Journal de l'économie

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Entretien avec Alain Jounot, responsable du département innovation de l'Afnor

"Le modèle de création de valeur centré sur le profit exclusif de l’entreprise n’est plus tenable"





Le 31 Octobre 2014, par

Alain Jounot est l'auteur, avec Florence Méaux, de "Entreprises performantes et responsables, c’est possible !", publié aux éditions Afnor. Faisant la synthèse des premiers retour d'expérience des évaluations de l'Afnor en matière de politiques RSE des entreprises, cet ouvrage vient valider l'idée que la RSE, loin de constituer un frein au développement, est au contraire source de performance et de compétitivité.


Qu’est-ce qui peut pousser des entreprises à se poser la question des politiques RSE ? Quelles sont les motivations initiales ?

Les raisons sont nombreuses : les évolutions réglementaires liées au reporting, un marché en mutation et des parties prenantes de plus en plus concernées par ces sujets ou encore l’intégration par les donneurs d’ordre de la RSE dans les marchés. Toutefois, trois motivations principales ont guidé les démarches des entreprises évaluées AFAQ 26000:
Contribuer à la sauvegarde de la planète : Les entreprises évoquent leur « responsabilité morale ». Elles véhiculent une culture d’entreprise responsable et souhaitent partager et faire valoir leurs valeurs.
Pérenniser l’entreprise : Le développement durable est invoqué comme « clef de la performance et de valorisation de l’entreprise », l’objectif visé étant celui de la pérennité.
Répondre aux attentes des parties prenantes : Il s’agit pour ces entreprises de comprendre les évolutions actuelles et futures de leurs marchés en identifiant les besoins et attentes en lien avec les enjeux ce développement durable.

Peut-on être « vertueux » sans le savoir, et pratiquer une politique de RSE sans savoir ce que recouvre le concept ?

Les entreprises ont initié au fil du temps des pratiques qui peuvent pour certaines s’inscrire dans un cadre que je qualifierai de RSE. Néanmoins la responsabilité sociétale ne constitue pas une action ponctuelle à mettre en œuvre en complément des activités d’une entreprise. Il s’agit d’une évolution culturelle qui nécessite d’être structurée pour pouvoir pénétrer et irriguer ses diverses activités. La norme ISO 26000 apporte un cadre de réflexion exhaustif sur le sujet de la RSE qui va guider l’entreprise dans une dynamique de progrès. 

La RSE peut-elle être une stratégie, ou est-ce seulement une autre manière de travailler et de produire ?

La vision de l’entreprise centrée sur son seul profit au détriment de tous les autres enjeux a vécu. Depuis peu, Michael Porter, célèbre économiste considéré comme un des « papes » du marketing classique, enseigne dans les universités américaines que le modèle de création de valeur centré sur le profit exclusif de l’entreprise n’est plus tenable et qu’il convient d’intégrer les besoins de la société, pour créer une « valeur partagée », bénéfique pour un plus grand nombre d’acteurs, comme les fournisseurs, les collectivités, les populations fragiles, mais aussi et surtout l’entreprise elle-même. La RSE doit par conséquent permettre de revisiter la stratégie de l’entreprise.

Quelles sont les externalités positives de la RSE ? Ne force-t-on pas l’appropriation d’une problématique de long terme par des entreprises fonctionnant à court et moyen terme ?

La RSE nécessite de trouver un équilibre entre le court terme et la problématique long terme. Les entreprises sont convaincues que la clé d’entrée pour prioriser les enjeux est la construction de la stratégie à moyen-long terme de l’entreprise et des actions qui en découlent dans le cadre d’un exercice sur les missions/vision/valeurs élargi à tous les enjeux internes/externes et non une méthode théorique sans lien avec les fondamentaux de l’entreprise. Des liens évidents peuvent être établis entre actions responsables et retombées positives :
- si l’entreprise écoute davantage ses clients, elle peut faire du développement durable un avantage concurrentiel, et ainsi vendre mieux ou plus ;
- par des actions responsables, l’entreprise peut réduire ses dépenses. A titre d’exemple, si elle améliore sa performance énergétique, elle réduit sa facture énergique et améliore donc son compte de résultat, etc.

Les entreprises qui parlent de développement durable, de production raisonnée ou d’écologie sont-elles sincères ? La RSE n’est-elle pas considérée comme une mode, qu’il faut suivre pour des questions d’image ?

