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Jean-Marie Baron : "Le fils du Gouverneur"





Le 11 Décembre 2023, par Jean-Marie Baron

Surréaliste dès 1921, mon père François Baron, ami d’Aragon, de Desnos, de Crevel… est présent lors de cette première réunion officielle qui jettera les bases ce matin-là, dans le square Saint Julien le Pauvre à Paris, de ce qui deviendra le Surréalisme.


Il est là, parmi ces jeunes artistes et poètes rescapés de la guerre de 14 qui entendent bouleverser toutes les valeurs, à commencer par celles de la bourgeoisie dont la plupart sont issus.

Il a fait venir de Nantes son jeune frère Jacques qu’il présente à Aragon. Jacques lui tend un papier froissé sur lequel il a griffonné quelques mots : « Maintenant visé d’une folie douce, je tourne le pouce d’une autre pensée. »
Celui-ci lui répondra du tac au tac : « « Vous restez avec nous jeune homme, vous êtes le Radiguet de la poésie française. »
Incroyable, mais vrai ! Et cela changea sa vie.

François, qui écrivait aussi en fumant parfois avec quelques comparses l’opium à la terrasse des Deux Magots, décidera quelques années plus tard de changer d’aventure. Il a en poche sa licence de Droit qu’il complète par deux années d’École coloniale. Il est nommé administrateur des colonies à Dakar en 1927, puis à Mopti sur les bords du Niger où sa plus grande fierté fut d’avoir sauvé la vie, dans des circonstances rocambolesques, d’un merveilleux prisonnier condamné à mort par la justice française à Paris.
Vérité au deçà des Pyrénées, erreur au-delà…

Quelques années plus tard, l’administrateur Baron ayant été nommé à Chandernagor, sur les bords du Gange cette fois, entend sur son vieux poste de radio grésillant, grâce à la BBC dont les ondes à travers jungle, parviennent miraculeusement jusqu’à lui,
L’Appel du Général de Gaulle. Nous sommes le 18 juin 1940 !
Sa réponse immédiate, le premier télégramme que recevra De Gaulle  d’un Français de l’étranger, fera de lui le premier gaulliste historique, hors Londres.

Sommé de rester à son poste en attendant les directives, il piaffe d’impatience. Il veut rejoindre Londres. Mais bientôt, le Général en personne le nomme Délégué de la France Libre pour tout l’Extrême-Orient en poste à Singapour.
Ce n’est donc qu’en 1942, au cours d’un long périple : Colombo, Le Caire, Alger… qu’il parvient là où le cœur de la France Libre bat plus fort.

Et à Londres où félicité par De Gaulle il lui rend compte de ses états de service, il voit débarquer Joseph Kessel croisé avant-guerre dans les boites de nuit russes de Paris et son jeune neveu Maurice Druon.
Il est avec eux dans le petit hôtel du Surrey lorsqu’il écrivent le Chant des Partisans, glisse la tête à plusieurs reprises en disant : « Alors vous l’avez fini votre Marseillaise ! »
Ce qui restera entre nous un grand sujet de rigolade.

Fort de ce passé prestigieux, c’est à Pondichéry, capitale des comptoirs : Karikal, Mahé, Yanaon et Chandernagor, qu’il s’installe en 1945 en tant que Gouverneur de l’Inde française.
C’est là qu’il entame sa dernière et grande aventure, spirituelle celle-là, en devenant disciple du poète, philosophe et sage indien Sri Aurobindo.
Accompagnant le sens de l’histoire, quand après les Anglais, les Français durent quitter l’Inde, la population de Pondichéry escorta la voiture du Gouverneur Baron jusqu’à la limite du territoire. La foule massée le long de la route agitait ses mains et ses petits drapeaux tricolores, et d’aucuns séchaient leurs larmes.

A travers cette odyssée entre plusieurs mondes, à laquelle j’ai mêlé en filigrane des éléments de ma propre existence elle aussi aventureuse où à ma façon j’ai marché sur ses pas, j’ai voulu à travers la vie de mon père, rendre hommage tout autant à cette « génération du siècle » qui m’a fasciné.
Une vie qui s’achève par une ouverture spirituelle inattendue porteuse de la seule révolution, au bout du compte, à laquelle il croyait.
Il fallait laisser une trace. Et les traces font rêver.

Jean-Marie Baron
Après des études de Lettres, une admissibilité à l’ENS de Saint-Cloud, licence et maîtrise, Jean-Marie Baron est journaliste,
critique d’art, puis enseignant en histoire de l’art à l’Université de Paris 8. Il a par ailleurs sillonné les continents de Louxor à Kaboul et Mexico en passant par Pondichéry, Bornéo, Hong Kong et New York…
Concepteur-animateur de Plastic, le magazine des arts plastiques sur Antenne 2 (1991), il a co-réalisé plusieurs films sur Tapiès, César, Garouste… Et dirigé un département de l’agence Gamma en lien avec l’UNESCO et son patrimoine mondial.
Il est l’auteur de plusieurs ouvrages : Tapiès (Ed. Maeght), Caillebotte Impressionniste, Rembrandt et la Bible, Cézanne, les natures mortes (Ed. Herscher) et d’un livre sur Joseph Kessel dont il a recueilli les plus belles histoires au soir de sa vie : Ami, entends-tu… avec une préface de Maurice Druon (Ed. de la Table Ronde et Folio Gallimard). Ainsi que :
Un séjour sur les hauteurs avec Satprem (Auroville Press Publishers).


 




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