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Le potentiel de la Communication Non Violente pour les organisations et les acteurs de l’éducation






Interview réalisée par Pr. Olivier Meier, président de l'Observatoire ASAP auprès de Olivier de Lagarde et Albin Hamard (Collège de Paris) sur le potentiel de la communication non violente pour les organisations et les acteurs de l'éducation: origine, intérêts et mise en pratique.



Pouvez vous nous expliquer la Communication Non Violente (CNV), ses origines, principes et fondements ?

Albin Hamard : La Communication Non Violente (CNV) a été développée dans les années 1960 par le psychologue américain Marshall Rosenberg. Inspiré par l’approche Non-Violente prônée par Gandhi, les travaux de la psychologie humaniste de Carl Rogers et son expérience clinique de praticien, Rosenberg souhaitait offrir une méthodologie permettant de transformer une situation initiale de conflit, de frustration, de gêne ou d’incompréhension en situation de dialogue et d’échange. Il s’agit d’une approche qui engage à reconsidérer la façon dont nous nous exprimons et dont nous entendons l’autre. Elle nous invite à prêter attention à ce qui pourrait contribuer à notre bien-être et celui d’autrui : décoder ce qui est exprimé, identifier nos besoins et nos sentiments, manager nos émotions, prendre nos responsabilités, passer d’un langage réactif à un langage proactif, exprimer des demandes claires. La CNV utilise des tactiques d'influence (présence, régulation du système nerveux, écoute empathique, miroir, étiquetage) qui favorisent la connexion, le care et la création d’un environnement où les gens se sentent pris en compte. Autant de moyens habiles et de stratégies qui sont aujourd’hui mis en lumière par les neurosciences sociales, la neurobiologie des émotions et les sciences de la négociation et de la résolution de conflits. En outre, la familiarisation avec les grands principes de la CNV contribue à développer de façon significative des compétences interrelationnelles clés : attention, identification des émotions, prise en compte des besoins, écoute, empathie, et sympathie. En cela, la CNV propose une méthodologie simple et pragmatique pour apprendre à communiquer avec agilité et sans violence envers soi-même et les autres. L’excellent Thomas d’Ansembourg, dans Cessez d’être gentil. Soyez vrai, associe d’ailleurs la pratique de la CNV à une forme d’hygiène relationnelle essentielle à l’amélioration des relations et de notre santé mentale.

Quel est selon vous, l'intérêt de la CNV pour les entreprises ?

Olivier de Lagarde : De mon point de vue de dirigeant, la CNV offre de multiples bénéfices, tant au sein des entreprises qu'à l'échelle de la société. Premièrement, via la pacification des interactions quotidiennes, du fait de son potentiel de diminution de la violence sous toutes ses formes. Intégrer la CNV dans les organisations permettrait d’atténuer l'exposition à la violence psychique chez les travailleurs, tout en apportant des avantages notables à l'intérieur et à l'extérieur des entreprises. À l'intérieur, la CNV est un levier efficace contre la souffrance mentale en milieu professionnel, favorisant un échange serein, constructif, et évitant les conflits et les accusations personnelles qui nuisent considérablement au bien-être au travail. Ce type de communication reconnait les violences qui dépassent les simples rapports de domination, touchant diverses relations comme celles de collègue à collègue ou de clients à fournisseurs. À l'extérieur, la CNV se révèle précieuse dans les interactions avec le public, améliorant le traitement des réclamations et prévenant les impacts négatifs des tensions internes sur l'image de l'entreprise. Elle constitue ainsi un outil puissant pour améliorer le climat social et professionnel.
 
