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Les dirigeants de PME-PMI face au risque terroriste en France





Le 4 Avril 2017, par Laurent Lebois

Dans le contexte sécuritaire actuel en France comme en Europe, beaucoup de dirigeants de PME-PMI s’interrogent encore sur la réalité de la menace pesant sur leur entreprise et sur les mesures qu’ils doivent prendre. L'analyse de Laurent Lebois*, Directeur des opérations chez Risk et Ops.


Est-ce qu’un site industriel de province situé en périphérie d’une ville secondaire est susceptible d’être ciblé par des terroristes ? Y a-t-il des zones urbaines ou péri-urbaines plus sensibles que d’autres ? Y a-t-il des activités potentiellement ciblées ? Est-ce que certains contextes ou équipements propre à l’entreprise peuvent accroitre un risque déjà existant ? Les services de l’état veillent-il à la sureté de ma société ? Les services de l’état me préviendront-ils si je deviens une cible ? Si j’emploie une personne fichée « S » ou si ma société entre dans le périmètre des nouvelles cibles ? Les services de l’état peuvent-ils m’aider à déterminer la réalité de la menace et me proposeront ils des solutions efficaces  et adaptées pour réduire de tels risques ? Si je ne fais rien, ma responsabilité pourrait-elle être mise en cause par des victimes ?

Ces questions étaient auparavant réservées aux responsables des sociétés implantées à l’étranger, dans des zones dites instables. En France métropolitaine, les entrepreneurs avaient pris pour habitude de considérer ce risque comme improbable et reportaient inconsciemment sa gestion à la charge des services de l’état qui en ferait le cas échéant leur affaire. 

Levons immédiatement quelques doutes…

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Les exemples récents du site pétrochimique de Berre-L’étang, du site d’Air Products à Saint-Quentin Fallavie, de l’imprimerie de Dammartin-en-Goële et de la Société d’Exploitation des Spectacles Bataclan ont changé la donne.

Aujourd’hui, nul entrepreneur ne peut écarter la menace d’une action néfaste, qu’elle soit directement orientée contre sa structure et/ou ses personnels ou incidente, visant les populations environnantes par l’utilisation de sa structure comme arme de destruction massive.

Depuis les attentats de Toulouse et de Montauban en mars 2012, il est certain que des terroristes souhaitent porter leur guerre en France pour la punir de sa participation à la coalition anti-Etat Islamique. Les organisations terroristes commandent à distance des attentats ou demandent à ceux qui les soutiennent de lancer des actions par tous les moyens, même les plus rudimentaires (fusillades, attaques suicides, incendies, véhicule fonçant dans une foule, etc.). Ce type d’actions cherche surtout à avoir un impact psychologique sur l'opinion publique plutôt qu’à affaiblir les capacités économiques du pays. L’effet de sidération sur l'opinion publique sera d’autant plus grand si elles sont réalisées à des dates symboliques. Mobilisant des équipes en simultanée, la capacité d’intervention des forces de l’ordre et des secours sera minorée et le sentiment d’impuissance plus grand.

En Europe, France comprise, on recense à ce jour une quarantaine d’attentats avérés et une vingtaine de tentatives avortées – un ratio peu rassurant. Certes, certaines de ces actions peuvent avoir été menées par des personnes psychologiquement fragiles et/ou déséquilibrées qui utilisent les modes d’action terroristes pour exprimer leur mal-être sans en mesurer réellement l’impact. Mais dans les faits le résultat est le même.

Sur ce nombre très important d’attentats ou de tentatives, on ne compte que peu d’actions menées contre des sites industriels. Il est probable que le niveau d’entrainement et les capacités opérationnelles des ressources utilisables à ce jour sur le territoire par les organisations terroristes n’ont pas encore permis aux commanditaires de s’attaquer directement à de telles cibles. Toutefois, il convient de prendre ce risque au sérieux car ces cibles potentielles représentent, surtout en milieu urbain, des intérêts majeurs pour les groupes terroristes avec un nombre de victimes potentiellement important, la destruction d’infrastructures etc. et donc un impact visuel et psychologique certain sur la population. Par ailleurs, l’exemple de l’imprimerie de Dammartin-en-Goële où s’étaient réfugiés les frères Kouachi démontre que les entreprises peuvent également être des victimes indirectes du terrorisme.  

L’Etat ne peut pas tout

La France qui a instauré un état d’urgence depuis les attentats du 13 novembre 2015, déploie sur son sol plus de 10.000 militaires et l’intégralité des effectifs de police disponible afin d’assurer la sûreté des édifices religieux, des lieux publiques jugés sensibles, des sites de production stratégique et des personnalités potentiellement visées.

