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Le transport de GNL au défi de besoins croissants





Le 12 Mars 2024, par La Rédaction

Avec une explosion de la demande mondiale en gaz naturel liquéfié (GNL), tous les acteurs de filière sont sur le pont : producteurs comme transporteurs. Une nouvelle réalité qui n’est pas sans amener son lot de défis, entre manque de places dans les chantiers navals et instabilités sécuritaires sur les routes maritimes.


La flotte de méthaniers s’apprête à passer le cap des 1000 navires (image d'illustration Wikimedia Commons, Martian 2008)
La flotte de méthaniers s’apprête à passer le cap des 1000 navires (image d'illustration Wikimedia Commons, Martian 2008)
La demande mondiale en gaz a augmenté de 2,5 % par an entre 2017 et 2021. Une croissance historique, qui devrait se poursuivre dans les prochaines années , et qui s’explique en bonne partie par deux facteurs. D’une part, la guerre en Ukraine a fait exploser la demande en gaz (notamment en GNL) de la part des pays européens, qui ne peuvent plus compter sur les exportations russes. D’autre part, de très nombreux pays, dont les BRICS, privilégient désormais le gaz naturel pour leurs besoins en énergie, en particulier parce qu'il émet deux fois moins de gaz à effet de serre (GES) que le charbon à quantité égale d'énergie produite.

Un constat qui a finalement amené ces pays et l'Union européenne à considérer le gaz naturel comme une solution incontournable dans leur transition énergétique, à mi-chemin entre les énergies fossiles les plus polluantes — comme le charbon et le pétrole — et les énergies renouvelables. Cet intérêt renouvelé pour le GNL a induit une augmentation importante de la production mondiale de gaz.

En Afrique comme en Amérique du Nord, l’exploitation des gisements de gaz naturel prend de nouvelles proportions

Qu’il s’agisse des États-Unis, de l’Australie ou du Qatar, tous les gros exploitants de gaz naturel ont dopé leurs productions ces dernières années. Les USA ont ainsi enregistré un bond de 10 milliards de m3 supplémentaires pour la seule année 2023 (+5 % en 1 an). De son côté, l’Australie a connu une hausse de 7 %. Quant au pays du Golfe, 3e exportateur mondial, il vise une augmentation de sa production de 64 % d’ici à 2027.

Plus largement, une étude réalisée par le cabinet de conseil Global Sovereign Advisory estime que la capacité de production mondiale du GNL devrait passer de 400 millions de tonnes par an à 700 millions en 2030. Et ce, en bonne partie grâce aux nouveaux protagonistes du secteur, qui sont pour la plupart africains : Sénégal, Maroc, Tanzanie, Afrique du Sud, Mozambique…

Au nord du continent, le Sénégal et la Mauritanie se partagent effectivement une vaste réserve en gaz, découverte il y a peu. La phase 1 du projet, qui devrait débuter cette année, dispose d’une capacité de 2,5 Mtpa. Ce projet, baptisé Grande Tortue Ahmeyim, sera essentiellement offshore.

En Afrique australe, le Mozambique a lui aussi découvert tardivement ses ressources en gaz naturel, mais celles-ci sont colossales (environ 5000 milliards de m3). Le pays pourrait ainsi dégager entre 40 et 60 millions de tonnes de GNL par an. Les premières livraisons ont d’ailleurs commencé fin 2022 depuis la plateforme offshore Coral Sul, qui a une production de 3,4 Mtpa. Mais l’essentiel reste à venir, avec le redémarrage dans les mois suivants du projet onshore principal, « Mozambique LNG », à la faveur de l’amélioration de la situation sécuritaire au Cabo Delgado, la province où se trouve le gisement. Une reprise fortement attendue aussi bien par les clients européens et asiatiques (comme le Japon ou le Royaume-Uni, à qui une part importante de la production a déjà été vendue), que par les autorités mozambicaines elles-mêmes : « le redémarrage des grands projets d'extraction de gaz naturel dans le nord du pays constituent le principal moteur de la croissance », qui pourrait atteindre 5.2 % en 2024 selon l'économiste des Nations Unies Katarzyna Rokosz.

En clair, l’intensification de l’exploitation des gisements historiques et l’émergence de ces nouveaux acteurs expliquent que la demande en méthaniers ait elle aussi explosé, ce qui n’est pas sans poser de nombreux défis pratiques.

