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Pouquoi les ambitions protectionnistes chinoises et américaines frappent la France et l'Europe





Le 5 Octobre 2019, par Anne-Sophie Alsif

Anne-Sophie Alsif analyse l'exposition de la France et de l'Europe au risque protectionniste. Anne-Sophie est économiste sénior à la Fabrique de l’industrie, ancienne conseillère ministérielle en charge des questions commerciales, diplômée de Sciences Po Paris et docteur en sciences économiques de l’École des Hautes Études en Sciences sociales.


L’arrivée au pouvoir de Donald Trump sur la base d’un programme souverainiste, l’annonce récente de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) d’autoriser les États-Unis à imposer des droits de douane de 7,5 milliards de dollars sur les importations européennes, ou encore la dénonciation des pratiques commerciales chinoises ont remis sur le devant de la scène la question du protectionnisme et ses conséquences sur le commerce international.

Dans ce contexte de montée des tensions protectionnistes, comment la France et l’Europe sont exposées ? Afin de répondre à cette question complexe, il est intéressant d’analyser le niveau d’intégration des pays européens dans les chaînes de valeur mondiales. Pour ce faire, nous utilisons les données de la base TiVA de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui comptabilise les échanges internationaux en valeur ajoutée.

Le constat est que l’Union européenne (UE) est plus insérée dans les chaînes de valeur mondiales que les États-Unis mais moins que la Chine. L’insertion d’un pays dans les chaînes de valeur mondiales peut s’évaluer en mesurant la part de ses exportations brutes qui relèvent en fait d’importations étrangères réexportées. Ainsi, en 2015, la valeur ajoutée importée depuis l’étranger comptait pour 9 % des exportations américaines, 17 % des exportations chinoises et 12 % des exportations extracommunautaires de l’Union européenne (en considérant cette dernière comme un pays à part entière). Bien sûr, cet indicateur est partiellement lié à la taille du pays considéré : plus celui-ci est grand, plus il dispose de ressources propres et moins il dépend de l’extérieur.

La France ou l’Allemagne, par exemple, comptent 21 % d’intrants étrangers dans leurs exportations, et apparaissent donc comme plus insérées dans les chaînes de valeur que les deux superpuissances mondiales et de fait, plus averse au risque protectionnisme.
Il faut compter également avec le statut très particulier de la Chine. Ce pays réussit un double exploit : fournir toujours plus de valeur ajoutée aux marchés étrangers tout en gagnant en autosuffisance. En effet, la valeur ajoutée chinoise contenue dans la demande finale manufacturière française n’a cessé d’augmenter entre 2005 et 2015, passant de 2,5 % à 6,9 %. Cela vaut d’ailleurs pour tous les pays européens, ce qui a permis à la Chine de passer devant les États-Unis au tournant des années 2010 comme premier fournisseur des industries européennes. Cette hausse n’est en rien propre à un secteur particulier mais est commune à tous les secteurs importateurs européens et à tous les secteurs d’exportation chinois.

À l’inverse, les valeurs ajoutées européenne et française contenues dans la demande finale manufacturière chinoise n’ont cessé de décroître sur la même période. De façon similaire, la Chine fournit aujourd’hui plus de valeur ajoutée que l’Union européenne à la demande manufacturière américaine.
La domination commerciale chinoise, loin de se limiter aux produits de consommation de masse, se vérifie donc également pour les matières premières, les biens d’équipement et les produits intermédiaires entrant dans la constitution des chaînes de valeur industrielles. En outre, l’idée popularisée un temps selon laquelle la valeur ajoutée proprement chinoise n’interviendrait qu’aux étapes low cost de montage et d’assemblage a fait long feu. La Chine parvient au contraire à être toujours plus présente sur les marchés extérieurs et de moins en moins dépendante du reste du monde pour répondre à sa propre demande.

Enfin, les produits issus des industries française ou allemande passent par davantage d’étapes de production situées à l’étranger que les produits chinois et américains avant d’atteindre leur consommateur final les rendant plus exposés au risque protectionniste.
 
Ces différents constats démontrent que les pays européens, considérés séparément, sont relativement plus exposés au risque protectionniste que de grands pays comme la Chine et les États-Unis. Les économies européennes sont fortement intégrées entre elles, dans une zone stable et de libre marché. Les industries françaises et européennes tirent parti de leur insertion mondiale. Dès lors se pose la question de la stratégie européenne face à ses concurrents internationaux.

La France ne pourra pas faire face seule aux superpuissances. La question de l’accès au marché chinois reste entière et doit être posée au niveau européen. Les États membres sont appelés à définir des objectifs industriels et commerciaux communs. Il apparaît essentiel de changer le paradigme européen afin de ne plus penser la politique commerciale et de la concurrence par rapport aux autres États membres mais par rapport aux concurrents internationaux tels que la Chine et les États-Unis. Un changement qui apparaît essentiel dans un contexte de révolution technologique et environnementale.
 
Réf. ;  Alsif AS., Charlet V., Lesniak C., (2019) « La France est-elle exposée au risque protectionniste ? », La Fabrique de l’industrie, Presses des Mines, octobre.
 



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