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La Folle histoire du rouge à lèvres





Le 19 Février 2024, par Christine de Langle

Objet de séduction, produit de luxe, compagnon discret du sac à main, voici La Folle histoire du rouge à lèvres. Une histoire pleine de rebondissements que nous racontent les auteurs, Rachel Kahn et Christophe Fort, documentariste et scénariste, dans un livre pétillant qui fourmille d’informations.


Plusieurs fois menacé de disparition, frappé d’interdit par la morale ou la religion, ce fard à lèvres, objet de toutes les attentions et de tous les fantasmes de Néfertiti à Marilyn Monroe, a toujours su s’imposer comme l’accessoire indispensable de la beauté féminine.
Et pourquoi rouge ? Allié à la beauté et à la puissance, synonyme d’émotions et de passion, le rouge est une déclaration.
 
C’est toute une histoire

Depuis son apparition au troisième millénaire av. J.-C. dans les tombes royales d’Ur (Irak),  ce maquillage est d’abord réservé à la fonction royale et sacerdotale. Puis, la haute société antique s’en empare. Mais bientôt la philosophie s’en mêle et Platon bannit cet artifice car « la beauté commence par la vérité ». Les grandes dames romaines succombent aux délices du rouge jusqu’à ce que les premiers théologiens chrétiens condamnent à nouveau le maquillage « Ce qui est de nature est l’œuvre de Dieu, ce qui est factice est l’œuvre du diable » affirme le théologien Tertullien. Dans la France de la Renaissance qui se tourne vers la mode italienne, c’est Catherine de Médicis qui introduit le goût des lèvres rouge vif, aussitôt adopté par la cour. Se peindre les lèvres n’est pas réservé aux femmes, mais à la haute société. De la Renaissance à la Révolution, les grands donnent le ton, de la reine Elisabeth Ier d’Angleterre au roi de France, Henri III et Philippe d’Orléans, frère de Louis XIV.

L’appellation « rouge à lèvres » n’apparait qu’au milieu du XVIIIe s dans l’inventaire d’une boutique de parfumeur. Sa popularité va de pair avec le développement des soins dentaires vers 1720. L’accent est mis sur la bouche et on sourit en montrant ses dents. En parallèle, la toxicité de certains rouges à base de mercure ou de plomb est soulignée et une réglementation se met peu à peu en place. L’esprit des Lumières réprouve la futilité du maquillage et la Révolution sonne le glas du maquillage trop attaché à l’aristocratie. La révolution industrielle du XIXe siècle permet la démocratisation des produits cosmétiques grâce aux nombreux colorants de synthèse, désormais accessibles dans les grands magasins, ces nouveaux temples de la consommation. A New York, en 1912, vingt mille suffragettes défilent sur la Cinquième Avenue pour réclamer le droit de vote. Offert par Elizabeth Arden, fondatrice de la société cosmétique éponyme, le rouge à lèvres qu’affichent fièrement ces militantes allie message politique et image de féminité. Interdit par Hitler et encouragé par Churchill, le rouge à lèvres devient une arme de résistance au nazisme et quand il est distribué aux rescapées du camp de Bergen-Belsen, c’est un signe de féminité retrouvée à celles qui n’étaient plus que des numéros. 

Le cinéma d’après-guerre va consacrer les stars d’Hollywood influencé par la séduction de la pin-up girl, Rita Hayworth ou Marilyn Monroe popularisent le rouge vif qui sculpte les lèvres "en arc de Cupidon ». A partir des années 1980, Madonna et les stars de la pop musique dictent les tendances, le rouge doit avoir une texture qui résiste aux lumières de la scène et à plus de deux heures de show.
 
Qui a inventé le tube de rouge à lèvres ?

L’invention du bâton de rouge à lèvres est due à l’Espagne mauresque de l’an Mille : le chirurgien Abu Al-Qasim al-Zahrawi, médecin et chimiste, considère les cosmétiques comme une branche de la médecine. Il décrit l’usage d’un bâtonnet qui allie  déjà les trois types de corps gras, liquide, pâteux et solide.

