Journal de l'économie

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Les conditions du financement stratégique de la souveraineté industrielle





Le 28 Avril 2020, par Olivier de Maison Rouge

Tandis que tout un chacun découvre depuis peu les vertus du « patriotisme économique » devant les insuffisances industrielles mises cruellement en lumière à l’occasion du manque des produits « barrières » pendant l’épisode du Covid-19, il ne s’agit pas non plus de se livrer à une relocalisation sans discernement.


Les conditions du financement stratégique de la souveraineté industrielle
En effet, la déglobalisation à l’œuvre dans les esprits ne doit pas être la globalisation contraire, mais bien être contraire à la globalisation (qui fut une course du tout-venant au moins-disant vers « l’atelier du monde »). La cécité stratégique ne doit pas succéder à l’aveuglement financier qui a prévalu durant les trois décennies passées, contribuant à démanteler l’héritage gaullo-pompidolien.
 
Il ne s’agit pas de réimporter toutes les productions, mais davantage d’être en mesure d’affirmer une réelle autonomie stratégique dans les secteurs économiques vitaux. S’il est acquis que l’industrie est source de prospérité, ce que toutes les analyses ignorées depuis plusieurs décennies et récemment exhumées montrent à l’évidence, il convient d’être en mesure de renouer avec les savoir-faire chargés de valeur ajoutée et tout à la fois indispensables à la cohésion sociale et nationale et à la permanence des activités impérieuses.
 
C’est pourquoi, l’Etat stratège doit être en mesure d’offrir un cadre favorable à ce véritable regain salvateur, par la fiscalité (mettre fin aux impôts dits de « production »), par un acte social affirmé en association avec les corps intermédiaires, par une volonté politique forte avec la définition des secteurs stratégiques, et in fine, être en mesure de porter cette filière notamment avec un financement souverain. Puisque nous livrons bataille, il faut œuvrer à irriguer avec le nerf de la guerre.
 
Une politique de secteurs industriels essentiels
 
S’agissant de la définition des secteurs essentiels, plusieurs précédents existent.
 
En matière de cybersécurité, le régime des Opérateurs d’Importance Vitale (OIV) et celui des Opérateurs de Services Essentiels (OSE) recensent déjà les activités économiques stratégiques : énergie, transports, banques et assurances, éducation, santé, distribution d’eau potable, restauration collective.
 
Du côté du contrôle des investissements étrangers en France (IEF), fixant un régime d’autorisation préalable par Bercy pour l’acquisition d’entreprises ou de branches d’activités relevant de cette catégorie, on trouve désormais : jeux d’argent, activités de sécurité privée, activités de R&D sur des agents pathogènes, activités portant sur des matériels techniques d’interceptions de sécurité, cyber sécurité, biens et services à double usage (civil-militaire), chiffrement numérique, défense nationale, infrastructures de continuité et sécurité essentielles, R&D en matière de cybersécurité, hébergement de données sensibles.
 
En matière de vulnérabilités susceptibles de nuire à la survie de la nation, sous l’égide du Secrétariat Général à la Défense et à la Sécurité Nationale (SGDSN), la sécurité nationale a en grande partie été forgée sous l’angle des risques majeurs affectant la cohésion nationale : menace terroriste, les risques technologiques (de type nucléaire ou chimique, notamment les sites Seveso), les risques naturels et les risques cyber.
 
Cette large énumération fixe un cadre d’intervention étatique de nature à identifier et assurer la permanence et la résilience des activités économiques essentielles. C’est donc à partir de ces approches sectorielles qu’il convient d’être en mesure de donner les impulsions financières nécessaires à leur indépendance stratégique et ne pas renouveler l’erreur de la soumission économique et commerciale. Il s’agit en particulier d’être pragmatique et s’interdire de lister précisément les entreprises ciblées, comme le fait le CFIUS américain, afin d’être opportuniste en la matière. C’est pourquoi, nos instances bureaucratiques doivent s’abstenir d’imposer un carcan trop serré en matière de sécurité nationale.
 
Le précédent du Fonds Stratégique d’Investissement
 
Créé en 2009, avec la volonté d’Alain Juillet à l’époque Haut Responsable à l’Intelligence Economique, le Fonds Stratégique d’Investissement (FSI), a été le seul et véritable fonds souverain à la française détenu à 49% par l’Etat (APE) et 51% par la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC). Il se voulait alors la réponse initiée par les pouvoirs publics aux besoins en fonds propres d’entreprises porteuses de croissance et de compétitivité pour l’économie française.
 
Le FSI avait pour mission :
  • D’entrer au capital d’entreprises dont les projets de croissance sont porteurs de compétitivité pour le pays ;
  • De favoriser le co-investissement ;
  • D’accompagner les entreprises dans le moyen-long terme ;
  • De prendre en compte les perspectives de stabilité et de recomposition de l’actionnariat pour décider de sa sortie.
 En tant que fonds d’investissement, il était doté de 20 milliards d’Euros de fonds propres, destiné à investir en minoritaire sans chercher à prendre le contrôle, tout en recherchant une rentabilité dans la norme du marché.
 
Son Comité d’Orientation Stratégique était composé de représentants de syndicats salariés (CFDT, CGT, FO, CFTC, CFE-CGC) et employeurs (notamment la CGPME) et de personnalités qualifiées (dirigeants d’entreprises, membre du CESE, député). En qualité de député, siégeait notamment Bernard Carayon, un des pères de l’intelligence économique française.
 
Le FSI avait investi dans plus de 1.500 sociétés, injectant près de 6 milliards d’euros dans l’économique française. Le FSI intervient parfois en région en association avec OSEO (devenu BPI).
 
Au-delà des effets d’annonce politique, le FSI s’est voulu un acteur primordial en matière de renforcement du capital de sociétés exposées à des prises de participations intempestives. Ce faisant, le FSI se définissait comme un investisseur patient, soutien à long terme de projets industriels sur le territoire français. Ce faisant, parmi les investissements relevant de la défense de l’intérêt général, le FSI avait repris la participation qu’AREVA détenait au sein de STMicroelectronics. De même, le FSI avait acquis auprès d’un fonds américain 8% du capital de la société Gemalto, fabricant de cartes à puces, ceci afin de stabiliser l’actionnariat et de protéger l’industriel de tentatives d’OPA hostiles.
 
Sous le quinquennat de François Hollande, Jean-Pierre Jouyet, alors Directeur général de la Caisse des Dépôts et Consignations, a souhaité fondre le FSI dans la Banque Publique d’Investissement (BPI). Dès lors, le fonds a perdu son volet « stratégique », ce qui est regrettable.
 
Cet outil aurait pu être mobilisé pour contrer la prédation dirigée contre Alstom, notamment, ou encore serait le véhicule idoine pour les nationalisations temporaires actuellement débattues.
 
Par voie de conséquence, si l’Etat se veut sincèrement stratège, afin d’être en mesure de mener des actions prioritaires de réindustrialisation et de sauvegarde des secteurs économiques essentiels, dans un souci d’autonomie stratégique, il doit dès lors pouvoir se doter de moyens et ressources à sa main, garantissant un financement souverain.
 
Aussi, conviendrait-il, avec un budget conséquent, de renouer avec une politique industrielle de long terme, et relancer un fonds robuste et indépendant. Un emprunt national populaire pourrait contribuer à cet effort singulier et poser la première pierre de la reconstruction de l’indépendance économique et stratégique.

Olivier de MAISON ROUGE
Avocat (Lex-Squared) – Docteur en droit
A paraître : « Survivre à la guerre économique. Manuel de résilience », VA Editions


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