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OPA hostiles et raids financiers : batailles de chiffres, de valeurs et d’égo






Les entreprises à la recherche de relais de croissance peinent souvent à croître de façon organique dans un environnement de crise structurelle, où l’inflation est basse et où les prix diminuent (1). Selon cette perspective, un grand nombre de firmes peuvent voir un intérêt à détenir, en portefeuille, des valeurs « opéables », susceptibles d’accroître leurs parts de marché, d’acquérir de nouvelles compétences ou d'éliminer des concurrent gênants (2).


© IngImage
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A l’instar de l'offre de Sanofi-Aventis sur Genzyme aux Etats-Unis en 2011, une opération de croissance externe est dite hostile, lorsque les modalités de l’accord sont proposées aux actionnaires contre l’agrément de la direction en place. Il s'agit donc d'une démarche à destination des actionnaires d'une société cible cotée, visant à les convaincre de transférer leurs actions, alors même que l’initiateur de l’offre a subi un refus de la part du conseil d'administration de la société concernée. Les opérations hostiles sont le plus souvent caractérisées par un fort effet de levier, c’est-à-dire par un recours extensif à l’endettement au détriment du financement par actions ou par de la trésorerie disponible. Les grandes OPA hostiles des années 1980 ont souvent été des opérations à très fort effet de levier, appelées Leverage Buy-Out (LBO).

L’intérêt de procéder à ce type d’opérations est d’autant plus naturel, qu’il n’y a pas, de l’avis même des analyses et experts financiers, fondamentalement d’obstacles techniques majeurs à mener de telles démarches.

Mais si les tentatives sont nombreuses, les échecs le sont tout autant. En effet, ces pratiques qui ont donné un dynamisme au marché des fusions-acquisitions, ont souvent été mises à mal, en raison d'une position en décalage avec l’instabilité économique et politique du moment. En effet, la faible croissance en Europe, les perspectives économiques mondiales décevantes et inégales (même dans les grandes puissances émergentes : Brésil, Russie, Chine, Afrique du Sud), et les tensions géopolitiques incitent les entreprises à privilégier des approches négociées en amont (instauration de relations de confiance) et soutenues par leurs cibles (opérations amicales), pour éviter des opérations trop risquées et à l'issue incertaine, dont l’échec sera fortement médiatisé et commenté. A cette instabilité économique et géopolitique s'ajoute un contrôle de plus en plus rigoureux des questions de concurrence (et de rente monopolistique) par les autorités de régulation, qui conduisent les acquéreurs potentiels à la prudence. Or plus il y a d'enjeux de domination économique ou culturelle (acquisitions internationales) et d’hostilité, plus le risque est élevé.

Ce phénomène ne doit cependant pas être sous-estimé car ses effets ne se font pas sentir uniquement en cas de réalisation. La seule menace d’une opération hostile, savamment orchestrée à base de rumeurs plus ou moins vérifiables, peut suffire à provoquer de profonds changements dans la gestion et le management des entreprises concernées, et souvent modifier le comportement des acteurs économiques sur les marchés visés (dispositifs d’alerte, bons de souscription en actions, actionnariat salarié important, droits de votes doubles, pactes d’actionnaires fidèles…). Il convient par conséquent de distinguer la réalité effective de ces opérations et leur poids médiatique et psychologique dans la stratégie des acteurs concernés (concurrents, partenaires, clients…) par ce type de rapprochements. Ainsi, au cours de la dernière période, si seulement 14 % des entreprises américaines ont réellement fait l’objet d’une opération hostile, près de 50 % d’entre elles ont été directement ou indirectement menacées par une OPA hostile, les conduisant à entreprendre diverses actions pour contrer ou anticiper ce type de menaces.

Les opérations hostiles sont ainsi souvent déterminées par une vision de discipline par le marché, visant à sanctionner des équipes dirigeantes non performantes et peu déterminées par une vision stratégique. Parmi les sociétés visées, une société dont le capital est mal verrouillé, avec plus de la moitié des actions répartie entre les mains du public, peut constituer une cible privilégiée pour un prédateur. En effet, il est toujours plus simple de lancer un raid contre une société qui n’est pas contrôlée que d’envisager d’acheter des titres d’un groupe familial constitué sous forme de commandite. L’OPA hostile est donc aussi affaire d’opportunités et de circonstances.

