Journal de l'économie

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Fashion weeks : avis de turbulences !





Le 29 Février 2016, par

Est-il vraiment étonnant que les interrogations sur l’utilité des « Fashion weeks » et leur pérennité « en l’état » soient exprimées par les marques et acteurs de la mode US ? Non, si l’on considère que c’est le pays qui a mené la révolution numérique ; Oui, si l’on pense que la France est leader de mode et que, ce faisant, c’est à notre pays de donner le « La », de prendre les initiatives pour renforcer sa place dans le monde de la mode.


Illustration : IngImage
Illustration : IngImage
Qui peut soutenir que l’information en temps réel, la mise à disposition quasi-immédiate des collections de la fast-fashion inspirées directement des défilés des créateurs, l’envie des clients de posséder les nouveautés immédiatement, les promotions qui se succèdent à un rythme toujours plus rapide ne laissant qu’une courte fenêtre pour vendre les collections au prix fort, n’ont aucune incidence sur notre métier de la mode ?
 
Changer le sacro-saint calendrier des défilés avec une orchestration historique des dates de New York, Londres, Milan et Paris serait-il un crime de « Lèse- mode » ? La créativité des directeurs artistiques se trouverait-elle mise à mal, perturbée par cette nouvelle organisation ?

Pourtant, les pré-collections, capsules, séries spéciales qui se sont multipliées ont déjà fait évoluer le métier. Et quelle est la finalité de ces grands shows sinon d’obtenir un maximum de « rédactionnels » dans la presse, une présence plus forte sur les réseaux sociaux, des commandes plus importantes de la part des acheteurs … afin de gagner des parts de marché donc des « clients finaux » ? Et ce client final, il faut entendre ses besoins et ses désirs !

Nous vivons, que nous le regrettions ou pas, dans un monde de satisfaction immédiate, d’instantanéité des réponses et c’est bien à l’industrie de la mode de réviser ses process pour coller le plus précisément et rapidement  possible à l’attente des clients.
 
Certaines marques sont en train de franchir le pas et nul doute que cette brèche ouverte en entraînera d’autres, puis l’ensemble de la profession. Car au fond, n’est-ce pas un non-sens que de présenter des produits hiver en plein été, de demander au client d’attendre six mois pour acquérir ses coups de cœur (au risque de ne plus être intéressé une fois le délai échu), de solder des produits hiver avant les mois les plus froids et été avant même le début des grosses chaleurs ? 
 
Mais de quoi parle-t-on, et pourquoi ces réticences à envisager de faire évoluer ce concept de Fashion week ?
 
  • Immobilisme: La première raison est l’immobilisme, la peur du changement, de la remise en cause des acquis … en fait, d’imaginer que le leadership peut être remis en cause si l’on ne prend pas les bonnes décisions. « Qu’il est doux de ne rien faire quand tout s’agite autour de soi … ».
 
  • Retombées économiques ! Ce grand « barnum de la mode » qui arrive deux fois par an dans la capitale (quatre si l’on intègre la haute couture) fait vivre Paris à un autre rythme et apporte sa cohorte de professionnels étrangers (acheteurs, bloggeurs, journalistes, acteurs du monde de la mode, stars …) et les retombées pour le commerce sont exceptionnelles.
 
  • La chute des privilèges ? Les marques profitent de ces Fashion weeks pour « chouchouter » leurs invités, leur offrant les prestigieux premiers rangs des défilés qui leur donnent une exposition mondiale, des soirées très « private », des « attentions VIP ». Il n’est pas certain qu’une plus grande ouverture de ces manifestations plaise à ces privilégiés et ce n’est pas qu’une question de professionnalisme … 
 
  • Un parterre de professionnels. Oui mais … Souvent une heure d’attente avant le début du show pour un spectacle de 15 minutes où les feux des projecteurs sont braqués sur la marque avant que tous les invités ne s’éparpillent le plus vite possible pour assister … au show de la prochaine marque. Des comportements affectés et stéréotypés, où les lunettes de soleil (absolument utiles dans le noir) cachent une notoriété souvent … inexistante et où les mobiles sont souvent plus observés que les modèles qui défilent. 
 
  • Des défilés plus si uniques… Même les défilés ont été copiés voire dépassés par les marques de la fast-fashion. Les shows de Top Shop, Victoria’s Secret, H&M sont souvent plus fastueux, plus fréquentés par les stars, en tout cas plus ouverts au consommateur que ceux des grandes marques.  La surenchère de l’image (de même que celle des boutiques - maisons de luxe toujours plus onéreuses) à certainement une limite et encore une fois le numérique va nous le prouver.
 
  • Une moindre sélectivité. Sous prétexte de donner leur chance aux jeunes créateurs, les défilés réunissent toujours plus de marques (l’argument quantitatif est certainement prégnant pour montrer un panel unique de noms et de fait se différencier de Londres, New York ou Milan) au risque d’asphyxier et de rendre illisible cette semaine de la mode.
 
  • Des défilés aux codes surannés. La problématique des mannequins anorexiques a suffisamment défrayé la chronique pour ne pas y revenir. Mais au-delà du physique des mannequins, leur attitude raide, la démarche mécanique, l’absence de sourire et de gaîté pour que seul le produit existe, tout cela n’a-t-il pas vécu ? Est-ce que le caractère compassé du défilé, en lien d’ailleurs avec l’attitude de certaines vendeuses de maisons de luxe, est toujours souhaitable ? Sur ce point également, quel fossé (quel Gap) entre le luxe et la fast-fashion (chez Victoria’s Secret, on danse, on rit, on bouge, on fait la fête …). Qui est le plus moderne, le plus actuel ? Qui défendrait le fait que le 16ème ou le 7ème arrondissement de Paris sont plus branchés et modes que le 3ème ou le 4ème ?
 
  • Une connaissance parcellaire du retail. La vente du luxe, des créateurs, de la mode, ne se limite pas à des boutiques ultra sophistiquées et toujours plus luxueuses. Elle doit aussi compter d’une part, sur les réseaux de distribution que sont les department stores, les terminaux d’aéroport, les duty free, les multi-marques, les chaînes spécialisées … d’autre part, s’adapter à des consommateurs aux comportements différents suivant le canal de distribution, à des pratiques de ces distributeurs spécifiques, à des clients de nationalités différentes et à des saisonnalités à l’opposé entre hémisphère nord et hémisphère sud.
 
La question qui se pose est bien : comment être au plus près de chacun de ses clients et répondre à ses spécificités particulières ? Et donc par quels process devons-nous nous adapter à nos différentes cibles ? Le marketing a longtemps été un « gros mot » dans la mode et cette discipline était soit disant reine aux Etats-Unis pour remplacer une créativité absente. Et si la solution était un équilibre entre création et marketing–client ?
 
Paris s’apprête à accueillir (avec faste ?) la Fashion week dans quelques jours. La ville est-elle suffisamment consciente des enjeux et met-elle suffisamment les « petits plats dans les grands » pour magnifier l’événement et créer un pont entre création et commerce ?

Les lignes bougent ! Burberry, Michael Kors, Tommy Hilfiger, Tom Ford ont décidé de mettre en vente leurs collections immédiatement après leur défilé dès cette année. D’autres « avancent un pied pour sentir la température de l’eau » (Prada). Les ténors font de la résistance. Pour combien de temps ?


Michel Roulleau
Michel Roulleau est Président de Michel Roulleau SAS. Ancien directeur général adjoint du groupe... En savoir plus sur cet auteur


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