Stéphane Salord : le Crédit Coopératif Paca, une illustration du concept d'ESS en région




Le 22 Juillet 2014, par La Rédaction

A l’occasion du vote de la loi sur l’économie sociale et solidaire (dite « loi ESS »), nous nous sommes intéressés aux implications concrètes du concept d’ESS sur le terrain. Car les entreprises de l’ESS, en France, représentent 10% du PIB, et nombreux sont les Français clients de l’ESS sans le savoir : banque, assurance, grande distribution… Nous nous sommes entretenus avec Stéphane Salord, président du comité de région du Crédit Coopératif en PACA et président du Conseil d’agence d’Aix-en-Provence.


Une loi sur l’économie sociale et solidaire était-elle nécessaire ?

C’est une loi qui répond à une demande ancienne de notre secteur économique. Mais toutes les précédentes tentatives de légiférer dans le domaine de l’Economie sociale et solidaire (ESS) ont échoué pour les mêmes raisons : le monde patronal ou les gouvernements successifs s’y opposaient pour des raisons tenant généralement de l’idéologie et d’une mauvaise compréhension de ce qu’est réellement l’ESS.

La situation est aujourd’hui différente, mais pas seulement en raison du changement de majorité et de l’activité gouvernementale. Si la perception de l’ESS a évolué, c’est parce que nous sommes obligés aujourd’hui d’aller chercher des relais de croissance partout où ils se trouvent. Or, l’ESS est une niche de croissance, notamment parce qu’elle associe croissance et emploi de manière beaucoup plus performante que les autres secteurs d’activité.

Que va changer la loi sur l'ESS, concrètement, pour les entreprises du secteur?

Stéphane Salord
Cette loi est nécessaire à plus d’un titre. Il était d’abord nécessaire de définir précisément le périmètre de l’ESS. Est-elle limitée aux coopératives et aux associations ? L’ESS est en réalité un ensemble très large, parcourant un grand nombre de secteurs d’activité et qui regroupent 14 % des entreprises et des emplois en France. Cette volonté de définition implique de définir les contours des statuts juridiques, différents selon qu’il s’agit d’une SCOP, d’une structure associative, d’une coopérative… Des acteurs de l’ESS sont aujourd’hui présents aussi bien dans l’industrie que dans le secteur mutualiste et même dans celui des banques. Ce n’est pas toujours relevé, mais 65 % des banques françaises appartiennent à l’ESS, sous la forme par exemple de coopératives bancaires. Et parmi elles figurent des acteurs bancaires majeurs : Caisse d’Epargne, Banque Populaire, Crédit Coopératif, Crédit Agricole...

Via cette loi sur l’ESS, il s‘agissait ensuite de conférer au secteur une forme de reconnaissance et de légitimité en institutionnalisant la représentation. Il fallait centraliser les éléments de représentation institutionnelle. Ce sera le cas dorénavant avec les chambres régionales de l’ESS -je suis d’ailleurs administrateur de celle de la région PACA- auxquelles viendra s’ajouter un Conseil national de l’ESS. Ce dernier a pour vocation d’être également un organe de représentation institutionnelle de l’ESS auprès des pouvoirs publics.

Enfin, troisième point de la loi sur l’ESS, l’ouverture des pratiques de l’ESS à toutes les entreprises et à toute l’économie. Il ne suffit pas de signer une charte de RSE pour appartenir à l’ESS : il s’agit désormais d’amener l’ensemble des entreprises à des pratiques RSE nouvelles, et de promouvoir dans les entreprises classiques un modèle économique de solidarité interne à l’entreprise.

On évoque souvent la « gouvernance démocratique » des coopératives. En quoi consiste-t-elle, dans une banque coopérative ?

La gouvernance démocratique des coopératives ne doit pas être réduite au fait de voter ou de se réunir en assemblée. Parmi ce qu’implique la gouvernance démocratique, la transparence est en premier lieu ce qui me semble le plus important. Le Crédit Coopératif est d’ailleurs la seule banque française à avoir le label mondial de la transparence en matière de gestion. Cela signifie concrètement plusieurs choses. D’une part, même si cela peut paraitre restrictif, il n’y a pas d’engagements de financement du Crédit Coopératif en dehors de la France . Notre identité se fonde sur la proximité mais aussi sur la transparence de nos pratiques, ce qu’illustre de façon explicite notre rapport annuel. A titre d’exemple, le salaire des dirigeants n’est pas seulement validé en assemblée, il est voté collectivement.

