Journal de l'économie

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Le management des réseaux, selon Christophe Assens





Le 11 Avril 2014, par

"Qu'est-ce qu'un réseau ?" C'est à cette question, bien plus complexe et plus vaste qu'il n'y paraît, que répond Christophe Assens dans l'ouvrage qu'il vient de publier chez De Boeck. Sa hauteur de vue sur le sujet, notamment, lui a valu de se voir décerner le prix académique du meilleur ouvrage de recherche en management par Syntec Conseil en Management, en collaboration avec la Société Française de Management.


Christophe Assens est Directeur adjoint du laboratoire de recherche LAREQUOI (UVSQ)
Christophe Assens est Directeur adjoint du laboratoire de recherche LAREQUOI (UVSQ)

Pouvez-vous nous dépeindre en quelques mots l’homo reticulus que vous étudiez dans votre ouvrage, et nous expliquer son ontologie ?

C’est un terme que j’ai inventé, par comparaison avec l’homo oeconomicus, concept néo-classique en économie, selon lequel toute personne adopterait en toutes circonstances un comportement rationnel pour chercher à maximiser son bien être matériel. Dans le monde complexe d’aujourd’hui, il ne s’agit pas d’optimiser des choix économiques car ce n’est plus possible en raison des incertitudes. Il s’agit de tisser des liens sociaux pour se protéger des crises, saisir des opportunités, ou construire une identité dans la quête de sens. L’homo reticulus est donc une personne qui cultive son capital relationnel comme un bien plus précieux que le patrimoine matériel. 

Vous développez une approche macroéconomique du réseau, dans votre ouvrage, et vous y assimilez l’Union Européenne. Ce réseau est-il en cours de délitement d’après vous ? Et que dire de la société française ?

L’Union Européenne est un réseau d’Etats Nations fonctionnant sur le principe de la subsidiarité : les pays membres agissent dans le cadre de la souveraineté nationale jusqu’au moment où il est nécessaire de mutualiser au niveau supranational les ressources et les compétences pour acquérir une taille critique dans la mondialisation. Cette articulation entre le niveau individuel et le niveau collectif relève des jeux de pouvoir et de la négociation entre Etats. Il est souvent compliqué de trouver un consensus à 28 pays. C’est la raison pour laquelle ce réseau européen est soumis à deux tensions d’évolutions contradictoires : le nationalisme et le fédéralisme. En France, le problème est un peu similaire lorsque la crise de légitimité des représentants politiques renforce le risque communautariste par exemple.  

Comment peut-on préserver la cohésion d’un réseau lorsque celui-ci s’étend au-delà de la relation « humaine » ? On pense par exemple aux réseaux sociaux qui s’assimilent parfois à un magma d’interactions sans visages…

Les « réseaux sociaux » sur Internet correspondent surtout à des médias sociaux fondés sur la communication à distance entre des émetteurs et des récepteurs qui ne se connaissent pas forcément. Dans ce cadre d’anonymat, la cohésion est surtout assurée par les interfaces techniques de télécommunication comme pour le téléphone, ou le mail. Dans ce type de réseau numérique, il importe d’étendre toujours davantage les frontières de communication pour renforcer l’influence. Cette démarche est différente pour un réseau composé de membres non anonymes, où chacun possède un visage connu des autres, à l’image d’un club sélectif dont l’accès serait verrouillé pour le rendre attractif.

Les réseaux dits « sociaux » peuvent-ils – ou pourront-ils un jour - égaler les réseaux dits « humains » en qualité d’interaction et en cohésion ?

Le réseau social sur Internet ne peut pas se substituer au réseau humain, mais il peut le compléter. Le réseau humain de proximité est le siège des liens forts et de la confiance. En revanche, le réseau social sur internet est propice aux échanges plus distants, par des liens faibles, avec des personnes hétérogènes. Le réseau du Web 2.0 est donc utile pour glaner de l’information hors de sa sphère sociale, mais pas suffisant pour générer de la confiance. 

L’organisation en réseaux incarne-t-elle l’archétype de l’entreprise moderne ?

L’organisation en réseaux est très ancienne puisqu’elle date de l’époque du troc, où les échanges marchands ne pouvaient se concrétiser sur une base monétaire, mais sur la confiance entre commerçants. De ce point de vue le réseau n’est ni moderne, ni ancien, car la confiance a toujours été la recette du succès dans l’économie de toutes les époques : époque non monétaire pour garantir le troc par la confiance ; époque monétaire pour garantir la transaction en réduisant les coûts liés au risque d’opportunisme. 

Si vous deviez conseiller nos lecteurs pour les aider à développer leur réseau professionnel, que leur diriez-vous de votre point de vue d’analyste des jeux d’acteurs ?

Cultiver ses réseaux est un aspect essentiel dans l’évolution de carrière, et tout particulièrement dans certains métiers où le talent relationnel est la clef de voûte pour réussir : dans les services, les arts et les sciences, les métiers du conseil, la communication, la politique, le journalisme, etc. Les réseaux les plus influents sont souvent les moins accessibles, car c’est une garantie de leur rayonnement. J’inviterai donc les lecteurs à faire preuve de patience, et à considérer qu’un réseau professionnel se construit sous différents angles (social, économique, digital, politique…), avec le souci de rendre service pour devenir indispensable aux autres, sans attendre de réciprocité immédiate. 





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