La flotte de méthaniers s’apprête à passer le cap des 1000 navires

« Depuis un an, il ne se passe pas une semaine sans que GTT annonce une nouvelle commande», expliquait déjà en 2022 Philippe Berterottière , président du groupe GTT, qui met au point des cuves étanches pour méthaniers. « En 6 mois, nous avons obtenu plus de commandes que sur l’ensemble de l’année 2021 ». Leader mondial du secteur, l'entreprise travaille sur divers navires, notamment en Corée du Sud et en Chine. Comme l’explique son PDG, l’explosion de la demande en GNL a forcément provoqué des tensions en matière de transport. « La demande mondiale de GNL est telle qu’aujourd’hui il est très difficile de trouver des méthaniers », indique-t-il, d’autant que les unités flottantes de regazéification sont, le plus souvent, des méthaniers en fin de vie transformés. « La reconversion de ces navires en terminaux flottants alimente donc cette pénurie ».

Une situation qui est partie pour durer, malgré tous les efforts de l’industrie. « Le carnet de commandes représente environ 50 % de la flotte de méthaniers déjà en circulation », explique Debbie Turner, senior broker chez Howe Robinson Partners. En effet, il existe actuellement 709 méthaniers en service, et 373 sont d’ores et déjà commandés — cela signifie d’ailleurs que la flotte mondiale dépassera bientôt, pour la première fois, la barre symbolique des 1000 navires.

Pour mettre cela en perspective, selon les données fournies par Clarksons Research Services, la capacité totale de la flotte de méthaniers est passée de 89 millions de m3 en 2019 à 110 millions de m3 aujourd’hui — soit une augmentation de 23,6 % en 4 ans. La capacité totale devrait même atteindre 170 millions de m3 l’année prochaine.

Mais l’explosion des carnets de commandes pourrait bien atteindre une limite pour des raisons pratiques. « La demande des chantiers navals reste forte, avec des créneaux limités disponibles dans les chantiers sud-coréens », souligne Debbie Turner. Et le manque d’espace disponible dans les chantiers n’est pas le seul problème. « Les prix ont augmenté de façon phénoménale, nous sommes passés de 170 à 180 millions de dollars US il y a quelques années à environ 260 à 262 millions de dollars US pour une nouvelle construction en Corée du Sud, la Chine étant à peine moins chère ».

Et si le manque de place dans les chantiers et les difficultés de financement n’étaient pas suffisants, les industriels doivent aussi faire face à des problèmes d’acheminement maritime.

De nouvelles routes maritimes sous tension

Qui dit nouveaux producteurs dit nouvelles routes maritimes. Or, en Afrique en particulier, les livraisons ne se passent pas forcément comme prévu. Les attaques des militants Houthis au large du détroit de Bab al-Mandeb et de la mer Rouge ont ainsi empêché un méthanier en provenance du Texas (États-Unis) de passer par le canal de Suez mi-décembre dernier, le contraignant à faire demi-tour au niveau de Jubayt (Soudan). Il n’est d’ailleurs pas le seul : le méthanier Celsius Geneva a lui aussi dû renoncer au Canal de Suez au courant du mois de décembre, pour finalement doubler le cap de Bonne Espérance. Ces derniers développements soulignent l’importance-clé du Canal de Mozambique, non seulement comme lieu d’extraction de gaz naturel, mais d’abord et avant tout comme axe stratégique pour la navigation commerciale mondiale.

Bien sûr, le canal de Suez n’est pas devenu infréquentable, mais des menaces pèsent tout de même sur les approvisionnements de l’Europe en provenance du Qatar, d’autant que le canal représentait 8 % des cargaisons mondiales de GNL en 2023.

Un chiffre qui pourrait augmenter cette année, puisque des contraintes pèsent aussi de l’autre côté de l’Atlantique, au niveau du canal du Panama, frappé par une sécheresse historique. Cet évènement a conduit les méthaniers partant de la côte est des États-Unis à choisir des itinéraires plus longs pour atteindre les marchés asiatiques (Japon, Inde, Singapour…), à savoir le canal de Suez ou, à défaut, le cap de Bonne Espérance. D’ailleurs, pour les mêmes raisons sécuritaires évoquées plus haut, « de nombreuses cargaisons américaines destinées au marché de l’Asie du Nord-Est ont déjà choisi le cap de Bonne-Espérance plutôt que le canal de Suez », selon Andres Rojas, directeur associé pour le GNL chez S&P Globals. Pour autant, les analystes de Standards & Poor estiment que le risque reste « limité » pour le marché mondial du gaz naturel liquéfié, du fait de l’abondance de l’offre.




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