La représentativité est le deuxième aspect d’importance induit par la gouvernance démocratique. Il signifie lui aussi très concrètement droit de parole et devoir de réponse de la part de la banque coopérative. C’est une pratique qui s’est diffusée et pérennisée parmi le demi-million de sociétaires que nous regroupons au niveau national, et qui nous permet quasiment de répondre directement toutes les questions de nos sociétaires. Les instances de gouvernance sont par ailleurs ouvertes et libres : nous n’avons jamais rejeté la candidature d’un de nos sociétaires qui souhaitant rejoindre les instances des comités locaux, ou les instances du comité régional que je préside. Notre vocation est aussi d’encourager le modèle participatif.

De nombreux Français sont clients d’une banque coopérative ou d’un assureur mutualiste, mais sans forcément savoir ce que cela implique pour eux…

C’est tout à fait exact et c’est malheureux, parce que les sociétés coopératives reposent sur des modèles participatifs actifs : si les sociétaires ne participent pas, cela « dessèche » le modèle coopératif en enfermant la représentation sur un petit noyau de personnes. C’est précisément cet écueil que nous souhaitons éviter via des démarches de sensibilisation aux enjeux du modèle coopératif comme le « passeport du sociétaire ». Il est remis à l’ensemble de nos clients pour leur signifier qu’ils ne sont pas uniquement des clients. Ils peuvent également investir dans la coopérative, au sens propre et figuré, en achetant des parts sociales, en participant aux assemblées, et au final en nous aidant à codiriger la banque. Même le conseil national à Paris n’est constitué que de sociétaires actifs, qui, comme moi en province, dynamisent la banque.

Comment le statut coopératif se traduit-il dans vos pratiques ?

Je souhaite insister sur trois points. Nous sommes tout d’abord une banque de l’innovation, qui associe finance d’un côté et économie solidaire de l’autre. L’innovation chez nous se traduit par exemple par la création de notre propre taxe Tobin, sans en faire supporter les coûts aux clients. Nous taxons à hauteur de à 0,01 % les demandes de change monétaire. Cela représente un montant non négligeable d’environ 100 000 euros par an, somme reversés à des structures associatives traitant de questions de développement international. Pendant deux ans, le bénéficiaire a été le GERES (Groupe Énergies Renouvelables, Environnement et Solidarités), association de développement créée en 1976 et située à Aubagne. L’argent versé à cette structure a permis d’intervenir sur les conditions de vie des populations des bassins versants himalayens, soumises à des chocs climatiques importants.

Deuxième innovation propre à une banque coopérative : nous demandons à nos clients le sens dans lequel ils souhaitent faire fructifier le patrimoine dont ils disposent sur les comptes enregistrés chez nous, même sur les comptes de dépôt à court terme. Très concrètement, nos clients nous communiquent les champs, les tendances, dans lesquels ils souhaitent voir la banque investir leur argent en dépôt : protection de la planète, soutien médical…

Enfin, et c’est important de le noter, nous sommes à l’origine du Livret Agir. Ce livret d’épargne solidaire permet à nos sociétaires de partager la rémunération bancaire avec une structure affinitaire de leur choix sur 40 comptes Agir possibles. Les possibilités sont très variées et vont d’un soutien à l’association des paralysés de France à l’association de protection des rivages du monde. Cette année, près de deux millions d’euros ont pu être reversés à ces différentes structures. Nous estimons qu’il s’agit d’une démarche très importante relevant de la dynamique sociale et solidaire de notre projet.

Les banques coopératives sont souvent citées en exemple pour leur modèle de gestion du risque et leur résilience dans la crise. Comment ont-elles accueilli la réforme de Bâle III ?

Nous avons accueilli la réforme Bâle 3 d’autant mieux qu’elle n’a pas nécessité d’ajustements majeurs de notre modèle financier. Les conséquences de cette réglementation ont également été faibles du fait de notre mode d’engagement peu ouvert à l’international.

Etant de plus dans les trois premières banques françaises les moins chères et les plus transparentes (et cette année, classée première banque française la plus transparente à l’international !), nous n’avons pas ressenti Bâle 3 comme une contrainte. La principale exigence de Bâle 3, nous la pratiquons depuis longtemps : n’engager à long terme que les ressources dont nous disposons en dépôt à long terme, cela pour renforcer simplement notre image de banque responsable qui s’engage dans la durée. La fidélité de notre clientèle dans le temps nous facilite grandement les choses de ce point de vue : certains de nos sociétaires restent au Crédit Coopératif toute leur vie, de même que beaucoup d’institutions et d’entreprises.

L’origine du groupe Crédit Coopératif remonte à 1893 et son histoire a été jalonnée de fusions et acquisitions, jusqu’à devenir une maison-mère de BPCE en 2009. Doit-on y voir une dilution ou, au contraire, une affirmation de son identité ?

Le terme de maison-mère me semble tout à fait pertinent nous concernant. Les liens entre le Crédit Coopératif et BPCE sont bien ceux-là : le crédit Coopératif possède 1% du capital de BPCE. C’est symbolique mais cela illustre le sens de la relation : nous sommes partiellement propriétaire de BPCE.