Albin Hamard : En effet ! En tant qu’employé, ou cadre, comment réagir quand vous êtes sous pression et que quelqu’un vous dit : « Ne stresse pas, ça ne sert à rien ! » ou « On ne peut pas compter sur toi » ? Autant de formulations maladroites ou mêlées de jugements que nous entendons dans les organisations au quotidien et qui ont bien souvent des conséquences délétères sur le pouvoir d’agir de toutes les parties prenantes (augmentation du stress, diminution de la motivation et de la coopération). En cela, les outils de la CNV permettent aux collaborateurs de générer des options gagnant/gagnant, faire preuve de plus de tact, être plus assertif et même créer un pont psychologique avec les personnes avec qui les relations sont plus délicates.

Comment peut-on l’enseigner ?

Olivier de Lagarde : Le Collège de Paris souhaite enseigner la CNV dans l'ensemble de ses établissements. Un projet pilote a été mis en place dès 2023 au sein d'Ascencia Business School, l'école de commerce francilienne du groupe. Pour être efficace, nous avons déployé cette formation auprès de trois publics : les élèves eux-mêmes, bien sûr, le plus tôt possible dans les cursus ; les professeurs, pour intégrer ces techniques de dialogue constructif et positif dans leurs échanges avec les étudiants ; et l'encadrement pédagogique, qui est au centre de toutes les situations conflictuelles pouvant intervenir au sein d'un établissement d'enseignement. Sans grande originalité, une formation réussie en CNV repose sur trois piliers : la présentation des principes généraux afin de comprendre de quoi il s'agit ; des mises en situation qui s'appuient tant sur des exemples issus de l'environnement professionnel que sur des cas de la vie quotidienne ; des retours d'expérience après une période de mise en application dans la vie réelle.

Albin Hamard : Etant donné que l’application la plus cruciale de la CNV est peut-être liée à la manière dont nous entrons en relation avec nous même, les pensées que nous projetons sur autrui et l’empathie que nous développons à notre propre égard, elle requiert de diriger son attention vers l’intérieur pour prendre conscience des émotions, des désirs et des pensées qui sont en jeu. Or cette dimension introspective constitue parfois un frein pour celui ou celle qui se tient à distance de son propre vécu et de son monde interne (ce qui est fréquent). C’est pourquoi une partie des modules de formation est consacrée à l’appropriation d’outils simples favorisant la conscience de soi, la culture de l’attention, la régulation émotionnelle et la compréhension des phénomènes de contagion du stress grâce à l’éclairage des neurosciences. Forts de cette familiarisation, les apprenants sont beaucoup plus à même d’intégrer le processus de la CNV, de développer des compétences interrelationnelles et mettre en pratique des « savoir-y faire » parfois contre-intuitifs. En effet, comme le précisaient les experts mondiaux du Harvard Negociation Project en 2011, cette manière d’être, de penser et d’entrer en relation va parfois à l’encontre de nos habitudes automatiques. D’où l’importance d’intégrer une sensibilisation à tous les niveaux et tout au long des cursus.

Conclusion

Nous avons souhaité interrogé ces deux acteurs engagés dans le domaine de l'éducation, pour mieux comprendre un modèle de communication qui vise à favoriser des interactions plus harmonieuses et respectueuses, en évitant toutes formes de jugements et de critiques. En effet, dans le contexte des organisations, la Communication Non Violente (CNV) peut offrir plusieurs bénéfices significatifs. Elle encourage une écoute active et empathique, ce qui renforce la cohésion d'équipe et améliore les relations interpersonnelles. En facilitant l'expression des besoins et des sentiments, la CNV permet également de résoudre les conflits de manière constructive et respectueuse. De plus, la clarté des demandes et des attentes aide à réduire les malentendus, améliorant ainsi l'efficacité de la communication interne. Enfin, en favorisant le respect et la bienveillance, la CNV contribue à créer un environnement de travail sain et  motivant.

Notes


Olivier de Lagarde est président du Collège de Paris.

Albin Hamard enseigne les techniques de conscience du corps et de la relaxation à l’université d’Orléans et au sein du Collège de Paris.


Olivier Meier
Olivier Meier est Professeur des Universités, HDR (Classe exceptionnelle), directeur de... En savoir plus sur cet auteur


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