Innovation et protection de la propriété intellectuelle




Le 9 Juin 2014, par


Journal de l'Economie : A l’image du débat qui anime l’industrie pharmaceutique, peut-on financer une véritable stratégie de propriété intellectuelle en France ? Le droit français, et européen, sont-ils suffisamment incitatifs et protecteurs ?

Stéphane Sapolin : Il est inutile de raisonner au niveau français dès qu’il s’agit de protection intellectuelle. La protection doit évidemment se décider au niveau européen dans un premier temps, et mondial dans un deuxième. En cela, l’accord instaurant un brevet européen unique, signé le 19  février 2013 par les ministres de 25 états de l’Union va globalement dans le bon sens. Toutefois, si le dépôt d’un brevet coûte aujourd’hui moins cher et se révèle moins complexe (demande unique adressée à l’Office Européen des Brevets), il laisse encore planer de lourdes incertitudes quant à son efficacité réelle.  De plus, il reste tout de même beaucoup plus cher qu’aux Etats-Unis et en Chine, pour ne citer que deux des plus gros contributeurs de brevets.
 
Sébastien Pichon : Il est difficile de répondre à cette question sans prendre en compte les bénéfices d’un marché ouvert. Néanmoins, deux éléments de réponse :
Premièrement, le financement d’une stratégie de propriété intellectuelle coûte cher. Deuxièmement, la meilleure propriété intellectuelle du monde ne pourra rien contre les états qui ne la respectent pas. Dans certains domaines, les entreprises sont obligées d’en prendre leur parti. Elles savent, propriété intellectuelle ou pas, qu’elles seront copiées à moyenne échéance. Pour ces deux raisons, de nombreuses PME et même certains groupes renoncent à avoir une quelconque protection sur le sujet, préférant la stratégie du « coup d’avance » sur la concurrence et les éventuelles copies. Il s’agit peut-être là d’ailleurs, d’une des raisons majeures pour laquelle l’état doit continuer à miser sur des dispositifs comme le CIR.
 
Stéphane Sapolin : La protection intellectuelle étant au cœur du développement des entreprises innovantes, il est certain que toute action visant à la simplifier et à rendre moins cher encourage ces entreprises à protéger leurs inventions et à partir à la conquête de nouveaux marchés. A ce sujet, la France encourage ces actions par le biais du Crédit d’Impôt Recherche, puisqu’il intègre les dépenses de dépôt, de maintien et de défense de brevets dans les dépenses valorisées.
 
Une fois les problématiques de coûts et de simplification abordées, la protection est-elle réellement efficace ? Il est évidemment permis d’en douter, notamment lorsqu’une entreprise souhaite s’installer à l’étranger, où les problématiques de propriété intellectuelle sont prégnants (Inde, Chine, etc.). Concernant ces pays, il sera indispensable de négocier avec eux de telle façon qu’ils prennent conscience que le respect réel de la propriété intellectuelle rassure les entreprises étrangères, ce qui les encourage à investir de façon plus importante.
 
Ainsi, il est important de protéger sa propriété intellectuelle pour bénéficier des dividendes de sa recherche, assurer les échanges commerciaux et créer de l’emploi qualifié. Mais il faut avoir conscience que la propriété intellectuelle ne protège que le temps que la concurrence se mette à niveau. Et dans un monde globalisé, cela se fait très rapidement.

Sébastien Pichon est associé au sein du cabinet de conseil EIF Innovation. Il est titulaire d’un doctorat en biologie et biotechnologie et enseigne par ailleurs la fiscalité de l’innovation à l’université Paris 7.

Stéphane Sapolin est consultant expert pour EIF Innovation depuis 2012, cabinet qu’il a intégré après une longue expérience en tant que journaliste scientifique et consultant en cabinet de conseil.


EIF Innovation est une filiale de la société EIF. Présent sur le marché du conseil depuis plus… En savoir plus sur cet auteur