Mais lorsque l’on reprend depuis 1893 l’histoire complexe du Crédit Coopératif, jusqu’à devenir aujourd’hui une banque nationale unitaire dans son mode de gestion, on se rend bien compte que la philosophie est restée la même. Cette centaine d’années d’existence est donc l’histoire de regroupements de caisses de financement, de solidarité, de petites banques locales vouées à s’affaiblir ou à disparaître sur des places financières mondialisées.

Le fait de devenir actionnaire de BPCE nous a permis d’une côté un accès à des produits financiers, et donc à des fonds, sur les marchés. De l’autre côté, le regroupement d’établissements de taille souvent régionale nous permet d’exister comme banque nationale. Je pense que l’ensemble est le résultat d’une bonne dynamique et l’affirmation dans le temps de nos valeurs et de nos pratiques.

Il est évident que pour en arriver là, nous sommes passés par des changements, des ajustements ou des modernisations, dans un contexte d’internationalisation des normes bancaires. Mais notre philosophie ne change pas, elle : nous restons la banque de l’utilité sociale.

Le groupe s’apprête à mettre en œuvre son nouveau projet d’entreprise 2015-2019, « tous coopérateurs, tous banquiers ». Quels sont les changements stratégiques ou organisationnels escomptés dans les prochaines années ?

Ce nouveau modèle de développement de la banque doit effectivement être mené dans les régions, et au titre de la coresponsabilité des dirigeants administratifs du groupe et des comités de région, je suis chargé de le décliner pour la région PACA.

Ce projet d’entreprises 2015-2019 se décline selon trois axes principaux. Le premier concerne le développement de la banque à distance et es applications numériques, contrepoids indispensable à toute banque. La nôtre a été lancée il y a six mois et semble promise à un grand avenir, car, à défaut de se trouver à proximité d’une agence physique, elle permet de trouver une agence référente et d’avoir accès à l’ensemble des services bancaires. Nos agences ne sont pas présentes dans toutes les villes de France : notre réseau compte 90 agences, réparties à hauteur d’une agence dans la plupart des chefs-lieux de département, à l’exception des Bouches-du-Rhône et de l’Ile-de-France qui comptent plusieurs agences. La banque à distance permet à la fois de toucher l’ensemble de nos sociétaires, sans considération de situation géographique, et d’attirer de nouveaux clients.

Le deuxième point concerne la place donnée aux clients privés. Cette thématique continue de faire l’objet de débats et questionnements au sein des coopératives : quelle doit être la place accordée aux clients privés, dans une banque coopérative constituée autour de réseaux affinitaires de l’ESS ? Or, depuis cinq ou six ans, nous accueillons un nombre grandissant de clients privés, sans lien avec le champ de l’ESS et les réseaux traditionnels du Crédit Coopératif. Il faut donc leur faire une place, raison pour laquelle à partir de cette année nous les intégrons à tous les conseils d’administration : au niveau national à hauteur de trois postes, et en région avec trois à six postes. Notre intention derrière cette action est de communiquer autour de ce qui est peut-être une partie de l’avenir de notre banque : l’accueil de clients privés purs.

Troisième axe de développement, le renforcement de notre collaboration avec les partenaires économiques professionnels locaux. Nous sommes une banque en croissance, dont les services sont de plus en plus demandés par une clientèle professionnelle demandeuse de disponibilités localement.


Stéphane Salord est né le 26 janvier 1969 à Marseille. Diplômé de Sciences Po Aix en 1992, il est un spécialiste du droit public et du développement économique local. Fortement engagé dans la vie associative, il est fondateur du Comité de Bassin d’Emploi du Pays d’Aix en 1994, puis du Club des Créateurs d’Entreprises en 1995. Directeur de la Fondation Vasarely de 1995 à 2001, puis élu maire-adjoint de la ville d’Aix en Provence et vice-président de la Communauté du Pays d’Aix de 2001 à 2008, en charge de l’emploi, du développement économique, de l’insertion professionnelle, de la Politique de la Ville ; il préside dans cette période le PLIE et la Mission Locale du Pays d’Aix.

Il fonde l’ESDAC, école supérieur de design, d’arts appliqués et de communication d’Aix en Provence en 2008 ; il est élu président du conseil d’agence du Crédit Coopératif d’Aix en 2008, puis président du Comité de région PACA de cette même banque en 2009 ; il siège dans certaines instances nationales de la banque. Il est également administrateur de la CRESS, Chambre Régionale de l’Economie Sociale et Solidaire, depuis décembre 2013. Il est également président et fondateur de provence Plus TV, la web-tv du Pays d’Aix. Il anime également un lieu d’art en centre-ville d’Aix.