La norme ISO 26 000 incite les entreprises à attester de la crédibilité de leurs démarches et que les façons de le faire sont multiples : dialogue avec les parties prenantes, chartes, notations, labels, certifications, rapports sur le développement durable, sites internet, etc.  Ces dernières années nous avons constaté une vraie accélération des prises de conscience des entreprises en matière de RSE. Il ne s’agit pas d’un effet de mode et cette nécessité d’asseoir la crédibilité de sa démarche va conduire l’entreprise à interroger son engagement RSE et à l’approfondir au fil du temps.

La RSE est-elle un luxe de grands groupes que les TPE et PME peuvent se permettre en temps de crises ?

Pour la majorité des entreprises évaluées AFAQ 26000 la RSE n’est pas considérée comme un luxe. Nous sommes entrés dans un nouveau modèle d’économie auquel il est indispensable de s’adapter, il n’est plus possible pour une entreprise, quelle que soit sa taille d’avoir son seul profit pour objectif. L’ouverture aux parties prenantes est également une approche de marketing stratégique qui permet aux entreprises de mieux comprendre les attentes nouvelles de leur marché. Nombreuses sont celles qui ont compris tout l’apport d’une telle ouverture et voient dans l’approfondissement de leur démarche RSE une façon de conduire leur adaptation à un monde en forte transformation.

Comment comparer entre elles une entreprise industrielle et une entreprise de services en matière de RSE ? N’y-a-t-il pas un risque de se retrouver avec juste le plus petit dénominateur commun dans les évaluations ?

L’évaluation AFAQ 26000 est considérée comme un baromètre de la maturité des pratiques qui permet de faciliter la prise de conscience des changements nécessaires grâce à une vision extérieure, et mettre en place un système de comparaison externe ou interne (benchmark) des pratiques et résultats. Les champs couverts permettent, de manière souple et pragmatique,  d’établir un « scanner » global de l’ensemble du fonctionnement de l’entreprise. Le modèle est ainsi structuré au gré du fonctionnement des entreprises et non au gré de la structure de la norme ISO 26000, afin d’offrir une grille d’analyse intuitive et pour les évaluateurs et les managers des entreprises concernées. Les réponses apportées sont propres à chaque secteur et chaque typologie d’entreprises. Mais le critère d’analyse et le système de scoring restent inchangés ce qui permettra à une entreprise de service de rechercher auprès d’autres secteurs les meilleures pratiques. Il peut être intéressant de connaître comment les entreprises les plus performantes ont sensibilisé leurs salariés, identifié les besoins et attentes des parties prenantes, hiérarchisé les domaines d’actions, revisité les valeurs etc. On constate que l’échange entre évalués de différents secteurs est très riche et d’ailleurs on nous demande d’organiser des réunions entre évalués afin de partager les expériences respectives.

La labellisation en 4 « degrés » est-elle pertinente ? Les entreprises ne se contentent-elles pas des effets d’annonce, sans rechercher forcément à « monter en grade » ?

La RSE ne peut pas se réduire à une approche binaire : "oui/non je suis RSE". A ce stade nous parlons d’évaluation et non de certification/labellisation ISO 26000. Les analyses qualitatives et quantitatives disponibles montrent que l’engagement en faveur de la RSE est de plus en plus prégnant dans le monde des PME. Toutes réalisent des actions de type RSE sans en avoir vraiment conscience, mais certaines se mobilisent plus volontairement et approfondissent leur engagement. La plupart des entreprises évaluées AFAQ 26000 prennent en compte le rapport d’évaluation comme une feuille de route pour progresser et font de manière récurrente des évaluations tous les 18 mois, comme le process le propose, voire même tous les ans pour certaines d’entre elles. Elles recherchent justement cette montée en grade car elle considèrent la RSE comme contribuant à la performance et au fonctionnement global de l’entreprise.

 

Entretien avec Alain Jounot, responsable du département innovation de l'Afnor
Alain Jounot est ingénieur en Physique des Matériaux. Il a débuté sa carrière dans le domaine de la recherche fondamentale avant de rejoindre le groupe AFNOR. Il a été responsable du département innovation en charge du développement du modèle AFAQ 26000. Il est depuis janvier 2011 Directeur commercial d'Afnor certification.


Grégoire Moreau
Journaliste et blogueur, je me suis fait avec le temps une spécialité des questions techniques et... En savoir plus sur cet auteur


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