Journal de l'économie

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Jour 9 – Le défi de la souveraineté économique





Le 3 Avril 2020, par Valentin Fontan-Moret

Jour après jour, tirer les leçons de la crise et mobiliser des ressources pour la dépasser. Tel est l’objet de ce Bréviaire de crise, qui aujourd’hui considère les dernières annonces du Président de la République et leurs conséquences possibles sur l’économie nationale et ceux qui la font.


Jour 9 – Le défi de la souveraineté économique
Retrouver notre souveraineté économique en restaurant, par la (re)création de filières nationales produisant sur notre sol, notre indépendance à l’égard de pays étrangers en matière de produits d’importance stratégique. Telle est l’ambition affichée par le chef de l’État face à ce que la crise sanitaire mondiale nous donne à voir de façon plus flagrante que jamais : la guerre économique entre les nations. Mais l’ambition n’est pas une garantie, même si quiconque se trouve affligé par les drames causés par les faiblesses de notre économie en ces temps de lutte vitale ne peut que la saluer. Il faut encore convertir ce qui apparaît comme une vision stratégique favorable en actes.
 
Bas les masques
 
C’est depuis une usine de fabrication de masques de protection à usage médical qu’Emmanuel Macron a souhaité s’exprimer. La pénurie de ces masques est apparue comme un marqueur de notre dépendance et de notre vulnérabilité. Le manque de ces produits nous a contraint à adopter une stratégie sanitaire moins protectrice et a conduit à délivrer une information manipulatoire à la population. Cette même pénurie autorise aujourd’hui la Chine, pays d’où la crise est partie, à nous humilier en nous rappelant notre dépendance par l’envoi d’une quantité de masques que nous ne pouvions pas espérer produire nous-même en temps utile. Une humiliation encore accentuée par les rocambolesques affaires de saisies des stocks destinés à l’étranger qui se multiplient.
 
Mais la pénurie de masques n’est peut-être que l’arbre qui cache la forêt. La question du matériel de dépistage semble tout aussi sensible : outre les produits réactifs qui semblent venir à manquer, des produits consommables basiques tels que les écouvillons se sont aussi avérés insuffisants. Un manque qui pourrait également avoir influencé sinon contraint le choix de la stratégie sanitaire que nous connaissons actuellement.
 
Et derrière ces faits se dissimulent des chaînes entières d’orientations et de décisions stratégiques dictées par une infinité de facteurs : des visions du monde, des idées et des idéologies, des théories sur la rationalité des acteurs et des décisions, des volontés politiques et même les ambitions personnelles de chaque citoyen…  qui forment cet ensemble qui a mis la France en situation de faiblesse face au risque sanitaire, et certainement face à bien d’autres risques. Cela ne signifie évidemment pas qu’il n’y a pas des acteurs qui, quel que soit leur niveau de responsabilité, se battent quotidiennement contre cette tendance à la perte de puissance. Cela signifie simplement que leurs efforts conjugués n’ont pas suffit à renverser la vapeur.
 
Quels sont les secteurs stratégiques ?
 
Il ne faudrait donc pas que les changements qui s’annoncent, à la suite des déclarations politiques, ne se concentrent que sur les épiphénomènes, sur l’extrémité finale de la chaîne de décision. Certes, il nous faudra des masques. Mais le chemin vers la souveraineté économique et l’indépendance stratégique est assurément plus long et douloureux, et les efforts nécessaires plus profonds. Produire sur le sol national est bien évidemment un enjeu de souveraineté éminent.
 
Mais il faut aussi penser aux filières qui permettent ces productions, et tous les métiers annexes, notamment de services, qui s’insèrent dans ces filières. Il faut aussi des savoirs-faire et retrouver une place de choix dans un secteur ultra-concurrentiel : celui de la production de connaissances. En produisant de la connaissance, nous nous mettons en capacité d’innover : il faut alors protéger l’innovation contre les captations illégitimes et les actes de prédation, et c’est ainsi que les métiers de la sécurité, notamment l’Intelligence économique, pourront trouver leur place. A ce titre, la souveraineté technologique est aussi un enjeu stratégique évident.
 
Les domaines qui devront être (ré-)identifiés comme revêtant une importance stratégique pour la France, sa résilience face aux crises et son indépendance à l’égard des autres puissances, ne manquent donc pas. Ils dépassent de très loin le seul secteur de la santé. Mais la « conversion » du pays à cette nouvelle perspective est peut-être le premier enjeu déterminant pour la réussite de cette nécessaire reconfiguration.
 
Mobiliser la « base » : un nouveau contrat social ?
 
Ce sont effectivement les citoyens, chefs d’entreprises, indépendants ou salariés, qui vont porter en actes la recréation des filières stratégiques. Autrement dit, l’implication de notre société que l’on sait par ailleurs fracturée est indispensable à la réalisation des ambitions évoquées par le gouvernement. Or on ne peut probablement pas compter sur les seules émotions provoquées par la situation critique pour décider définitivement les acteurs économiques présents et à venir à pivoter vers ces nouvelles ambitions.
 
On sait pourtant combien l’implication de la société civile est importante pour donner du corps (et du sens) à une stratégie de puissance et à des velléités d’indépendance. Le patriotisme économique n’est pas un vain mot aux Etats-Unis d’Amérique. En Russie ou en Chine, ce sont même les hackers et autres organisations criminelles qui bénéficient de la bienveillance de leurs gouvernements dès lors que leurs activités servent les intérêts nationaux.
 
De son côté, la France reste largement traumatisée par les dérives de la domination que l’on associe inconsciemment à la notion de puissance. L’enjeu est donc aussi de dépasser nos blocages intellectuels et de réinventer les concepts nécessaires à notre temps. Parmi les enjeux contemporains se trouve certainement celui de reconsidérer réellement que la société civile, entrepreneurs en tête, a aussi un rôle éminent à jouer dans les affaires stratégiques du pays, dont le pilotage ne peut plus être le monopole des institutions étatiques. Le règne des experts et le divorce de la société et des élites sont des démons dont la présente crise révèle toute la nocivité.
 
Mais cette crise nous permet aussi d’entrevoir que la puissance est avant tout une question de survie, de résilience et de résistance à la domination des autres : c’est donc une notion acceptable par quiconque, « puissant » ou simple citoyen, souhaite la survie de la société à laquelle il appartient. Dans le drame de la crise sanitaire nous redécouvrons sous un jour nouveau ces notions meurtries par l’histoire, que l’on a voulu croire dépassées par la marche du monde globalisé jusqu’à être confrontés à ses plus sinistres travers – ce dont nos « restes » de vieille puissance mondiale nous préservait jusqu’alors, à l’inverse de nombreux autres pays moins favorisés. C’est donc une puissance saine, une indépendance de salut publique que le Président de la République peut aujourd’hui nous enjoindre à rechercher. « Nous », c’est-à-dire non seulement l’État mais aussi et d’abord la société. Ce cap, pour être atteint, pourrait être l’objectif d’un nouveau « contrat social » basé sur des efforts économiques réels et partagés sans défiance, entre l’État et la société civile. Car c’est, dans la théorie de l’État, le « contrat social » qui fonde la souveraineté.
 



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