européenne, de prolonger la durée d’exploitation des centrales au-delà de 60 ans, et de les remplacer par une nouvelle génération d’installations.

Selon la dernière politique japonaise en la matière, « l'énergie nucléaire joue un rôle important en tant que source d'énergie de base sans carbone pour assurer la stabilité de l'approvisionnement et la neutralité carbone ». C’est un changement majeur dans l'attitude du pays à l'égard du nucléaire, conséquence directe de la situation énergétique mondiale. Le gouvernement cherche d’ailleurs à augmenter de nouveau la part de ce secteur pour atteindre 22 % en 2030, ce qui nécessiterait 27 réacteurs opérationnels.

Cette stratégie du nucléaire a toutefois un défaut majeur : les tests de sécurité pourraient réduire l’utilisation d’un certain nombre de réacteurs au-delà de 2030, et la construction des équipements de nouvelle génération ne devrait débuter que la même année, ce qui, avec une bonne décennie nécessaire entre le début des travaux et l’entrée en service des installations, laisse entrevoir une potentielle faille dans la capacité du nucléaire japonais à moyen terme.

L’éolien offshore et l’énergie solaire sont également en bonne place dans l’agenda japonais. Cela se traduit par une démocratisation du solaire, comme par exemple à Tokyo, où à compter de 2025, les nouveaux bâtiments devront tous être dotés de panneaux solaires. Mais la production de batteries de stockage de secours en masse est un autre défi de taille. Le Japon ne dispose en effet pas d’un ensoleillement exceptionnel, notamment en hiver. Cela implique l’usage massif de batteries pour le développement des énergies renouvelables dépendantes des conditions météorologiques. Riche en sources chaudes, le Japon veut également développer la géothermie, en multipliant par trois l’énergie produite de cette manière, mais la population s’y oppose encore, craignant l’accaparement de sources jouant un rôle important dans la culture et l’économie de santé et de loisir du pays. D’après l’Institut pour des Politiques d’Energies Durables de Tokyo, 10 % de l’électricité japonaise pourrait à terme provenir de la géothermie.

Enfin, considéré comme un moyen écologique pour atteindre la fin des émissions carbone, en particulier pour l’automobile, l’hydrogène s’annonce comme le grand espoir du XXIe siècle au Japon. Le gouvernement entend faire du pays le champion mondial de l’hydrogène, aussi bien pour ses besoins nationaux que pour s’imposer sur le marché international comme leader en la matière. Seulement, l’hydrogène est à l’heure actuelle bien plus cher que les combustibles fossiles.


Le gaz, clef de voûte de la transition

Bien que ne disposant pas de réserves de gaz naturel, le Japon, qui a fermé ses centrales thermiques, est contraint de se tourner vers le gaz naturel liquéfié (GNL) pour refonder son mix énergétique et pouvoir faire face aux pics de consommation, notamment en cas d’aléas météorologiques impactant les énergies renouvelables.

Alors que le monde a décidé d’agir contre le changement climatique en décarbonant ses énergies, le gaz naturel est rapidement apparu comme une solution de transition inévitable, et un moindre mal face au charbon et au pétrole. En effet, avec un rendement énergétique supérieur à ces deux combustibles, et des émissions de CO2 inférieures de moitié, le gaz naturel, dont l’exploitation est relativement aisée et rapide à mettre en place par rapport au nucléaire, est devenu l’élément central de nombreuses stratégies de transition à travers le monde.

Ces dernières années, le GNL joue donc un rôle croissant au Japon, les centrales à GNL devenant presque la « base » des ressources d’énergie, avec pour corollaire une dépendance accrue aux importations. Le GNL est si important pour le pays que, face aux sanctions votées contre la Russie, le gouvernement a demandé une exemption pour les hydrocarbures russes, et en particulier le GNL, le Japon dépendant de la Russie pour environ 9 % de ses importations.

Dans la perspective du G7 de Hiroshima du 19 au 21 mai dernier, le Japon avait continué de travailler à la promotion du gaz naturel. Après une première réunion ministérielle du G7 à Sapporo mi-avril, le Japon a eu gain de cause, ses partenaires reconnaissant que les investissements dans le gaz naturel peuvent être appropriés pour achever la transition énergétique, posture entérinée dans la déclaration finale du sommet. Le Japon insiste sur la nécessité de permettre à chaque pays de choisir sa propre voie vers l’objectif du zéro carbone. « Il est nécessaire de passer du charbon au gaz naturel et d’avancer dans la transition énergétique, » a ainsi expliqué KazuhiroIkebe, président de la fédération japonaise des services publics d’électricité. « Mais puisque l’électricité est absolument nécessaire pour la vie des gens et pour les activités économiques, chaque pays devrait choisir la voie de la transition en accord avec les circonstances locales ».

En 2019, 32 % de l’énergie du Japon provenait encore du charbon. D’ici 2030, le pays entend diminuer ce taux à 19 %, tandis que la part du gaz sur la même période devrait passer de 20 % à 37 %. Dans cette optique, la Japon a décidé d’investir dans le gaz naturel. Ainsi, le ministère de l’Economie, du Commerce et de l’Industrie prévoit la construction d’un hub gazier gigantesque (Strategic Buffer LNG – SBL), qui a vocation à être l’un des plus grands du monde.

Mais le Japon a également décidé d’investir directement à la source, pour sécuriser ses approvisionnements. Le cas le plus emblématique de cette stratégie nouvelle est l’investissement dans l’exploitation du gaz naturel du Mozambique, qui s’est récemment découvert des réserves de gaz colossales, révélant que le pays d’Afrique australe dispose de la 9e plus grande réserve du monde. Ainsi, l’énergéticien japonais Mitsui, qui a participé aux prospections dès 2008, a convaincu l’agence nationale JOGMEC de participer au projet. Et le pari a payé.

Acteur majeur du projet Mozambique LNG, le Japon mise sur l’exploitation pleine et entière dès 2024 des quelques 1,85 millions de km3 de gaz, une fois le site rendu opérationnel. La Japan Bank for international cooperation (JBIC) est un des investisseurs principaux du projet aujourd’hui et le Japon prévoit d’acheter 30 % de la production.

Au-delà de l’immense projet mozambicain, le Japon investit un peu partout dans le monde pour diversifier ses sources de GNL. Ainsi, on retrouve des investissements japonais importants jusqu’aux Etats-Unis ou encore en Australie, même si cette dernière, qui fournit 10 % du GNL consommé dans l’archipel nippon, semble s’orienter plus vite vers une sortie des énergies émettrices de gaz à effet de serre, augmentant le besoin pour le Japon d’investir dans des projets sûrs comme celui du Mozambique.

Jacques Bordier




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