A cela il convient d’ajouter le maintien de l’ordre lors des évènements ponctuels ou des diverses manifestations. Les effectifs utilisés ont atteint un niveau historiquement inégalé et l’ensemble des services de l’état est à la limite de la rupture.

Les responsables des PME-PMI qui ne sont ni classées SEVESO, ni en contrat avec la Défense, ni symboliquement importantes doivent savoir que leurs appels aux services de l’état dans le cadre d’une crainte de malveillance resteront probablement sans réponse efficace : ces services malgré toutes leurs bonnes volontés n’ont plus les moyens d’intervenir rapidement et efficacement à leur profit. Avant même que le pays ne se trouve pris dans la tourmente terroriste, ils étaient déjà débordés et ne disposaient pas des moyens nécessaires à la gestion de ces problématiques.

Afin de parer au plus urgent, les services de l’état ont diffusé des « Fiches pratiques » ainsi qu’un nouveau plan VIGIPIRATE remanié. Les préfectures ont demandé aux responsables des sites classés SEVESO de prendre les mesures de sauvegarde nécessaires et parfois même ont proposé leurs services pour évaluer les besoins. Enfin le législateur, conscient de la limite des capacités de ses services de sécurité, étudie la possibilité de généraliser le port d’arme pour les sociétés de sécurité privé en charge de la sécurité de certains sites.

Pour compléter l’action de l’Etat, la CGPME a pris l’initiative de publier avec le syndicat national des entreprises de sécurité privée une liste de dix mesures applicables à destination des PME, la première d’entre-elles étant : « évaluer les risques et identifier les menaces et leurs probabilités », les suivantes visant l’intégration de la sûreté en amont de l’organisation. Il ne sera donc plus possible de plaider l’ignorance du danger. 

Même sensibilisés, les dirigeants sont désemparés

A de rares exceptions près, les chefs d’entreprise ne sont pas formés à la gestion du risque terroriste qui est évidemment hors champs de leurs compétences et activités usuelles. Parfois, ils s’en remettront au bon sens des pompiers, vigiles et autres personnels d’accueil des sites et dans le pire des cas, à la providence qui devrait écarter tout risque du chemin de son entreprise.
Au-delà des enjeux moraux liés aux attentes des parties prenantes, les risques de mise en cause au civil et au pénal du dirigeant (personne physique) et/ou de l’entreprise (personne morale) résultera de leur prise en compte de cette problématique sécuritaire à bras le corps.

L’obligation de sécurité est un des fondements de la responsabilité de l’employeur et sans rentrer dans l’argutie juridique, citons juste pour exemples :
  • L’article L. 4121-1 du Code du travail qui prescrit une obligation générale de sécurité à la charge de l’employeur. Ce dernier : « prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ».
  • L’article L. 452-1 du Code de la Sécurité Sociale prescrit que l'employeur est tenu d'une obligation de sécurité de résultat, …que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver… ».
  • La jurisprudence qui depuis les arrêtés de Jolo (2000) et DCN (2002) a retenu la responsabilité pénale de l’employeur en cas d’agression, d’enlèvement et de contraintes physiques.
Le chef d’entreprise peut et, à mon sens, doit se faire accompagner par des professionnels ayant une véritable expertise pour évaluer à sa juste mesure la menace potentielle qui pèse sur sa société. Des actions de prévention, d’information et de formation doivent être mises en œuvre, une organisation et des moyens adaptés à la menace doivent être déployés.

Attention toutefois à bien différencier les acteurs, entre experts-conseils, vendeurs de matériels de protection (accès, caméras, etc.) et prestataires mettant à disposition des agents de sécurité : la gestion de ce risque sécuritaire particulier a un coût économique qu’il convient d’optimiser intelligemment et cela s’évalue et s’audite au même titre que bien d’autres domaines. 


A propos de l'auteur:

Laurent Lebois est un ancien cadre des services antiterroristes français, il intervient depuis 10 ans en tant que consultant dans tous les secteurs d’activités en France et à l’international, y compris en zone de sûreté dégradée. Il est Directeur des Opérations au sein de la société française de conseil Risk & Ops qui réunit des professionnels experts en Sûreté opérationnelle et des consultants spécialisés en QHSE et RSE dont les expériences internationales mêlées ont permis de développer des outils méthodologiques pour une approche globale de la maîtrise des risques en entreprise. 
 




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