Parmi les OPA hostiles qui font aujourd’hui l’actualité, les tentatives de Vivendi, géant des médias sur Gameloft, éditeur de jeux vidéos, méritent une attention toute particulière, tant au niveau de l’intensité du combat qu’au niveau de ses conséquences sur les acteurs du marché, et en premier lieu les dirigeants de la société convoitée. Cet exemple met tout d’abord en lumière les personnalités des dirigeants de l’entreprise initiatrice - Vincent Bolloré - et de la société cible - Michel Guillemot - fondateur de Gameloft, qui abordent cette OPA comme un combat personnel, où se mêlent honneur, fierté, détermination (contexte familial - holding Guillemot Brothers), et stratégies d’affrontement (insistance de l’acquéreur potentiel avec montée en capital, renforcement du capital par les actionnaires de la cible, recherche d’un chevalier blanc, évolution du mode de gouvernance). Car derrière la bataille boursière, une bataille d’ego est en marche entre deux conceptions du capitalisme, l’une axé sur la domination et le pouvoir (modèle de la force), l’autre sur l’innovation et la créativité (modèle agile).

Comme évoqué précédemment, cette tentative d’OPA n’est pas sans conséquences sur le comportement des dirigeants de la société cible (qui contre attaquent) mais également sur le titre de Gameloft qui s’est fortement apprécié. Cet exemple montre également l’approche souvent en deux temps menée par l’entreprise initiatrice. En effet, une OPA est rarement hostile dès le départ. L’initiateur (Vivendi) approche la cible avec des intentions dites amicales, en valorisant les synergies, mais face au rejet de celle-ci, l’entreprise acheteuse décide dès lors de passer en force, donnant à son offre un caractère hostile, où tous les coups sont désormais permis. Plus précisément, l’entreprise initiatrice va au départ mettre en avant les convergences stratégiques et opérationnelles, pour par la suite opter pour une approche plus offensive, en jouant sur les divisions à travers par exemple l’OPA sur Ubisoft. Dans cette deuxième phase, Gameloft est donc passée du statut de société potentiellement partenaire (compatibilité stratégique) à celle de proie effective (domination économique), où l’initiateur n’hésite plus via une communication efficace, à utiliser la ruse et la déstabilisation. Très souvent, lors de cette phase, la personnalisation des acteurs est à son paroxysme, l’entreprise étant progressivement supplantée par les dirigeants et actionnaires fondateurs désormais au centre de la tragédie. D’ailleurs, c’est dans cette période que sont généralement évoquées les trajectoires des dirigeants, leurs qualités et faiblesses, leur histoire personnelle, leurs réseaux relationnels.

Les OPA hostiles font par conséquent partie de la vie des entreprises, notamment à travers les tentatives réussies ou avortées et la propagation des rumeurs dans ce type de situations. Elles participent ainsi aux mouvements stratégiques des organisations et à leur recomposition, en générant des stratégies offensives et défensives de la part des différents acteurs concernés. Au-delà de leur objet de fascination, les OPA hostiles sont généralement coûteuses en termes d’image et de réputation. En effet, le risque pour l'initiateur est que son offre échoue et qu’il dévoile ainsi ses intentions à de futures cibles, en altérant sa position de vainqueur. L’entreprise initiatrice a donc un risque important en termes d'image et de réputation. Le risque de la cible est quelque peu différent, mais tout aussi essentiel. Il est surtout lié au devenir de ses dirigeants qui bien souvent sont évincés par le nouveau propriétaire au profit de dirigeants proches et fidèles. Les OPA hostiles s’accompagnent d’ailleurs très souvent d’un changement de stratégie et de gouvernance au sein de la nouvelle entité achetée, qui voit son modèle d’organisation profondément remanié.

Références

(1) Meier O., Schier G. , Fusions acquisitions: stratégie, finance, management, 5ème édition, Dunod, 2016.

(2) Article à paraître dans La Revue des Affaires, n°5, 1er juillet 2016.



Olivier Meier
Olivier Meier est Professeur des Universités, HDR (Classe exceptionnelle), directeur de... En savoir plus sur cet auteur


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