C’est le chimiste et parfumeur, Pierre Guerlain, qui commercialise le premier tube de rouge à lèvres. Bâtonnet glissé dans un cylindre métallique, le rouge à lèvres s’applique et se transporte facilement. Les cours européennes, de la reine Victoria à l’impératrice Eugénie en raffolent. Baudelaire, dans Le Peintre de la vie moderne (1869) fait l’ Eloge du maquillage et à côté de l’aristocratie, les comédiennes deviennent les nouvelles « influenceuses ». Avec sa carrière internationale, Sarah Bernhardt qui se maquille comme sur scène, lance la mode et ose même se maquiller en public avec son « stylo d’amour ». Ce tube qui devient une œuvre d’art exécuté sur commande par des joailliers réputés. Guerlain invente le premier tube rechargeable en 1884, Ne m’oubliez pas. Qui dit invention, dit brevet : en 1923, James Bruce Mason Jr. dépose le brevet du premier tube pivotant, le rouge télescopique que nous connaissons.
 
Menaces sur le rouge à lèvres

Signe d’une féminité diabolique et constante menace pour l’homme qui succomberait à la tentation, le rouge à lèvres traverse les siècles et les interdictions. Synonyme de vulgarité, signe des prostituées ou porté par des sorcières, le rouge est accusé de tous les maux. La décence préfère des couleurs discrètes et la Révolution dans sa radicalité prônera des citoyennes aux lèvres pures. On retrouve les préventions de Platon !

 Mais, les dangers les plus sérieux viennent des femmes elles-mêmes. Dans les années 1970, le rouge à lèvres est « un objet d’aliénation au service des hommes » pour les premières féministes et le mouvement hippie rejette impitoyablement ce symbole de la société de consommation. Le rouge n’a pas dit son dernier mot et les entreprises de cosmétiques réagissent grâce aux publicitaires pour offrir des fards presque invisibles qui subliment désormais la femme indépendante. La menace sanitaire due au Covid-19 est autrement sérieuse car la présence du masque rend les lèvres invisibles. Quelques mois après la fin de la pandémie, le rouge à lèvres réapparait triomphalement.
La préoccupation écologique est passée par là et on veut désormais un rouge « éthique ». On veut en finir avec les ingrédients nocifs pour l’environnement (huile de palme), avec les cires d’origine animale, synthétique, avec les tests sur animaux. Aujourd’hui, le marché du rouge à lèvres bio explose.
 
Des interviews et des recettes

Impossible de dissocier l’histoire du rouge à lèvres de l’histoire de la beauté. La diversité des interviews montre bien la complexité du sujet ! Un historien du corps et de la beauté, un psychanalyste, un ancien directeur de la recherche chez Chanel, le créateur et directeur du musée du Rouge à lèvres, à Berlin. Une chef maquilleuse pour le cinéma, un fondateur de fards écolo, la créatrice de rouge à lèvres ethniques.
Des recettes détaillées nous expliquent la composition des fards de la reine Pû-Abi (Sumer) ou du rouge carmin de la reine Cléopâtre  (à base de cochenille). Certains produits à base de plomb, de mercure ou d’arsenic réservés à la haute société s’avèrent dangereux pour la santé et mieux vaut faire partie des classes plus modestes qui se contentent de produits à base de fruits et de lie de vin.
On ne se maquille pas en Asie comme en Occident. La culture asiatique toujours soucieuse d’harmonie met un point d’honneur à privilégier des rapports harmonieux en société. Le maquillage en fait partie et on l’enseigne dès l’école, car il s’agit d’offrir « un maquillage soigné et adapté à son activité ». On comprend mieux l’importance de l’Asie dans une économie mondialisée.
 
La lecture de cette Folle histoire du rouge à lèvres est stimulante. On y apprend beaucoup, même si certaines affirmations historiques mériteraient être revues. Et loin d’être futile, le sujet pousse à une réflexion sur l’image de la beauté, l’estime de soi et le regard de l’autre.
Coco Chanel avait une arme fatale « Si vous êtes triste, ajoutez du rouge à lèvres et attaquez ». Avec Audrey Hepburn, la tristesse se drapait d’élégance  « Dans les mauvais jours, il y a toujours du rouge à lèvres » affirme-t-elle dans le film Breakfast at Tiffany.
 
Christine de Langle
 

 

La Folle histoire du rouge à lèvres Rachel Kahn et Christophe Fort Editions Herscher, 2023
La Folle histoire du rouge à lèvres Rachel Kahn et Christophe Fort Editions Herscher, 2023


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